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06/12/2024 | FRANCE | N°23NT01805

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 06 décembre 2024, 23NT01805


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B..., épouse C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite du 6 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 9 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Tunis (Tunisie) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de visiteur.





Par un jugement n° 2211712

du 5 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de reco...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B..., épouse C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite du 6 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 9 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Tunis (Tunisie) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de visiteur.

Par un jugement n° 2211712 du 5 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des

outre-mer de délivrer à Mme B... épouse C... un visa de long séjour en qualité de visiteur dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 juin 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... épouse C... devant le tribunal administratif de Nantes.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que :

- les motifs de la décision consulaire, que la commission de recours s'est appropriés, ne sont entachés ni d'erreur de fait ni d'erreur de droit ;

- la demandeuse de visa ne justifie pas de ressources suffisantes pour séjourner durablement en France ;

- le visa a été sollicité pour contourner la procédure de regroupement familial ; l'époux de la demandeuse de visa s'est vu opposer trois refus d'autorisation de regroupement familial.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2023, Mme B... épouse C..., représentée par Me Harir, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de visiteur, dans un délai d'une semaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ; subsidiairement, de lui enjoindre de réexaminer sa demande de visa, dans le même délai ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 5 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B... épouse C..., la décision implicite née le 6 juillet 2022 par laquelle la commission a rejeté le recours formé par cette dernière contre la décision du 9 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Tunis lui refusant la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de visiteur et lui a enjoint de délivrer à l'intéressée un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 426-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui apporte la preuve qu'il peut vivre de ses seules ressources, dont le montant doit être au moins égal au salaire minimum de croissance net annuel, indépendamment de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale et de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " visiteur " d'une durée d'un an. / Il doit en outre justifier de la possession d'une assurance maladie couvrant la durée de son séjour et prendre l'engagement de n'exercer en France aucune activité professionnelle. / Par dérogation à l'article L. 414-10, cette carte n'autorise pas l'exercice d'une activité professionnelle. (...) ".

3. L'étranger désirant se rendre en France et qui sollicite un visa de long séjour en qualité de visiteur doit justifier de la nécessité dans laquelle il se trouve de résider en France pour un séjour de plus de trois mois. En l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas où ce visa peut être refusé, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises, saisies d'une telle demande, disposent, sous le contrôle par le juge de l'excès de pouvoir, d'un large pouvoir d'appréciation et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, tel que le détournement de l'objet du visa, mais aussi sur toute considération d'intérêt général.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'accusé de réception du recours formé par Mme B... épouse C... devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France indique qu'en l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours, celui-ci est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision des autorités consulaires. La décision de la commission de recours doit donc être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision du 9 mars 2022 des autorités consulaires à Tunis. Celle-ci comporte trois cases cochées portant les mentions suivantes : " Vous ne disposez pas d'une assurance-maladie adéquate et valable ", " Il existe un risque de détournement de l'objet de visa à des fins de maintien illégal en France après l'expiration de votre visa ou pour mener en France des activités illicites ", " Les informations communiquées pour justifier les conditions du séjour sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables ".

5. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les informations communiquées par la demandeuse de visa pour justifier l'objet et les conditions de son séjour seraient incomplètes ou qu'elles ne seraient pas fiables. Par suite, en refusant, pour ce motif, de délivrer le visa sollicité, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de visa, Mme B... épouse C... a produit un certificat d'assurance maladie couvrant ses frais médicaux du 16 décembre 2021 au 15 décembre 2022. Le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément permettant de faire considérer que cette police d'assurance ne serait pas " adéquate ". Par suite, en rejetant le recours de Mme B... épouse C... au motif qu'elle ne disposait pas d'une assurance-maladie " adéquate et valable ", la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur de fait.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... épouse C... a sollicité un visa de long séjour en qualité de visiteur dans le but de s'établir en France aux côtés de son époux et de leur fille qui y résident et qu'elle a expressément mentionné ces derniers dans le formulaire de demande de visa. Par suite, en estimant qu'il existait un risque de détournement du visa à des fins migratoires, la commission a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

8. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. Pour établir que la décision contestée est légale, le ministre de l'intérieur et des outre-mer invoque, dans ses mémoires en défense produits en première instance et en appel, et communiqués à Mme B... épouse C..., deux autres motifs tirés, d'une part de ce que " le visa de long séjour visiteur n'a pas vocation à se substituer à la procédure de regroupement familial ", d'autre part, de ce que l'intéressée, qui ne justifie pas de ressources suffisantes pour pourvoir à ses besoins en France, a sollicité un visa visiteur dans le but de contourner la procédure de regroupement familial.

10. En premier lieu, s'il est constant que la demande de visa de long séjour déposée par Mme B... épouse C... n'a pas été présentée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'intéressée demande et, le cas échéant, obtienne, dans les conditions rappelées au point 3 , un visa de long séjour dit " visiteur ", en vue de s'établir en France, à titre privé, pour un motif familial et notamment pour rejoindre son époux, autorisé à séjourner en France pour y exercer une activité professionnelle, et leur enfant. Par suite, le premier motif invoqué par le ministre de l'intérieur tiré de ce que la demande de Mme B... épouse C... relève de la procédure de regroupement familial est entaché d'une erreur de droit et n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.

11. En second lieu, pour justifier du caractère suffisant de ses ressources, Mme B... épouse C... a produit un " certificat d'agriculteur " délivré le 14 février 2022 par l'union régionale et de la pêche de l'Ariana, une attestation bancaire du 31 mars 2022 faisant état d'un compte bancaire créditeur d'une somme de 61 250 dinars tunisiens, soit 18 804 euros, et des contrats de location de deux biens immobiliers dont l'intéressée tire des loyers d'un montant mensuel total de 280 euros. S'il ressort des pièces du dossier que la somme de 61 250 dinars résulte d'un virement ponctuel, en provenance de l'étranger, dont Mme B... épouse C... ne précise pas l'origine, celle-ci a également produit une attestation de prise en charge financière du 15 février 2022 par laquelle son époux s'est engagé à subvenir à l'ensemble de ses besoins en France. Il ressort des pièces du dossier, notamment des bulletins de salaire des mois de janvier à juin 2022 ainsi que de la déclaration des revenus pour l'année 2022 versés au dossier, que l'époux de la demandeuse de visa exerce une activité de gérant d'un salon de coiffure qui lui procure un salaire mensuel net de 1 500 euros par mois. Il ressort par ailleurs de l'attestation notariale du 30 août 2021 que M. C... est propriétaire de son logement, un appartement de type 3, situé sur le territoire de la commune de Garches. Dans ces circonstances et au regard de la composition de la famille de Mme B... épouse C..., les revenus de son époux sont suffisants pour l'accueillir en France, où elle s'est engagée à ne pas exercer d'activité professionnelle. Aussi, le second motif invoqué par le ministre de l'intérieur, tiré du caractère insuffisant des ressources de Mme B... épouse C... n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée. Par suite, la substitution de motifs demandée par le ministre de l'intérieur ne peut qu'être rejetée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite née le 6 juillet 2023, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme B... épouse C... contre la décision du 9 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Tunis lui refusant la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de visiteur.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme B... épouse C... :

13. Si Mme B... épouse C... demande qu'un visa de long séjour en qualité de visiteur lui soit délivré, une injonction en ce sens a déjà été prononcée par le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juin 2023. Ces conclusions sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme B... épouse C... et non compris dans les dépens.

D E C I D E:

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B... épouse C... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B... épouse C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., épouse C..., et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

M. D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01805


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01805
Date de la décision : 06/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : HARIR

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-06;23nt01805 ?
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