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06/12/2024 | FRANCE | N°23NT02179

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 06 décembre 2024, 23NT02179


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le groupe hospitalier Bretagne sud (GHBS) à lui verser la somme de 72 728,34 euros, assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité fautive de la sanction de rétrogradation qui lui a été infligée par une décision du directeur du GHBS du 28 septembre 2017.

Par un jugement n° 2102867 du 26 mai 2023, le tribunal admi

nistratif de Rennes a condamné le GHBS à verser à Mme A... la somme de 69 847 euros,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le groupe hospitalier Bretagne sud (GHBS) à lui verser la somme de 72 728,34 euros, assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité fautive de la sanction de rétrogradation qui lui a été infligée par une décision du directeur du GHBS du 28 septembre 2017.

Par un jugement n° 2102867 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a condamné le GHBS à verser à Mme A... la somme de 69 847 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 juillet 2023 et le 28 septembre 2023, le Groupe hospitalier Bretagne sud, représenté par Me Pennec, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 mai 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de

Rennes ;

3°) de condamner Mme A... à rembourser la somme de 76 861,88 euros qu'il lui a versée, avec intérêts à compter du 1er juillet 2023 et capitalisation annuelle de ces intérêts ;

4°) de condamner Mme A... à verser la somme de 2 500 euros au Groupe hospitalier Bretagne sud sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative quant à la disproportion supposée de la sanction de rétrogradation infligée à Mme A... au regard de la gravité des faits reprochés ;

- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation de la proportionnalité de la sanction ;

- le comportement agressif, brutal ou infantilisant de Mme A... à l'égard des patients et ses manquements au devoir d'obéissance hiérarchique justifiaient la sanction de rétrogradation du grade d'aide-soignant principal au grade d'aide-soignant.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 septembre 2023 et le 22 novembre 2023, Mme A..., représentée par Me Quentel, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge du Groupe hospitalier Bretagne sud.

Elle soutient que :

- le jugement est suffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- la matérialité des faits retenus comme fautifs n'est pas établie ;

- la sanction de rétrogradation du grade d'aide soignant principal au grade d'aide soignant est disproportionnée compte tenu de son âge (58 ans) et de sa carrière (commencée en 1982 et achevée le 1er octobre 2017) et de la période très courte, du 16 au 20 juin 2017, des manquements reprochés, à savoir une prise en charge inadaptée de patients et le non-respect d'une consigne hiérarchique.

Vu les autres pièces du dossier ; Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- les conclusions de M. Xavier Catroux, rapporteur public,

- et les observations de Me Quentel, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... était titulaire du grade d'aide soignant principal et classée au 10ème échelon de ce grade. Elle a exercé les fonctions d'aide-soignante hospitalière à partir de 1982 au centre hospitalier de Rambouillet puis, à partir de 1988, au sein du centre hospitalier de Bretagne sud, devenu le Groupe hospitalier de Bretagne sud. Par une décision du 28 septembre 2017, prise trois jours avant le départ en retraite de Mme A..., le directeur du GHBS a prononcé à son encontre la sanction de rétrogradation du grade d'aide-soignant principal à celui d'aide-soignant. Par un courrier du 30 mars 2021, Mme A... a présenté auprès du GHBS une demande indemnitaire préalable en faisant valoir l'illégalité, du fait de son caractère disproportionné, de la sanction prononcée à son encontre. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme A... a alors demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le GHBS à l'indemniser en raison de l'illégalité de la décision du 28 septembre 2017. Par un jugement du 26 mai 2023, dont le GHBS relève appel, le tribunal a condamné le GHBS à verser à Mme A... la somme de 69 847 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts.

Sur la régularité du jugement :

2. Le jugement a retenu que Mme A... avait adopté " un comportement agressif, maladroit et inadapté à l'égard de patients du service de cardiologie du GHBS le 16 juin 2017 " et que " contrairement à ce qui lui avait été prescrit par sa supérieure hiérarchique " elle avait, le 20 juin 2017, " approché les patients dont la prise en charge le 16 juin 2017 avait présenté des dysfonctionnements ". Le tribunal en a déduit, au point 12 du jugement, que Mme A... avait porté atteinte aux principes de dignité et d'obéissance hiérarchique et ainsi commis des fautes passibles d'une sanction disciplinaire mais qu'eu égard à l'absence de procédure disciplinaire antérieure et de la bonne notation de l'intéressée au cours de la période courant de 2009 à 2016, la sanction de rétrogradation emportait, dans les circonstances très particulières de l'espèce, des conséquences financières particulièrement importantes sur sa pension de retraite de nature à caractériser une disproportion de la sanction disciplinaire du

28 septembre 2017 et, partant, l'illégalité fautive de cette décision. Ces motifs, malgré l'absence d'explicitation des " circonstances très particulières de l'espèce " auxquelles il est fait référence, sont suffisamment développés et ne caractérisent pas une insuffisance de motivation du jugement. Par suite, le GHBS n'est pas fondé à soutenir que le jugement méconnaîtrait l'article L. 9 du code de justice administrative.

Sur la responsabilité du GHBS :

En ce qui concerne les faits :

3. En premier lieu, il est reproché à Mme A... d'avoir, le 17 juin 2017, eu à deux ou trois reprises un comportement inapproprié envers une patiente née en 1935 et occupant la chambre n° 47. Appelée par la patiente pour fermer la fenêtre de sa chambre, Mme A... aurait entrouvert sa porte, fait une grimace et serait repartie sans fermer la fenêtre. Dans la soirée, Mme A... aurait poussé brutalement cette même patiente dans son fauteuil et la tête de cette dernière aurait heurté la fenêtre. Interrogée sur ces faits, Mme A... a reconnu avoir été brusque mais a expliqué ce mouvement par le fait qu'au moment de transférer la patiente de son lit à son fauteuil elle aurait eu un déséquilibre en raison d'une violente douleur à sa hanche récemment opérée. Il ressort des pièces du dossier que les déclarations de la patiente de la chambre n° 47 quant au comportement brutal de Mme A... ne sont corroborées par aucun témoin ni par un constat médical mentionnant une ecchymose, une plaie, une bosse ou

une dermabrasion à la tête de la patiente et que les explications données par Mme A... quant à ses douleurs à la hanche et au bassin, qui seraient à l'origine de son déséquilibre et de son mouvement brusque ayant fait chuter la patiente dans son fauteuil, présentent un caractère plausible et ne sont pas infirmées par les témoignages produits par le GHBS. Par suite, Mme A... ne peut être regardée comme ayant volontairement brutalisé une patiente. Dès lors, le comportement de l'intéressée, s'il peut être regardé comme traduisant une dégradation de sa manière de servir susceptible d'être prise en compte dans son évaluation professionnelle ne peut être regardé comme fautif et sanctionnable disciplinairement.

4. En deuxième lieu, si le patient de la chambre n° 60 a reproché à Mme A... de ne pas sourire et de " faire la tête ", ces griefs, à les supposer établis, ne correspondent pas à des faits pouvant être qualifiés de fautes disciplinaires. D'autre part, si Mme A... reconnaît avoir invité le résident de la chambre n° 61 à dormir avec une peluche de chien et alors même que l'exigence de respect de la dignité des personnes accueillies doit s'exercer avec une vigilance particulière dans un établissement accueillant des personnes diminuées et vulnérables, une telle proposition, alors que le jouet appartenait au patient et qu'il n'est apporté aucune précision ni aucun témoignage sur la manière dont s'est déroulée cette scène, le ton employé par l'aide-soignante ou sur des reproches qui auraient été antérieurement adressés à l'agent pour des faits de même nature, en raison d'un comportement inapproprié et infantilisant avec les résidents, ne peut être considéré, en l'état du dossier, comme justifiant une sanction disciplinaire.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., sans attendre la fin des explications de l'infirmière sur la manière de poser un pénilex, a blessé le patient de la chambre n° 56 en utilisant un rasoir électrique afin de lui raser les poils pubiens. Cette précipitation et cette brusquerie dans l'exécution d'un geste technique, sans prêter attention aux explications données au patient par l'infirmière responsable des soins, présentent un caractère fautif.

6. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté par Mme A... que celle-ci, bien que sollicitée à cette fin par une infirmière, a refusé, de changer le matelas électrique défectueux d'un patient et que, d'autre part, elle a ouvertement méconnu les consignes de sa responsable hiérarchique lui interdisant de donner des soins aux patients des chambres n° 47 et 56 qui s'étaient plaints de ses services. Si Mme A... fait valoir, sur le premier point, qu'elle a entendu simplement éviter de déplacer son patient malade cardiaque et, sur le second, qu'elle a voulu répondre aux appels des patients des chambres n° 47 et 56, elle ne conteste pas par ces explications qu'elle a désobéi aux instructions qui lui avaient été expressément données par ses supérieurs, méconnaissant ainsi son obligation d'obéissance hiérarchique.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :

7. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. ". Aux termes de l'article 81 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions relatives à la fonction publique hospitalière, alors applicable : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Premier groupe : L'avertissement, le blâme ; Deuxième groupe : La radiation du tableau d'avancement, l'abaissement d'échelon, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; Troisième groupe : La rétrogradation, l'exclusion temporaire de

fonctions pour une durée de trois mois à deux ans ; Quatrième groupe : La mise à la retraite d'office, la révocation. ".

8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que Mme A... a, à plusieurs reprises, désobéi aux consignes données par ses supérieurs et qu'elle a fait montre d'un comportement empreint de brusquerie à l'égard d'un résident âgé. Ces faits ont porté atteinte aux principes de respect de la dignité des personnes et d'obéissance hiérarchique et étaient de nature à justifier une sanction disciplinaire. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que Mme A... s'était vue reprocher, deux ans aupravant, en 2015, d'avoir jeté " un gant sur le lavabo ",

" d'avoir poussé le mobilier de façon brusque " et de " s'être adressée à une patiente sur un ton peu aimable ", elle n'a toutefois fait alors l'objet d'aucune procédure disciplinaire pour ces faits, ni pour d'autres faits durant toute sa carrière d'aide soignante hospitalière. Sa fiche de notation pour l'année 2015 fait état d'une note globale de 22,5 sur 25 et l'ensemble de ses autres évaluations professionnelles des années 2009 à 2016 comprennent des fiches de notation mentionnant une note globale oscillant entre 22,5 et 22,75 sur 25, assorties d'appréciations invariablement positives. Par ailleurs, la rétrogradation qui lui a été infligée à trois jours de son départ à la retraite relève du troisième groupe des sanctions disciplinaires et emportait, au cas particulier, des conséquences financières particulièrement lourdes sur le calcul de sa pension de retraite, conséquences dont il y a lieu de tenir compte pour apprécier la légalité de cette sanction. Si l'hôpital fait valoir qu'aucune autre mesure disciplinaire adaptée à la gravité des faits reprochés à Mme A... n'était envisageable compte tenu du départ imminent de celle-ci à la retraite, la sanction en cause apparaît disproportionnée au regard des faits avérés reprochés à l'intéressée, qui, bien que préoccupants, restent d'une gravité limitée et se sont produits sur une courte période de cinq jours, et compte tenu de la manière de servir de l'intéressée durant toute sa carrière et de l'absence à son dossier de tout antécédent disciplinaire. Par suite, la sanction infligée à Mme A... ne peut être regardée comme proportionnée aux faits qui lui sont reprochés. Dès lors, en prenant l'arrêté du 28 septembre 2017, le GHBS a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur les préjudices :

9. Il résulte de l'instruction qu'en fixant le préjudice matériel à une perte de pension en capital s'élevant à la somme de 68 847 euros et le préjudice moral à une somme de 1 000 euros, montants qui ne font d'ailleurs l'objet d'aucune discussion par les parties, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation excessive des préjudices de Mme A.... Par suite, il y a lieu de confirmer la condamnation du GHBS à verser à Mme A... la somme de 69 847 euros, assortie des intérêts de retard à compter du 3 juin 2021, date d'enregistrement de la demande de première instance et de la capitalisation des intérêts à compter du 3 juin 2022.

10. Il résulte de ce qui précède que le GHBS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à verser la somme de 69 847 euros, assortie des intérêts de retard et des intérêts capitalisés.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse au GHBS la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit à hauteur de 1 500 euros aux conclusions présentées par Mme A... sur le fondement du même article.

DECIDE :

Article 1er : La requête du GHBS est rejetée.

Article 2 : Le GHBS versera à Mme A... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Groupement hospitalier de Bretagne et à Mme B... A....

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2024.

Le rapporteur,

I. MARION

Le président,

G.V. VERGNE

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02179
Date de la décision : 06/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : SCP ELGHOZI GEANTY GAUTIER PENNEC

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-06;23nt02179 ?
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