Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoire enregistrés le 2 novembre 2023 et les 3 et 4 mars 2024, la communauté de communes de Loué-Brulon-Noyen et la commune d'Auvers-sous-Montfaucon, représentées par Me Ménage, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Sarthe du 23 avril 2023 portant autorisation environnementale pour l'installation de cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire des communes d'Auvers-sur-Montfaucon ensemble la décision de rejet du recours gracieux ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leur requête est recevable ; elles sont intérêt à agir contre l'arrêté contesté ;
- le pétitionnaire n'a pas produit son numéro SIRET au soutien de sa demande ;
- le contenu de l'étude d'impact est insuffisant en ce qui concerne l'atteinte portée aux insectes ; la trame verte bleue du schéma de cohérence territoriale (SCOT) du pays Vallée de la Sarthe n'a pas été prise en compte ; les photomontages produits sont insuffisants et ne permettent pas de rendre compte de l'impact du projet sur les riverains et le paysage ; les mesures de compensation ne sont pas assez précises quant aux caractéristiques des haies devant être replantées (rôle, emplacement) ;
- le projet n'est pas conforme avec le SCOT du pays Vallée de la Sarthe ; les éoliennes ne sont pas installées dans le respect des servitudes locales et du paysage et n'assurent pas la protection de la biodiversité ;
- l'arrêté attaqué porte une atteinte excessive à la commodité du voisinage et a pour effet de saturer le paysage ;
- le pétitionnaire et le préfet n'ont pas tenu compte de l'incertitude d'ordre scientifique sur l'impact des infra-sons sur la santé ; le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- en autorisant un projet aussi gravement attentatoire aux terres agricoles de la commune d'Auvers-sous-Montfaucon, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
Par des mémoires enregistrés les 23 janvier et 21 février 2024, la société centrale éolienne de Montfaucon, représentée par Me Deldique, conclut au rejet de la requête, demande à la cour, à titre subsidiaire, dans le cas où l'arrêté préfectoral serait illégal, de surseoir à statuer sur la requête en vue de permettre la régularisation de l'autorisation d'exploiter du 23 avril 2023, en application des dispositions du 2° du I de l'article L.181-18 du code de l'environnement et conclut à la mise à la charge des requérantes le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que ni la communauté de communes ni la commune n'ont d'intérêt à agir contre l'arrêté contesté ;
- les moyens soulevés par les deux collectivités requérantes ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 janvier 2024, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les deux collectivités requérantes ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 ;
- le décret n° 2023-1103 du 27 novembre 2023 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Viéville,
- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public,
- et les observations de Me Vally substituant Me Ménage, représentant la communauté de communes de Loué-Brulon-Noyen et la commune d'Auvers-sous-Montfaucon et les observations de Me Giorno, substituant Me Deldique, représentant la société centrale éolienne de Montfaucon.
Une note en délibéré présentée par la société centrale éolienne de Montfaucon a été enregistrée le 12 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 juillet 2021, la société centrale éolienne de Montfaucon a saisi le préfet de la Sarthe d'une demande d'autorisation environnementale portant sur la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs d'une puissance maximale de 24 MW et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune d'Auvers-sous-Montfaucon. Un complément de dossier a été déposé le 8 mars 2022. Le 9 mai 2022, la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) des Pays-de-la-Loire a émis un avis. Par un arrêté du 27 septembre 2022, le préfet de la Sarthe a prescrit la réalisation d'une enquête publique qui s'est déroulée pendant la période du jeudi 20 octobre au lundi 21 novembre 2022 et à l'issue laquelle la commissaire-enquêteur s'est défavorablement prononcé le 20 décembre 2022. L'inspection des installations classées a émis un avis favorable à la demande d'autorisation dans un rapport du 16 février 2023. Par un arrêté du 23 avril 2023, le préfet de la Sarthe a délivré l'autorisation environnementale sollicitée. La commune d'Auvers-sous-Montfaucon et la communauté de communes de Loué-Brulon-Noyen ont présenté un recours gracieux le 23 juin 2023 qui a été rejeté par une décision du 2 août 2023. Ces deux collectivités demandent à la cour d'annuler l'arrêté du préfet de la Sarthe du 23 avril 2023 portant autorisation environnementale pour l'installation de cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire de la commune d'Auvers-sur-Montfaucon, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la société centrale éolienne de Montfaucon :
2. Aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement : " Sans préjudice de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration, les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15-1 peuvent être déférées à la juridiction administrative : (...) 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, dans un délai de deux mois à compter de : a) L'affichage en mairie dans les conditions prévues au 2° de l'article R. 181-44 ; b) La publication de la décision sur le site internet de la préfecture prévue au 4° du même article.(...) ". Il appartient au juge administratif d'apprécier si les tiers, personnes physiques, qui contestent une autorisation environnementale justifient d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux. Une personne morale de droit public ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge administratif une autorisation environnementale que dans les cas où les inconvénients ou les dangers pour les intérêts visés à l'article L. 181-3 sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue.
3. La commune de Auvers-sous-Montfaucon soutient en particulier que le projet litigieux serait visible depuis le centre de son bourg et serait ainsi de nature à troubler la tranquillité des habitants et la contraindrait à définir sa politique d'occupation des sols. Compte tenu des atteintes susceptibles de résulter de l'implantation du projet, situé à environ 600 mètres du centre de son bourg, la commune justifie d'un intérêt suffisant pour contester l'arrêté du 23 avril 2023. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt à agir de la communauté de communes de Loué-Brulon-Noyen, la fin de non-recevoir opposée par la société centrale éolienne de Montfaucon et tirée du défaut d'intérêt à agir ne peut qu'être écartée.
Sur la légalité de l'autorisation contestée :
En ce qui concerne l'impact paysager et la commodité du voisinage :
4. En vertu de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, l'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts notamment mentionnés à l'article L. 511-1 du même code. Aux termes de cet article : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".
5. Il résulte de ces dispositions que pour apprécier l'atteinte significative d'une installation à des paysages ou des sites, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la visibilité du projet depuis ces sites ou la co-visibilité du projet avec ces sites ou paysages. Pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à fonder l'autorisation environnementale ou les prescriptions spéciales accompagnant sa délivrance, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé, dans le second temps du raisonnement, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux mentionnés par cet article. Par ailleurs, la circonstance que les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle ou d'écrasement et de surplomb qu'il est susceptible de produire, puissent être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article.
6. Le projet s'inscrit dans l'unité paysagère des " Champagnes ondulées sarthoises ", offrant des paysages d'alternance composés de vallées bocagères et de plateaux et buttes cultivés, souvent boisés. Les motifs de la composition du paysage se trouvent à des échelles modestes qui les rendent sensibles au motif éolien. Le parc autorisé doit s'implanter à l'ouest du village d'Auvers-sous-Montfaucon, au sein d'un territoire déjà impacté par de grandes infrastructures, l'autoroute A81 étant situé au nord du village, l'autoroute A11 à 8 kilomètres au sud et la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes située entre ces deux autoroutes. Un parc éolien est également implanté à Tassillé. Enfin, le patrimoine historique et architectural est important aux abords immédiats du projet où se trouvent le château de Coulans, le château du Mirail, le manoir du Grand Cour, la ferme fortifiée de la Cassine, le manoir du Petit Béru, celui de Guiberne, le château des Bordeaux et le manoir de la Danière.
7. Au sein de l'aire d'étude rapprochée, l'habitat se compose de villages situés dans un périmètre de deux kilomètres autour du projet, soit celui d'Auvers-sous-Montfaucon à 500 mètres à l'est, celui de Longne à 700 mètres au nord, Tassillé à 1,1 kilomètre à l'ouest, celui de Crannes-en-Champagne à 1,3 kilomètre au sud-est et Chassillé à 2 kilomètres au nord-ouest, où vivent environ 1100 habitants. De plus, de nombreux hameaux et lieux de vie se situent dans l'aire d'étude immédiate, notamment dix-huit lieux de vie qui se situent à moins de 850 mètres d'une éolienne.
8. Les photomontages annexés à l'étude paysagère montrent que le bourg d'Auvers-sous-Montfaucon et de Longnes présentent des points de vue prégnants avec le parc éolien prévu et apparaissent fortement impactés alors même que le choix des points de vue retenus dans l'étude d'impact tend à atténuer cet impact par l'utilisation de masques visuels existants ou par une mise en retrait des habitations afin de limiter les effets d'écrasement. De même, les photomontages réalisés depuis différents lieux de vie au sein de l'aire d'étude immédiate montrent un impact important du parc projeté notamment sur les lieux dits B... A... à Crannes-en-Champagne, Pampoil, la Trillonière, la Cassine, la Berseronnerie et le Petit Monthébert. Ainsi et nonobstant le choix des points de vue, l'effet d'écrasement et la prégnance des éoliennes sont établis par les photomontages n° 1, 2, 3, 5, 6, 8, 10, 11, 12, 57 et 58 alors même que la co-visibilité entre le projet et le manoir du Petit Béru n'est pas certaine. En effet, le photomontage réalisé dans l'étude paysagère concernant le manoir du petit Béru, ne permet pas de faire ressortir la co-visibilité alors que celle-ci apparaît cependant sur le photo-montage produit par les requérants.
9. Par ailleurs, les mesures de réduction et de compensation mentionnées dans l'étude d'impact et consistant en la réduction de la hauteur des éoliennes initialement envisagées et la plantation de 453 mètres linéaires de haies ne permettent pas de limiter suffisamment l'impact du projet alors que d'une part les photomontages produits ont été réalisés avec le gabarit d'éolienne autorisé et d'autre part que les localisations des haies dont la plantation est prévu au titre des mesures compensatoires ne permettent pas de s'assurer d'une limitation suffisante de l'impact visuel des éoliennes.
10. Enfin, la mission régionale de l'autorité environnementale a reconnu l'existence de points de vue très prégnants sur le parc depuis la commune d'Auvers-sous-Montfaucon. Les services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ont également reconnu l'existence de visibilités ou co-visibilités importantes depuis les bourgs d'Auvers-sous-Montfaucon, Longnes et Crannes-en-Champagne. Le commissaire-enquêteur a émis un avis défavorable à la délivrance de l'autorisation pour la construction et l'exploitation de ce parc éolien dans son rapport du 20 décembre 2022 en faisant valoir la dégradation trop importante du milieu naturel, du paysage de la communauté de communes Loué-Brulon-Noyen qu'il a qualifié de " belle nature ", du patrimoine et particulièrement du milieu humain du fait de la trop grande proximité des éoliennes.
11. Ainsi, compte tenu à la fois de la hauteur des éoliennes autorisées, de la proximité immédiate de certaines habitations, du maillage de hameaux dans un rayon de moins d'un kilomètre, des photomontages produits au dossier et des caractéristiques du paysage bocager environnant ne permettant pas de masquer suffisamment l'effet d'écrasement et ce, malgré les mesures de réduction et de compensation prévues, l'autorisation litigieuse doit être regardée comme présentant pour la commodité du voisinage des inconvénients excessifs, qui ne sauraient être prévenus par des prescriptions spéciales, en méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :
12. Aux termes du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / (...) / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ".
13. Pour les motifs exposés ci-dessus, les inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage qu'emporte l'exploitation du parc éolien composé de cinq éoliennes constituent un vice qui n'apparaît pas régularisable par une autorisation modificative. Par suite, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions précitées de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la communauté de communes de Loué-Brulon-Noyen et la commune d'Auvers-sous-Montfaucon sont fondées à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Sarthe du 23 avril 2023.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'une part, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme globale de 1 500 euros à la commune d'Auvers-sous-Montfaucon au titre des frais liés à l'instance. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes de Loué-Brulon-Noyen et à la commune d'Auvers-sous-Montfaucon qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement des sommes que la société centrale éolienne de Montfaucon demande au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige soumis au juge.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Sarthe du 23 avril 2023 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera une somme globale de 1 500 euros à la commune d'Auvers-sous-Montfaucon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative et les conclusions de la société centrale éolienne de Montfaucon sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes de Loué-Brulon-Noyen et à la commune d'Auvers-sous-Montfaucon, à la société centrale éolienne de Montfaucon et au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Geffray, président,
- M. Penhoat, premier conseiller,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 novembre 2024.
Le rapporteur
S. VIÉVILLE
Le président
J-E GEFFRAY
La greffière
H. DAOUD
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23NT0318602