Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 30 mai 2023, par lequel le préfet de la Sarthe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office.
Par un jugement n° 2309192, 2312699 du 21 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 avril 2024, M. A..., représenté par Me Cloarec, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 février 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 mai 2023 du préfet de la Sarthe ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe, sous astreinte, de lui délivrer un titre de séjour en tant que parent d'enfant français ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 431-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 10 c) de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ainsi que des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2024, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une décision du 22 juillet 2024, le président du bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Penhoat a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant tunisien né en 1986, déclare être entré en France le 1er janvier 2012. Il a sollicité du préfet de la Sarthe la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français sur le fondement de l'article 10 c) de l'accord du 17 mars 1988 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de la Tunisie en matière de séjour et de travail. Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " lui a été délivrée en qualité de parent d'enfant français. Ce titre de séjour a été renouvelé jusqu'au 27 mai 2016. Par un arrêté du 7 juillet 2016, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 mai 2019, le préfet a refusé le renouvellement de son titre de séjour. Le 5 janvier 2023, le requérant a à nouveau sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 10 c) de l'accord franco-tunisien. Sa demande a été rejetée par un arrêté du préfet du 30 mai 2023 portant en outre obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. M. A... relève appel du jugement du 21 février 2024 du tribunal administratif de Nantes rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 10 de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié : " Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français (...) c) au ressortissant tunisien qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". Et aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ".
4. Il résulte des stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié que celles-ci ne font pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile selon lesquelles la délivrance d'un titre de séjour est subordonnée à l'absence de menace à l'ordre public.
5. Pour refuser la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français à M. A..., le préfet de la Sarthe s'est fondé sur la circonstance que le comportement de l'intéressé constitue une menace à l'ordre public. Il ressort des pièces du dossier depuis son entrée sur le territoire français, M. A... a été condamné à plusieurs reprises entre 2014 et 2016 pour des faits de vol aggravé, circulation avec un véhicule terrestre à moteur sans assurance, conduite d'un véhicule à moteur malgré une suspension administrative ou judiciaire du permis de conduire et conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique. Par un jugement du 24 septembre 2019, le tribunal correctionnel du Mans a, en outre, condamné M. A... à une peine de trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis assortie d'une mise à l'épreuve pendant deux ans, pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme ayant entraîné une incapacité supérieure à huit jours en récidive, ainsi que pour port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, et violences sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Eu égard à la gravité des faits pour lesquels M. A... a été condamné, et à leur caractère relativement récent, le préfet de la Sarthe a pu considérer à bon droit que le comportement personnel du requérant constituait une menace à l'ordre public. Par suite, en refusant, pour ce motif, de délivrer un titre de séjour à l'intéressé, le préfet de la Sarthe n'a pas commis une erreur d'appréciation.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... réside en France depuis onze ans à la date de la décision contestée. Il est père de trois enfants nés en 2012, 2014 et 2017, issus de son union avec une ressortissante française dont il est séparé, à la date de la décision contestée. M. A..., qui s'est vu reconnaître l'autorité parentale conjointe avec son ancienne compagne par un jugement du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire du Mans du 22 février 2022, soutient qu'il s'occupe de ses enfants, et fait valoir que s'il ne contribue pas à leur entretien par le versement d'une pension alimentaire, c'est en raison de son impécuniosité, constatée par le jugement susmentionné. Par ailleurs, M. A... produit des documents attestant des différentes activités professionnelles exercées depuis le mois d'avril 2013, et pour les années 2014 et 2022 notamment en qualité de peintre en bâtiment. Il produit également une promesse d'embauche non datée pour l'année 2023. Toutefois, eu égard à la gravité et au caractère relativement récent des faits mentionnés au point 5 pour lesquels M. A... a été condamné, la menace à l'ordre public qu'est susceptible de représenter M. A... constitue un motif suffisant pour justifier l'atteinte portée au droit au respect à sa vie privée et familiale. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Sarthe a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de la décision portant refus de titre de séjour, laquelle n'a pas pour objet de fixer le pays de destination.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions le concernant.
10. Il ressort des pièces du dossier ainsi qu'il a été dit au point 7 que M. A... est parent de trois enfants français avec lesquels il a vécu jusqu'à la séparation du couple en 2018, soit une période de plusieurs années durant laquelle il doit être présumé contribuer à l'entretien et l'éducation de ses enfants. Le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire du Mans a, par jugement du 6 mai 2019, attribué l'exercice de l'autorité parentale de manière conjointe et a fixé la résidence de l'enfant au domicile de la mère, tout en accordant un droit de visite et d'hébergement au père à la fin des semaines paires, et en fixant le principe du versement mensuel d'une pension alimentaire d'un montant de 75 euros par enfant. Il n'est pas contesté que M. A... s'est acquitté de ses obligations. Par un nouveau jugement du 22 février 2022, soit postérieurement à la condamnation pénale prononcée le 24 septembre 2019, le même juge aux affaires familiales a maintenu l'exercice de l'autorité parentale conjointe mais a constaté l'impécuniosité de M. A.... Son ancienne compagne témoigne que M. A... respecte le droit de visite et d'hébergement qui lui a été attribué. Eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, et notamment aux liens unissant M. A... à ses enfants dont en particulier sa fille née en 2012, et en l'absence de signalement portant sur des faits plus récents, le préfet de la Sarthe, en faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français au motif que son comportement constituait une menace à l'ordre public, a méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant. Par suite, il y a lieu d'annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français et, par voie de conséquence, celle fixant le pays de renvoi.
11. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Sarthe du 30 mai 2023 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français et fixe le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
12. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Le présent arrêt annulant seulement l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire et les décisions accessoires implique nécessairement mais seulement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet territorialement compétent réexamine la situation administrative de M. A... et lui délivre sans délai une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de ce réexamen. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Sarthe de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
13. Le bureau d'aide juridictionnelle ayant constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle déposée par M. A..., les conclusions qu'il présente, tendant à la mise à la charge de l'Etat d'une somme à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2309192 et 2312699 du tribunal administratif de Nantes du 21 février 2024 en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Sarthe du 30 mai 2023 en tant qu'il a obligé l'intéressé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination et l'arrêté du préfet de la Sarthe du 30 mai 2023 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français et fixe le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer la situation de
M. A... dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Geffray, président,
- M. Penhoat, président-assesseur,
- M. Vieville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
Le rapporteur
A. PENHOATLe président
J.-E. GEFFRAY La greffière
H. DAOUD
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24NT01227 2
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