Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 9 mars 2023 par lequel le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2302715 du 26 janvier 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2024, Mme B..., représentée par Me Bara Carré, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 26 janvier 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 mars 2023 par lequel le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas répondu au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet en refusant de lui délivrer le titre de séjour sollicité ;
Sur la décision portant refus d'un titre de séjour :
- elle méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision fixant le pays d'éloignement :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 juillet 2024, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., de nationalité philippine, est entrée en France le 2 juin 2017 munie d'un visa de court séjour. Elle a déposé le 9 février 2021 une demande de titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 9 juin 2022, le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi. Par un jugement du 3 février 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté au motif que le préfet du Calvados n'avait pas examiné si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'intéressée, ainsi que les caractéristiques de l'emploi qu'elle occupait justifiaient une admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article
L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il s'était fondé sur le fait que Mme B... avait travaillé sans autorisation de travail. Le préfet du Calvados a procédé au réexamen de la situation de Mme B..., en exécution de l'injonction qui lui en a été faite par le jugement du 3 février 2023. Par un arrêté du 9 mars 2023, dont Mme B... a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation, le préfet du Calvados lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement. Par un jugement du 26 janvier 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 9 mars 2023. Mme B... fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
3. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative doit d'abord vérifier si des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifient la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale ", ensuite, en cas de motifs exceptionnels, si la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " est envisageable. Dans ce dernier cas, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France le 2 juin 2017, soit près de six ans avant la décision contestée. Elle travaille en tant qu'aide-ménagère chez un couple de personnes âgées dépendantes, depuis juillet 2018, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Si son salaire net mensuel était d'environ 800 euros, ses employeurs ont indiqué, fin 2022, que l'évolution de leurs états de santé nécessitait d'employer l'intéressée pour un plus grand nombre d'heures. Ainsi, Mme B... produit une fiche de paie, pour janvier 2023, de 1 040 euros nets. Les fiches de paie postérieures à l'arrêté contesté confirment, au demeurant, cette augmentation de salaire. Elle indique, sans être contredite, être hébergée chez ses employeurs. En outre, Mme B... a une activité de femme de ménage depuis juillet 2022, variant de quatre à vingt heures par mois, pour laquelle elle a produit des fiches de paie dont le montant varie essentiellement entre 50 et 100 euros, excepté pour les trois premiers mois du contrat où la rémunération était sensiblement plus élevée. Elle a suivi à la fin de l'année 2022 une formation de trente-cinq heures pour améliorer sa pratique du français dans le cadre professionnel. Alors même qu'elle ne dispose pas de diplômes dans son secteur d'activités, plusieurs attestations, dont celles de ses employeurs, font état du sérieux avec lequel elle travaille, dans des métiers qui sont d'ailleurs en tension dans le Calvados. Ainsi, bien qu'elle ait séjourné et travaillé en France sans autorisation, l'ensemble de ces éléments peuvent être regardés comme un motif exceptionnel de nature à justifier la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il suit de là que le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressée au regard des dispositions de l'article L. 435-1.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination doivent être annulées par voie de conséquence.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. L'exécution du présent arrêt qui annule l'arrêté préfectoral du 9 mars 2023, implique qu'il soit enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour mention " salarié " à Mme B.... Il y a lieu d'enjoindre à cette autorité d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire dans les circonstances de l'espèce de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et, sous réserve que l'avocate de Mme B... renonce à percevoir la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à Me Bara Carré de la somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 janvier 2024 du tribunal administratif de Caen et l'arrêté du 9 mars 2023 du préfet du Calvados sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Calvados de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Bara Carré, avocate de Mme B..., la somme de 1 200 euros hors taxe sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2024.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01604