Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... E... et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 avril 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 30 août 2021 de l'autorité consulaire française à Libreville (Gabon) refusant de délivrer à M. D... E... un visa de long séjour en qualité de membre de la famille d'un réfugié.
Par un jugement n° 2214007 du 20 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par MM. E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que les éléments présentés n'établissent pas le lien de filiation allégué.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2023, M. F... E... et M. D... E..., représentés par Me Leudet, concluent au rejet de la requête et demandent de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de leur conseil, une somme de 2 000 euros sur le fondement combiné des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés et que la décision doit être annulée au vu des moyens soulevés en première instance.
M. D... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- et les observations de Me Leudet, représentant MM. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. F... E..., ressortissant de la République Démocratique du Congo (RDC), s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du 20 octobre 2008 de la Cour nationale du droit d'asile. Par une décision du 30 août 2021, les autorités consulaires françaises au Gabon ont refusé à M. D... E..., ressortissant de la RDC se présentant comme son fils, le visa de long séjour sollicité au titre de la réunification familiale. Par une décision du 6 avril 2022, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision consulaire. Par un jugement du 20 juillet 2023, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 6 avril 2022 et a enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour rejeter le recours formé contre la décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité du demandeur de visa et le lien de filiation unissant M. D... E... au réunifiant ne sont pas établis par les documents produits et eu égard aux déclarations discordantes de M. F... E....
3. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Et aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Par ailleurs aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de sa demande d'asile, M. F... E... a indiqué être le père de l'enfant dénommé D... E... né le 15 août 2002 à Lodja dans le Kasaï Oriental en RDC. Puis il a produit, à l'appui de la demande de visa concernant cet enfant, un jugement supplétif d'acte de naissance établi le 30 mai 2017 par le tribunal pour enfants de G... C... établissant, à la demande d'un oncle de l'enfant, que ce dernier est né en réalité le 15 décembre 2004 à G... de l'union de M. E... et Mme A... B.... Par la suite, il a également produit un jugement du tribunal pour enfants de G... H..., établi le 7 septembre 2017 à la demande de Mme A... B..., délégant la garde de cet enfant à M. F... E.... Ce jugement reprend les mêmes indications que celles mentionnées sur le jugement supplétif relatives à la filiation de l'enfant et son état-civil en précisant toutefois que ses parents n'étaient pas mariés mais vivaient en union libre à sa naissance. Eu égard à ces deux jugements concordants sur l'état-civil et la filiation de M. D... E..., la circonstance que dans ses écrits présentés à l'appui de sa demande d'asile, dont sa fiche familiale de référence établie en 2008, M. F... E... a indiqué que son fils D... serait né le 15 août 2002 à Lodja n'est pas de nature à établir le caractère frauduleux desdits jugements. Si cette demande d'asile ne mentionne pas l'identité de la mère de l'enfant, ceci ne s'imposait pas dans le formulaire renseigné. De même si les copies de l'acte de naissance qui ont été délivrées comportent pour l'une deux ratures, et pour l'autre une erreur sur la date de naissance de M. F... E..., ces documents se réfèrent tous précisément au jugement supplétif du 30 mai 2017, lequel n'est pas contesté, et ne sont pas de nature à priver ce jugement de sa force probante. Enfin la circonstance que le tribunal pour enfant de G... C... n'aurait pas été territorialement compétent pour établir le jugement supplétif du 30 mai 2017 est ici sans incidence. Dans ces conditions, le motif tiré de ce que l'identité du demandeur de visa, et partant son lien familial à l'égard de M. F... E..., ne sont pas établis, n'est pas de nature à fonder la décision de refus de visa contestée.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 avril 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa sollicité.
Sur les frais d'instance :
8. M. D... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leudet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Leudet de la somme de 1 200 euros hors taxe.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Leudet une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à MM. F... et D... E....
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02715