Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... C..., M. G... D... B... et Mme F... A... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite, née le 12 octobre 2022, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Nairobi rejetant les demandes de visa de long séjour présentées au titre de la réunification familiale par M. G... D... B... et par Mme F... A... C....
Par un jugement n° 2216322 du 30 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 12 octobre 2022 et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. G... D... B... et à Mme F... A... C... des visas de long séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 octobre 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... A... C..., M. G... D... B... et Mme F... A... C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- par un arrêt, revêtu de l'autorité de chose jugée, la cour a jugé que les déclarations de Mme E... A... C... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et les renseignements portés par l'intéressée, en 2014, dans sa fiche familiale de référence sont contradictoires ;
- les demandes de visa au titre de la réunification familiale procèdent d'une manœuvre frauduleuse dès lors, d'une part, que Mme F... A... C... porte le nom de sa mère alléguée alors que les règles de dévolution du nom de famille en vigueur en Somalie prévoient la transmission des prénoms des père et grand-père de l'enfant et, d'autre part, qu'il est douteux que la personne se présentant comme l'époux de Mme E... A... C... et qui a tenté, en 2020, de gagner l'Europe depuis la Turquie, soit effectivement M. G... D... B....
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2024, Mme E... A... C..., M. G... D... B... et Mme F... A... C..., représentés par Le Floch, demandent à la cour :
1°) de les admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle ;
2°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ou, dans le cas où la demande d'aide juridictionnelle ferait l'objet d'un refus ou d'une admission partielle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur profit d'une somme du même montant sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'erreur d'appréciation et méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme E... A... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 mars 2024.
Vu :
- l'arrêt n° 23NT03769 du 2 février 2024 prononçant le sursis à exécution du jugement attaqué en tant qu'il concerne le refus de visa opposé à M. G... D... B... ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A... C..., ressortissante somalienne, entrée en France en 2012, s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire en 2013. Le 20 décembre 2021, des demandes de visa de long séjour ont été formées, au titre de la réunification familiale, par M. G... D... B... et par Mme F... A... C..., ressortissants somaliens se présentant comme, respectivement, l'époux et la fille de Mme E... A... C.... Par une décision du 17 juin 2022, les autorités diplomatiques françaises en poste au Kenya ont rejeté ces demandes de visa. Le recours préalable obligatoire formé contre cette décision a été implicitement rejeté par une décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, née le 12 octobre 2022. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 30 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes, à la demande de Mme E... A... C..., M. G... D... B... et Mme F... A... C..., a annulé la décision implicite de la commission et a enjoint de délivrer les visas sollicités.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. Mme E... A... C... a obtenu le maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 mars 2024. Par suite, les conclusions tendant à ce que les intimés soient provisoirement admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en application de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...), âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage (...) est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles (...) L. 434-3 à L. 434-5 (..) sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux " et aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ". Il résulte de la combinaison des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles de l'article L. 434-3 du même code, auxquelles l'article L. 561-4 renvoie, que le ressortissant étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, y compris par ceux qui sont issus d'une autre union, à la condition que ceux-ci n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été présentée et que leurs demandes satisfont aux autres conditions prévues par l'article L. 434-3.
6. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités diplomatiques françaises en poste au Kenya, d'une part, sur le motif tiré de ce que la preuve des liens familiaux n'était pas apportée et, d'autre part, sur le motif tiré de ce que les déclarations des demandeurs conduisaient à conclure à une tentative frauduleuse d'obtention de visas au titre de la réunification familiale. Le tribunal administratif de Nantes, par le jugement attaqué, a jugé que ces deux motifs de refus n'étaient pas fondés.
En ce qui concerne Mme F... A... C... :
7. En premier lieu, par une ordonnance du 2 décembre 2019, le président de la 5ème chambre de la présente cour, saisi de la légalité de la décision du 26 janvier 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus opposé, le 4 octobre 2016, à une précédente demande de visa présentée par Mme F... A... C..., s'est notamment fondé, pour écarter le moyen tiré de ce que le motif tenant à l'absence de lien familial entre l'intéressée et Mme E... A... C... serait entaché d'erreur d'appréciation, sur la circonstance que cette dernière " s'est déclarée célibataire et sans enfant auprès de l'OFPRA avant de faire des déclarations contradictoires dans sa fiche familiale de référence en 2014 ". L'autorité relative de chose jugée qui s'attache à cette ordonnance, statuant sur une décision distincte de celle contestée dans le présent litige, est, par elle-même, sans influence sur l'appréciation que l'administration était tenue de porter, au vu des éléments versés à l'appui de la demande de visa du 20 décembre 2021, sur la réalité du lien familial revendiqué. Elle ne faisait pas davantage obstacle à ce que le tribunal tienne pour établi, au regard des pièces produites devant lui, le lien de filiation considéré.
8. En second lieu, si le ministre fait valoir que " de jurisprudence constante cette juridiction prend en compte les modes de dévolution du patronyme propre à la Somalie : transmission du père et du grand-père de l'enfant ", sans apporter la moindre justification ni même la moindre précision de nature à éclairer la cour quant aux règles et usages appliqués en Somalie, la circonstance que Mme F... A... C..., à l'égard de laquelle aucune filiation paternelle n'est établie, porte le nom de sa mère ne permet pas de caractériser l'existence d'une fraude.
En ce qui concerne M. G... D... B... :
9. Le ministre indique, en appel, qu'il ne conteste pas le certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil établi le 21 août 2014 par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et dont il ressort que Mme E... A... C... et M. G... D... B... se sont mariés, le 25 juillet 2010, à Mogadiscio en Somalie. Il soutient, en revanche, que le demandeur de visa n'est pas M. G... D... B.... A l'appui de cette affirmation, il se prévaut des déclarations faites par Mme A... C... lors de sa demande d'asile, selon lesquelles son époux était décédé en 2010, ainsi que sur la circonstance que la personne se présentant comme M. D... B... a tenté de rejoindre illégalement l'Europe depuis la Turquie. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que l'intéressé a produit la copie de son passeport, la copie de sa carte nationale d'identité ainsi qu'un certificat de confirmation d'identité, concernant M. G... D... B..., sur lesquels sont apposées des photographies ainsi que, s'agissant du troisième de ces documents, une empreinte digitale. Ces pièces, dont le ministre ne critique pas l'authenticité, permettent à l'administration de s'assurer que la personne formant la demande de visa est bien celle mentionnée sur le certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France sur le recours dirigé contre la décision des autorités diplomatiques de France au Kenya du 12 octobre 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. G... D... B... et Mme F... A... C... les visas de long séjour sollicités au titre de la réunification familiale.
Sur les frais liés au litige :
11. Mme E... A... C... a été admise au maintien de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Floch de la somme de 1 200 euros, hors taxe.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à Me Le Floch la somme de 1 200 euros, hors taxe, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme E... A... C..., à M. G... D... B... et à Mme F... A... C....
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Gaspon, président de chambre,
M. Pons, premier conseiller,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 décembre 2024.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
O. GASPONLa greffière,
I.PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT03768