Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... I..., M. F... H... C... et Mme D... H... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 30 juillet 2021 de l'autorité consulaire française à Nairobi (Kenya) refusant de délivrer aux enfants A..., G... et J... H... C..., à M. F... H... C... et Mme D... H... C... des visas de long séjour en qualité de membres de famille d'un ressortissant étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire.
Par un jugement n° 2206138 du 13 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2023, Mme E... B... I..., M. F... H... C..., Mme D... H... C... et M. A... H... C..., représentés par Me Régent, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 5 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés ou de réexaminer les demandes, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Régent, leur avocate, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance des articles L. 561-2 et suivants et L. 434-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'identité des demandeurs et les liens familiaux avec la réunifiante sont établis par les documents d'état civil produits et des éléments de possession d'état ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Mme E... B... I... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 mars 2023 du bureau d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,
- et les observations de Me Sachot, substituant Me Régent, représentant des requérants.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... B... I..., ressortissante somalienne née en 1966, est entrée en France le 5 juin 2016 et a obtenu la protection subsidiaire par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 4 juillet 2016. Des visas de long séjour au titre de la réunification familiale ont été demandés pour ses enfants F..., D..., A..., G... et J... H... C.... L'autorité consulaire française à Nairobi (Kenya) a refusé de délivrer les visas sollicités par une décision du 30 juillet 2021. Saisie d'un recours contre cette décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a rejeté par une décision implicite puis par une décision expresse du 5 novembre 2021. Par le jugement n° 2206138 du 13 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme E... B... I..., M. F... H... C... et Mme D... H... C... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. Mme E... B... I..., M. F... H... C..., Mme D... H... C... et M. A... H... C..., devenu majeur, relèvent appel de ce jugement.
2. La décision de la commission de recours du 5 novembre 2021 est fondée sur des motifs tirés de ce que les certificats de naissance des enfants sont sans valeur authentique ni caractère probant et de ce qu'il existe des contradictions entre les informations contenues dans les certificats de naissance produits et les déclarations de la réunifiante.
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". Et aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. A l'appui des demandes de visas déposées pour les enfants de Mme B... I... ont été produits des certificats de naissance établis par le maire de Mogadiscio (Somalie) et légalisés, mentionnant les nom et prénom des enfants, leurs dates et lieux de naissance, les noms des deux parents ainsi que les passeports des intéressés dont les mentions correspondent à celles des certificats de naissance. Si le ministre de l'intérieur soutient que les certificats de naissance produits sont dépourvus de valeur probante, en ce qu'ils ne présentent ni les conditions de forme, ni les conditions de fond permettant de les considérer comme des actes d'état-civil, il ne précise pas quelles règles relatives à l'état-civil somalien auraient été méconnues en l'espèce. De plus, Mme B... I... a déclaré de manière constante l'existence de ses sept enfants, les circonstances de la disparition de son fils aîné et du décès de son époux et de sa fille aînée avant qu'elle-même ne soit contrainte de fuir la Somalie. La circonstance que l'intéressée ait commis des erreurs dans les déclarations des dates de naissance de ses enfants ne permet pas à elle seule d'établir que les demandeurs de visa n'ont ni l'identité qu'ils invoquent ni les liens de filiation dont ils se prévalent avec la réunifiante. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visas, et partant, leur lien familial à l'égard de Mme B... I... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées aux points 3 et 4.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à M. F... H... C..., à Mme D... H... C..., à M. A... H... C... et aux enfants G... H... C... et J... H... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de leur délivrer de tels visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme B... I... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Régent, l'avocate de la requérante, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Régent de la somme de 1 200 euros hors taxe.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2206138 du 13 janvier 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 5 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. F... H... C..., à Mme D... H... C..., à M. A... H... C... et aux enfants G... H... C... et J... H... C... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Régent une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... I..., à M. F... H... C..., à Mme D... H... C..., à M. A... H... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01668