Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 juillet 2023 et 23 février 2024, la SCI Pelvé-Mesliers, représentée par Me Lahalle, demande à la cour :
1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 915 637,40 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité des refus d'autorisation d'exploitation commerciale que lui a opposés la commission nationale d'aménagement commercial par ses décisions des 16 décembre 2015 et 19 juillet 2018 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'illégalité des décisions de la CDAC du 27 juillet 2015 et de la CNAC des 16 décembre 2015 et 19 juillet 2018 caractérisent des fautes engageant la responsabilité de l'Etat ;
- l'Etat n'a toujours pas versé les sommes de 1 500 euros au titre des frais liés au litige auxquelles il a été condamné par les arrêts de la cour des 2 février 2018 et 20 décembre 2019 ;
- les refus de la CNAC ont retardé et fait obstacle à son projet d'aménagement commercial du 16 décembre 2015 au 5 mars 2020 puis conduit à l'abandon de celui-ci ;
- elle a droit au remboursement des frais déboursés en vue d'obtenir cette autorisation et qui s'avèrent avoir été exposés inutilement, à savoir une somme globale de 12 644,40 euros au titre des frais d'étude et d'élaboration de sa demande d'aménagement commercial ;
- elle a droit à la compensation de son manque à gagner à hauteur de 2 710 556 euros du fait des loyers qu'elle a dû fixer à un prix inférieur à leur valeur à défaut d'autorisation d'exploitation commerciale ou du même montant au titre au titre de la perte de chance de commercialiser les locaux lui appartenant à une valeur supérieure ;
- elle a subi une perte de chance de louer son bien avec un loyer plus avantageux ce qui lui a causé un préjudice qui peut être évalué à 1 162 437 euros ;
- elle a droit à une indemnisation à hauteur de 30 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subis ;
- la compétence des auteurs du mémoire en défense de la CNAC n'est pas établie ;
- elle s'est trouvée sans ressources et confrontée à la nécessité de rembourser les emprunts souscrits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2024, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) conclut au rejet de la requête de la SCI Pelvé-Mesliers et demande à la cour de mettre à la charge de la SCI Pelvé-Mesliers une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la SCI Pelvé-Mesliers ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 23 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2024.
Deux mémoires produits pour la CNAC ont été enregistrés le 5 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange, président assesseur,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Colas, pour la SCI Pelvé-Mesliers et de Me Wa Nsanga Allegret, pour la CNAC.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Pelvé-Mesliers est propriétaire, sur le territoire de la commune de Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), d'une parcelle de 8 722 m² qui était occupée par une concession automobile. Cette concession ayant annoncé son intention de se relocaliser en 2016, la SCI Pelvé-Mesliers a demandé, le 29 mai 2015, une autorisation d'exploitation commerciale portant sur un ensemble commercial de quatre cellules commerciales, pour une surface totale de vente de 3 423,09 m². Le 27 juillet 2015, la commission départementale d'aménagement commercial d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer l'autorisation sollicitée. Le 16 décembre 2015, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a rejeté le recours de la SCI Pelvé-Mesliers. Toutefois, sur son recours, par un arrêt du 2 février 2018, la cour a annulé cette décision de la CNAC et a enjoint à celle-ci de réexaminer, dans un délai de quatre mois, la demande d'autorisation litigieuse. Sur réexamen, le 19 juillet 2018, la CNAC a refusé de nouveau de délivrer l'autorisation sollicitée par la SCI Pelvé-Mesliers. Sur recours de celle-ci, par un nouvel arrêt du 20 décembre 2019, la cour a annulé la décision du 19 juillet 2018 de la CNAC et lui a enjoint de délivrer l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée sous un délai de trois mois, sauf changement dans les circonstances de droit ou de fait. Le 5 mars 2020, la CNAC a délivré cette autorisation à la SCI Pelvé-Mesliers. Par un courrier en date du 24 octobre 2022, la SCI Pelvé-Mesliers a transmis au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique une demande indemnitaire de plus de 7 140 592,90 euros au titre des préjudices qu'elle estimait avoir subi du fait de l'impossibilité de mener son projet dès 2016. Dans sa requête devant la cour faisant suite à la décision implicite de rejet de sa réclamation, elle demande désormais à la cour de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 3 915 637,40 euros en réparation de ses préjudices.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. L'illégalité de la décision refusant une autorisation d'exploitation commerciale constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique à l'égard du demandeur de l'autorisation, pour autant qu'il en soit résulté pour celui-ci un préjudice direct et certain. Il appartient dès lors à la SCI Pelvé-Mesliers de justifier qu'elle a subi un préjudice direct et certain en lien avec l'illégalité des décisions du 16 décembre 2015 de la CDAC et des 16 décembre 2015 et 19 juillet 2018 de la CNAC constatée par la cour.
3. En premier lieu, la SCI Pelvé-Mesliers demande le remboursement de frais d'étude et d'élaboration de sa demande d'aménagement commercial à hauteur de 12 644,40 euros. Toutefois, dès lors qu'elle a obtenu l'autorisation litigieuse et qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait été empêchée, du fait de l'Etat, d'en tirer bénéfice le cas échéant, elle n'est pas fondée à demander le remboursement de cette somme, qui ne correspond pas à un préjudice constitué.
4. En deuxième lieu, la SCI Pelvé-Mesliers ne peut demander à être indemnisée du préjudice lié au non-versement par l'Etat des sommes dues au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en application des arrêts de la cour des 2 février 2018 et 20 décembre 2019, qui relève d'un litige distinct relatif à l'exécution de ces arrêts et est dénué de lien direct et certain avec les fautes commises par la CDAC et la CNAC du fait de l'illégalité de leurs décisions de refus d'autorisation d'exploitation commerciale.
5. En troisième lieu, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal d'autorisation revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. En l'espèce, la requérante ne justifie pas d'engagements de sociétés commerciales susceptibles de louer aux montants qu'elle indique les locaux commerciaux qu'elle entendait réaliser sous couvert de l'autorisation qu'elle avait demandée.
6. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la demande d'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée par la SCI Pelvé-Mesliers était exigée, en vertu des dispositions du 4° de l'article L. 752-1 du code de commerce, par " la création d'un ensemble commercial tel que défini à l'article L. 752-3 et dont la surface de vente totale est supérieure à 1 000 mètres carrés " et ne portait donc pas sur l'autorisation de magasins de commerce de détail. Par suite, la SCI Pelvé-Mesliers ne justifie pas d'un lien de causalité direct et certain entre les fautes de la CDAC et de la CNAC et le préjudice invoqué lié au différentiel de loyers qu'elle allègue subir du fait de l'impossibilité de louer son bien pour exploiter des magasins de commerce de détail. En tout état de cause, les quelques éléments qu'elle produit sur la consistance de son activité et le seul courriel d'un agent immobilier qu'elle produit ne permettent pas d'établir l'existence d'un manque à gagner ou d'une perte de chance du fait qu'elle n'a pas pu disposer d'une telle autorisation avant le 5 mars 2020.
7. En quatrième et dernier lieu, si la SCI Pelvé-Mesliers se prévaut d'un préjudice moral et de troubles dans ses conditions de fonctionnement du fait de la durée de la procédure lui ayant permis d'obtenir l'autorisation litigieuse, finalement en vain, il ne résulte de l'instruction ni que la CDAC ou la CNAC aurait mis une durée excessive à instruire ses demandes et à exécuter les arrêts de la cour, ni que l'autorisation obtenue le 5 mars 2020 ne serait pas exploitable. Par ailleurs, si comme la cour l'a indiqué dans son arrêt du 20 décembre 2019 la CNAC a méconnu l'autorité absolue de chose jugée par son arrêt du 2 février 2018 en se fondant sur les motifs que le projet n'est pas compatible avec les orientations du schéma de cohérence territoriale du Pays de Rennes et qu'il n'est pas conforme à l'objectif d'aménagement du territoire de l'article L. 752-6 du code de commerce, cela ne lui interdisait pas, en principe, de refuser de nouveau l'autorisation litigieuse en cas de méconnaissance d'un autre des objectifs prévus par la loi, comme elle l'a fait. Le seul fait que la CNAC n'ait délivré cette autorisation qu'après un second recours devant la cour, après avoir méconnu l'autorité absolue de chose jugée, ne permet pas de caractériser un comportement fautif en soi qui serait à l'origine d'un préjudice identifié de la SCI Pelvé-Mesliers. Enfin, comme il a été dit plus haut, le retard mis par la CNAC à payer les sommes dues au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en application des arrêts de la cour des 2 février 2018 et 20 décembre 2019 relève d'un litige distinct relatif à l'exécution de ces arrêts. Dans ces conditions, la SCI Pelvé-Mesliers n'établit pas la réalité d'un préjudice direct et certain au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions de fonctionnement.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de prescrire une mesure d'expertise avant dire droit, ni de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des écritures en défense, que les conclusions indemnitaires de la SCI Pelvé-Mesliers ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCI Pelvé-Mesliers demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la CNAC présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCI Pelvé-Mesliers est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Pelvé-Mesliers et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée, pour information à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02430