Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... H... G... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 avril 2019 par laquelle le préfet de la Sarthe a refusé de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à son fils B... D....
Par un jugement n° 1907083 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 avril 2023, Mme H... G..., représentée par Me Benveniste, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du préfet de la Sarthe du 30 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à son fils B... D... dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la situation de son fils dans le délai d'un mois ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée en fait ;
- elle est entachée d'erreur de fait quant à sa date d'entrée sur le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à la filiation de son fils B... D... ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Mme H... G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- et les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme H... G..., ressortissante congolaise née le 22 juillet 1987, est la mère de l'enfant B... D..., né le 25 juillet 2017, au C..., et reconnu de manière anticipée par M. E... D..., ressortissant français, le 5 mai 2017. Par une décision du 30 avril 2019, le préfet de la Sarthe a refusé de délivrer à cet enfant une carte nationale d'identité et un passeport. Mme H... G... relève appel du jugement du 6 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". La décision contestée du 30 avril 2019 est motivée, en droit, par référence à l'article 55 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 et, en fait, par un faisceau d'indices établissant le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de M. E... D... à savoir un début de grossesse de Mme H... G... antérieur à l'entrée de celle-ci sur le territoire français et à une date incohérente avec les déclarations de M. E... D..., l'absence de communauté de vie entre les parents, l'absence de preuve de la participation du père déclaré à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, le caractère précipité de la demande de titre d'identité pour l'enfant alors que sa mère est en situation irrégulière sur le territoire français et la reconnaissance par M. D... de onze enfants, alors qu'il ne peut en citer que sept. Elle énonce ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée doit, dès lors, être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ". L'article 310-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose : " La filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre, par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété. / (...) ". Aux termes de l'article 310-3 du même code : " La filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état. / (...) ". L'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité dispose : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. / Elle est délivrée ou renouvelée par le préfet ou le sous-préfet. / (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 4-4 du même décret : " La demande de carte nationale d'identité faite au nom d'un mineur est présentée par une personne exerçant l'autorité parentale. / (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande ".
4. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Dans ce cadre, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas dans le cadre de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport pour le compte d'un enfant mineur, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance du titre sollicité par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... G..., lors de son audition par les services de la préfecture de la Sarthe le 18 juin 2018, et M. D..., lors de son audition par les services de la préfecture de la Vienne le 13 février 2019, ont fait des déclarations contradictoires quant à la date de leur rencontre, à la durée de leur vie commune, à la période au cours de laquelle l'enfant B... D... a pu être conçu ainsi qu'à la nature et à la fréquence des relations que M. D... entretient avec l'enfant. Il ressort également des pièces du dossier que M. D... a reconnu 11 enfants de 9 mères différentes, dont six étaient alors en situation irrégulière et qui ont ultérieurement bénéficié de titres de séjour en qualité de parent d'un enfant français, et qu'en outre deux de ces mères ont accouché dans les six mois de leur entrée sur le territoire français, deux autres ont donné naissance à des enfants nés en 2001 à 11 jours d'écart et quatre autres à des enfants nés en 2004, dont trois nés en trois semaines. Interrogé sur ses autres enfants lors de son audition le 13 février 2019, M. D... n'a mentionné que sept enfants. Il est constant qu'il n'y a pas eu de vie commune entre Mme H... G... et M. D...
au-delà d'une période de quelques semaines à la fin de l'année 2016. Pour justifier d'une contribution de M. D... à l'éducation de son fils, Mme H... G... produit une convention parentale signée le 12 juillet 2021 pour définir d'un commun accord les modalités de partage des responsabilités parentales ainsi qu'un formulaire de demande d'homologation de cette convention par le juge aux affaires familiales signé le même jour. Toutefois, cette convention, dont au surplus elle n'établit pas avoir effectivement présenté la demande d'homologation à l'autorité judiciaire, est postérieure à la décision en litige. Elle produit également quelques échanges sur messagerie instantanée qui ne sont pas datés, les photographies de son enfant qui y figurent attestant cependant que ces messages sont également postérieurs à la décision contestée. Lors de son audition, Mme H... G... a déclaré que M. D... venait rendre visite à son fils au C... une journée par mois, tandis que, de son côté, M. D... a déclaré que Mme H... G... venait trois fois par mois chez lui à Poitiers et qu'il arrivait qu'elle lui laisse l'enfant quelques jours. Dans ces conditions, la contribution de M. D... à l'éducation de l'enfant B... D... ne peut être regardée comme établie. Pour justifier de la contribution du père à l'entretien de l'enfant, Mme H... G... produit quelques factures et justificatifs de transfert d'argent, d'un montant réduit, qui portent sur les années 2020, 2021 et 2022, et sont donc postérieurs à la décision contestée. Dans ces conditions, la contribution de M. D... à l'entretien de l'enfant B... D... ne peut davantage être regardée comme établie.
6. Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'administration, qui justifie d'un faisceau d'indices concordants, doit être regardée comme établissant que la reconnaissance de paternité souscrite par M. D... à l'égard de l'enfant a un caractère frauduleux. Par suite, le préfet de la Sarthe, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude, a pu légalement refuser, pour ce motif, la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport sollicités par Mme H... G... pour son fils.
7. En troisième lieu, si Mme H... G... soutient que la décision contestée est entachée d'erreur de fait en ce qu'elle retient qu'elle est entrée sur le territoire français le 14 novembre 2016 alors qu'elle allègue y être entrée le 14 octobre 2016, il résulte de ce qui précède que cette erreur, à la supposer établie, demeurerait sans incidence sur la légalité de la décision contestée, qui repose sur un faisceau d'indices concordants suffisant.
8. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de la méconnaissance, par la décision contestée, des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme H... G... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme H... G..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par cette dernière doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de Mme H... G... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme H... G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... H... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. F...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01040