Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Sous le n° 2202475, l'association One Voice a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du préfet des Côtes-d'Armor du 6 mai 2022 portant dérogation aux mesures de protection des espèces protégées et autorisant notamment la destruction de
8 000 choucas des tours dans ce département jusqu'au 30 septembre 2022.
Sous le n° 2203351, les associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du préfet des Côtes-d'Armor du 6 mai 2022 portant dérogation aux mesures de protection des espèces protégées et autorisant notamment la destruction de 8 000 choucas des tours dans ce département jusqu'au 30 septembre 2022, à titre principal pour un motif de légalité interne et, subsidiairement, pour un motif de légalité externe.
Par un jugement n°s 2202475, 2203351 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté pour un motif d'illégalité externe.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 février 2023, les associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB, représentées par Me Dubreuil, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 décembre 2022 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il n'a pas annulé l'arrêté préfectoral contesté pour un motif de légalité interne ;
2°) d'annuler, pour un motif de légalité interne, l'arrêté du préfet des Côtes-d'Armor du 6 mai 2022 portant dérogation aux mesures de protection des espèces protégées et autorisant notamment la destruction de 8 000 choucas des tours dans ce département jusqu'au 30 septembre 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est irrégulier dès lors que leur moyen de légalité interne soulevé à titre principal n'a pas été examiné ;
- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ; les lacunes du dossier de demande de dérogation ne permettaient pas d'apprécier les impacts du projet sur l'état de conservation des choucas des tours ; les conditions posées par cet article, s'agissant de l'absence d'autre solution satisfaisante, de la prévention des dommages importants pour les cultures, et de l'atteinte à l'état de conservation de l'espèce protégée dans son aire de répartition naturelle, ne sont pas satisfaites ;
- les dispositions de l'article 3 de l'arrêté contesté contreviennent à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, dès lors que les conditions de mise en œuvre des opérations de destruction ne permettent pas d'apprécier la condition tenant à l'existence de dommages importants aux cultures au regard de la population de choucas existante à l'échelle départementale ;
- l'arrêté méconnaît le principe de précaution, énoncé à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, alors que l'absence d'atteinte à l'état de conservation de l'espèce n'est pas scientifiquement établie pour chacun des oiseaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,
- les observations de Me Dubreuil, représentant les associations appelantes, et les explications de M. A..., pour la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Côtes-d'Armor.
Considérant ce qui suit :
1. A la demande de la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) des Côtes-d'Armor, par un arrêté du 6 mai 2022, le préfet des Côtes-d'Armor a accordé à ce syndicat, sur le fondement du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, une dérogation à l'article L. 411-1 de ce code autorisant, sous conditions, la perturbation intentionnelle ainsi que la destruction par tir d'arme à feu et piégeage de 8 000 choucas des tours, espèce protégée au titre de l'arrêté susvisé du 29 octobre 2009, jusqu'au 30 septembre 2022. Par un jugement n°s 2202475, 2203351 du 15 décembre 2022, à la demande, d'une part, de l'association One Voice et, de l'autre, des associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté pour deux motifs de légalité externe. Ces deux dernières associations relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas été fait droit à leur demande présentée à titre principal tendant à l'annulation de cet arrêté pour un motif de légalité interne.
Sur l'office du juge de l'excès de pouvoir :
2. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2.
3. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant.
4. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.
5. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.
Sur la régularité du jugement attaqué :
6. Les associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB soutiennent que le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'a pas examiné leur demande principale. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué annule l'arrêté préfectoral pour un vice de légalité externe " sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ". Eu égard à ce qui a été dit au point 4, en statuant ainsi, le tribunal administratif de Rennes a, implicitement mais nécessairement, écarté, après les avoir examinés, les autres moyens soulevés à titre principal devant lui au titre de la légalité interne par les associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB, dont celui tiré de la méconnaissance, dans sa totalité, des dispositions des articles L. 411- 1 et L. 411-2 du code de l'environnement. Par suite, ces associations ne sont pas fondées à soutenir qu'il n'a pas été procédé à l'examen de ce moyen de légalité interne. En conséquence, le moyen soulevé au titre de la régularité du jugement doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'erreur de droit au regard des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement entachant l'arrêté préfectoral du 6 mai 2022 dans son ensemble :
7. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; (...). ".
8. Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes. ". Et en vertu de l'article R. 411-6 de ce code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet (...). ".
9. L'arrêté du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixe la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire, parmi lesquels figure le choucas des tours, et précise les modalités de sa protection.
10. Il résulte de l'article L. 411-1 et du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales protégées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure la prévention des dommages importants notamment aux cultures et à d'autres formes de propriété.
11. Il ressort de l'arrêté préfectoral contesté qu'il autorise, à la demande de la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Côtes-d'Armor et dans ce département, par dérogation à l'article L. 411-1 du code de l'environnement, et sur le fondement du b) du 4° du I de l'article L. 411-2 du même code, d'une part la destruction de 8 000 choucas des tours par tir ou piégeage et, d'autre part, leur perturbation par effarouchement, pour la période courant du 6 mai au 30 septembre 2022 dans des conditions qu'il définit. Cet arrêté vise à prévenir des dommages occasionnés aux cultures.
S'agissant de la condition tenant au fait de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :
12. Pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci.
13. Aux termes de l'article R. 161-3 du code de l'environnement : " II. - L'état de conservation d'une espèce s'apprécie en tenant compte de l'ensemble des influences qui, agissant sur l'espèce concernée, peuvent affecter à long terme la répartition et l'importance de ses populations dans leur aire de répartition naturelle. Il est considéré comme favorable lorsque sont réunis les critères suivants : / 1° Les données relatives à la dynamique des populations de cette espèce indiquent qu'elle se maintient à long terme comme élément viable de son habitat naturel ; / 2° L'aire de répartition naturelle de cette espèce ne diminue pas et n'est pas susceptible de diminuer dans un avenir prévisible ; / 3° Il existe et il continuera probablement d'exister un habitat suffisamment grand pour maintenir à long terme les populations de cette espèce qu'il abrite. ".
14. Il ressort des pièces du dossier, dont l'étude réalisée en mars 2022, à la demande des services de l'Etat, par l'université de Rennes, intitulée " acquisition de connaissances sur l'écologie du choucas des tours (corvus monedula) en région Bretagne 2022 ", que l'aire de répartition naturelle du choucas des tours comprend une très large partie du continent européen, dont la quasi-totalité du territoire métropolitain français. Ce même document indique que la population hivernante en France métropolitaine a été estimée à un million d'individus et qu'après avoir été considérée en déclin modéré entre 1989 et 2002, elle a connu une augmentation substantielle entre 2001 et 2019. Il est également relevé qu'en région Bretagne leur population, qui s'est nettement développée les années précédant 2022, est à cette date estimée, dans les Côtes-d'Armor, à 23 645 couples reproducteurs. Enfin, il résulte de cette même étude qu'il a été observé que les choucas des tours régulent rapidement leur reproduction en fonction de leur accès à des sites de nidification et à la disponibilité de nourriture notamment l'hiver. Il ne résulte ni de cette étude ni d'une autre pièce du dossier que la destruction autorisée d'un maximum de 8 000 choucas des tours entre le 6 mai et le 30 septembre 2022 dans ce département, soit environ 17 % de la population départementale de cette espèce protégée, serait de nature à nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de choucas des tours dans leur aire de répartition naturelle.
S'agissant de la justification de la dérogation par la prévention de dommages importants notamment aux cultures :
15. Il ressort de l'arrêté contesté que la dérogation accordée est motivée par le fait que " les choucas des tours créent des dommages importants aux cultures activités agricoles, estimés en moyenne, pour le département des Côtes-d'Armor, à environ 500 000 euros par an pour la période 2019-2021, lesquels ne font l'objet d'aucune indemnisation et qu'il est nécessaire d'apporter une réponse proportionnée à la perte économique de ces activités. ".
16. Il ressort des pièces du dossier, dont l'ensemble des rapports et avis communiqués, que les choucas des tours, du fait de leur nombre croissant, du fait qu'ils vivent dans des cavités, fréquemment des conduits de cheminées en milieu rural, que, sédentaires, ils se déplacent dans un rayon limité autour de leur habitat, et alors qu'ils s'alimentent en partie de végétaux, essentiellement de plantes cultivées dont principalement le blé mais aussi le maïs et le chou, sont de nature à occasionner des dommages importants sur les cultures en région Bretagne, notamment à l'occasion des semis. Plusieurs déclarations de dégâts ont ainsi été déposées par des agriculteurs dans les années précédant l'arrêté contesté, même si leur nombre fluctue selon les années. Alors même qu'il ne peut être établi que l'ensemble de ces dégâts sont dus à l'action de choucas des tours, eu égard cependant à leurs conditions d'alimentation, il est établi qu'ils y concourent dans la quasi-totalité des cas et que l'augmentation constatée de leur population accroit ce phénomène au niveau départemental. Par suite, il est établi que les dommages causés aux cultures par les choucas des tours peuvent être regardés comme importants et que la destruction et l'effarouchement, dans les conditions prévues par l'arrêté contesté, d'un maximum de 8 000 de ces oiseaux sur la période considérée peut prévenir les dommages importants qu'ils occasionnent dans le département des Côtes-d'Armor.
S'agissant de l'existence d'une solution alternative satisfaisante aux mesures de destruction et d'effarouchement des choucas des tours :
17. En premier lieu, l'arrêté mentionne que les techniques culturales destinées à éloigner les choucas des tours des cultures, essentiellement suite aux semis, ou les alternatives agronomiques n'attestent pas d'une " efficacité significative " et que les mesures visant à restreindre l'accès aux sites de reproduction, tels que les conduits de cheminée, ou aux ressources alimentaires en période hivernale ne sont pas " satisfaisantes à court terme ". S'il est également indiqué que l'effarouchement de ces oiseaux n'apporte pas davantage de solution aux atteintes constatées aux cultures, une telle mesure ne constitue pas une solution alternative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dès lors que la perturbation intentionnelle de ces oiseaux, et donc l'effarouchement, tout comme leur destruction, sont en principe interdits par l'article L. 411-1 du code de l'environnement.
18. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier, et notamment de l'étude précitée de l'université de Rennes, que la pertinence du choix fait de la destruction et de l'effarouchement dans le département depuis plusieurs années, " doit être remise en cause ", y compris au regard de la volonté affirmée de préserver les cultures. Il est ainsi, d'une part, observé que, pour le département des Côtes-d'Armor, à tout le moins depuis 2016, des quotas de destruction de choucas des tours ont été accordés de manière croissante, passant de 1 750 en 2017 à 4 000 pour les années 2017 et 2018 puis 8 000 pour 2019 et 2020 et 8 000 pour la seule année 2021. Certains de ces quotas ont également été majorés en cours d'année ; ainsi pour la période 2020 / 2021, il avait été prévu la destruction de 12 000 choucas des tours, quota atteint en 3 mois, ce qui a motivé une nouvelle demande de la FDSEA pour une destruction annuelle de 15 000 de ces oiseaux. De l'autre, il est relevé que l'augmentation de la population de choucas des tours est directement liée au fait qu'ils trouvent, ou non, des lieux de nidification caverneux, tels que des conduits de cheminée, et une alimentation qui leur convient aux abords immédiats, dès lors qu'ils se déplacent peu par la suite. L'étude ajoute qu'il s'agit d'une espèce qui adapte sa démographie en fonction des destructions qu'elle subit. Ainsi, ce document relève, à l'issue d'une présentation détaillée et non contestée de l'écologie de cette espèce, que " les deux paramètres principaux à la base de la dynamique démographique de la population de choucas des tours sont, d'une part, la disponibilité en substrats de nidification et, d'autre part, la disponibilité en ressources trophiques de qualité ". Ses auteurs poursuivent en indiquant qu'il existe ainsi des alternatives, efficaces et pérennes, à la destruction de ces oiseaux, telles que l'obstruction des cheminées afin de réguler leur nidification, et la limitation de leur accès aux ressources agricoles afin de se nourrir. A ce dernier titre, ils évoquent le recours à l'utilisation de répulsifs, la limitation des accès aux tas d'ensilages, un assolement éloigné des sites urbanisés où ces oiseaux nidifient ou encore des pratiques de diversion, par agrainage ciblé, éloignées des semis. Du reste, ainsi qu'il a été exposé au point précédent, ces approches alternatives à la destruction par tir ou par piégeage des choucas des tours ont été identifiés par les services préfectoraux depuis plusieurs années. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté ces autres solutions aient connu un début de mise en œuvre significatif alors même qu'il est fait état de dégâts croissants sur les plantations malgré la croissance significative des quotas de destruction de ces oiseaux protégés les années précédant l'arrêté contesté. Enfin, si le conseil scientifique régional du patrimoine naturel Bretagne n'a pas été consulté préalablement à l'arrêté contesté, il résulte de son avis étayé et défavorable émis le 10 février 2021 sur la demande précédente de dérogation de la FDSEA des Côtes-d'Armor tendant à la destruction de 15 000 choucas des tours par an entre 2021 et 2024, que ces alternatives sont identifées et ont été présentées à plusieurs reprises les années précédentes par ce conseil scientifique. Il y est également déjà exposé que l'effet des mesures de destruction en litige est d'une efficacité très limitée, illustrée par la réitération de quotas de destruction majorée, et que " le risque d'augmenter le problème en dynamisant les populations de choucas est réel " dès lors que leur dynamique démographique est surtout liée au fait qu'ils trouvent aisément leur alimentation. Ainsi, tant ce rapport que cet avis, soulignent que la succession passée d'autorisations dérogatoires de destruction et d'écharouchement de ces oiseaux protégés ne permet pas la régulation attendue, obligeant les pouvoirs publics, au regard des départements du Morbihan, des Côtes-d'Armor et du Finistère, à multiplier ce type de décisions dérogatoires et les quotas d'abattage et d'effarouchement autorisés.
19. Par ailleurs, si l'arrêté contesté mentionne que les alternatives qu'il cite aux mesures d'abattage et d'effarouchement ne sont pas satisfaisantes, ces affirmations ne sont pas de nature à contredire utilement le fait que les alternatives présentées par l'étude universitaire de 2022 et l'avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel Bretagne, prises dans leur ensemble, constituent bien une alternative satisfaisante, dont les pouvoirs publics avaient connaissance de depuis plusieurs années, ainsi qu'il résulte des diverses études et avis présents au dossier. Si l'Etat se réfère à une étude réalisée par un institut technique agricole référent pour diverses fillières agricoles et interprofessions intitulée " Techniques de lutte contre les corvidés / Bilan du réseau d'évaluation 2021 multipartenaires Bretagne - Pays de la Loire ", celle-ci repose sur un échantillon d'étude très restreint, ne porte pas spécifiquement sur les choucas des tours, et sa pertinence scientifique est contestée, notamment au regard des travaux universitaires précités. Au surplus, ce document relève l'existence d'au moins un produit exerçant une action répulsive à l'encontre des corvidés, comprenant donc les choucas des tours, et rappelle également l'existence de techniques agraires permettant de limiter les dégats occasionnés aux cultures par ces oiseaux. Enfin le rapport d'un étudiant en licence professionnelle pratiques agricoles, aménagement rural, techniques alternatives et gestion écologique des ressources (PARTAGER) intitulé " Le choucas des tours en Bretagne : étude des facteurs et des techniques agronomiques permettant de limiter les dégats sur maïs ", réalisé à l'occasion d'un stage auprès de la chambre d'agriculture du Morbihan en 2021, sur la base d'un échantillon limité d'étude, n'est pas davantage de nature à contredire utilement les conclusions citées aux points précédent, s'agissant de l'existence d'une solution alternative satisfaisante à l'abattage ou l'effarouchement de 8 000 choucas des tours, espèce protégée, en moins de 4 mois en 2022.
20. Ainsi, les éléments présentés dans le rapport de mars 2022 de l'université de Rennes et dans l'avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel Bretagne du 10 février 2021, sont de nature à établir qu'il existait une solution alternative satisfaisante aux mesures réitérées de destruction et d'effarouchement d'un maximum de 8 000 choucas des tours entre les 6 mai et 30 septembre 2022. Par suite, l'une des conditions posées par l'article L. 411-2 du code de l'environnement n'est pas remplie dans cette situation particulière.
21. En conséquence, dès lors qu'il n'est pas satisfait à la condition tenant à l'absence d'une solution alternative satisfaisante aux mesures de destruction et d'effarouchement des choucas des tours pour la période courant du 6 mai au 30 septembre 2022, le moyen, de légalité interne, tiré de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement est de nature à fonder l'annulation de l'arrêté du 6 mai au 2022 du préfet des Côtes-d'Armor.
22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés, que les associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB sont fondées à soutenir que c'est à tort que pour fonder l'annulation de l'arrêté du 6 mai 2022 du préfet des Côtes-d'Armor, le tribunal administratif de Rennes n'a pas fait droit à leur moyen de légalité interne, tiré de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, invoqué à titre principal à l'encontre de cette décision.
Sur les frais d'instance :
23. Dans les circonstances de l'espèce, il y lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 500 euros à verser globalement aux associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet des Côtes-d'Armor du 6 mai 2022 autorisant la perturbation intentionnelle et la destruction de 8 000 choucas des tours dans ce département jusqu'au 30 septembre 2022 est annulé pour le moyen de légalité interne tiré de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
Article 2 : Le jugement n°s 2202475, 2203351 du 15 décembre 2022 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera globalement aux associations LPO Bretagne et Bretagne Vivante - SEPNB la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association LPO Bretagne, à l'association Bretagne Vivante - SEPNB, au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Côtes-d'Armor.
Une copie pour information sera communiquée au préfet des Côtes-d'Armor.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00338