Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 juin 2022 de l'autorité consulaire française en Macédoine refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de travailleur salarié.
Par un jugement n° 2213049 du 26 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient qu'il existe un risque de détournement de l'objet du visa en l'absence d'adéquation entre les compétences du demandeur et l'emploi prévu et compte tenu de ses déclarations.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2023, M. A... B..., représenté par Me Guilbaud, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant kosovare né le 1er février 1979, a présenté une demande de visa de long séjour en qualité de travailleur salarié auprès des autorités consulaires françaises à Skopje (Macédoine). Par une décision du 16 juin 2022, ces autorités ont refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision implicite née le 7 septembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 26 juin 2023, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial, en qualité de visiteur, d'étudiant, de stagiaire ou au titre d'une activité professionnelle, et plus généralement tout type de séjour d'une durée supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Aux termes de l'article R. 5221- 20 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorisation de travail est accordée lorsque la demande remplit les conditions suivantes : / 1° S'agissant de l'emploi proposé : / a) Soit cet emploi relève de la liste des métiers en tension prévue à l'article L. 421-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et établie par un arrêté conjoint du ministre chargé du travail et du ministre chargé de l'immigration ; / b) Soit l'offre pour cet emploi a été préalablement publiée pendant un délai de trois semaines auprès des organismes concourant au service public de l'emploi et n'a pu être satisfaite par aucune candidature répondant aux caractéristiques du poste de travail proposé (...). ".
4. Il ressort des pièces du dossier que pour rejeter le recours de M. B... dirigé contre le refus de visa de long séjour sollicité en qualité de salarié, afin d'occuper en France un emploi de technicien polyvalent spécialité plaquiste, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, par renvoi aux motifs de la décision consulaire, sur le fait que les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions de séjour envisagé sont incomplètes et non fiables.
5. Il n'est pas contesté qu'à l'appui de sa demande de visa de long séjour, M. B... a présenté l'ensemble des pièces requises par les autorités consulaires. Par ailleurs, il n'est pas précisé par l'administration dans quelle mesure ces pièces ne seraient pas fiables pour fonder un refus de visa pour ce motif alors que seule une attestation d'une société kosovare est contestée. Par suite, et alors que le ministre ne défend pas la légalité du motif ainsi opposé, celui-ci ne pouvait légalement fonder la décision contestée.
6. Toutefois, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre fait valoir devant la cour un nouveau motif fondé sur le risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires. Et l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. La circonstance qu'un travailleur étranger dispose d'une autorisation de travail délivrée par le ministère de l'intérieur ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente refuse de lui délivrer un visa d'entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur tout motif d'intérêt général. Constitue un tel motif l'inadéquation entre l'expérience professionnelle et l'emploi sollicité et, par suite, le détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.
8. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de visa renseignée le 20 avril 2022 M. B... a indiqué qu'il était chef d'entreprise et qu'il exerçait une activité professionnelle de taxi. Par ailleurs, alors qu'il se prévaut d'un emploi de plâtrier-plaquiste exercé au Kosovo entre 2011 et 2015 puis entre 2018 et 2019, il s'est limité à produire une attestation non datée d'une société kosovare indiquant qu'il y a travaillé du 1er février 2018 au 20 mai 2019 en tant que maçon et autres travaux de construction. De plus, alors que le ministre établit que cette société n'a été enregistrée par les autorités kosovares que le 29 mai 2018, M. B... n'apporte aucun autre élément pour établir le caractère effectif de l'exercice allégué du métier de plâtrier-plaquiste au Kosovo. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que ce métier est une spécialité subordonnée à la présentation d'un diplôme, d'un titre de formation ou à défaut, d'une expérience professionnelle de trois années effectives sur le territoire de l'Union européenne, conditions que l'intéressé ne remplit pas, eu égard à ce qui a été dit précédemment. Par ailleurs, il est établi que l'intéressé, célibataire sans attache professionnelle ou personnelle établie au Kosovo, rejoint en France un frère chez qui il sera hébergé. Dans ces conditions, la commission de recours a pu légalement refuser le visa sollicité, en raison de l'absence d'adéquation de l'expérience professionnelle de l'intéressé à l'emploi proposé et du risque consécutif de détournement de l'objet du visa à d'autres fins que l'exercice de l'emploi autorisé.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes, s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur une erreur d'appréciation.
10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
11. L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
12. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". L'article D. 312-8-1 du même code, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours. ".
13. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.
14. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
15. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.
16. Il ressort de l'accusé de réception du recours formé par M. B... devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France qu'il a été informé de ce qu'en l'absence de réponse expresse sur celui-ci, son recours sera réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. Il résulte clairement de cette mention, et de ce qui a été dit au point 14 du présent arrêt, que la commission de recours a entendu s'approprier les motifs de la décision consulaire. En l'espèce, la décision consulaire se borne à indiquer que " les informations communiquées pour justifier les conditions du séjour sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables ". Elle ne comporte ainsi pas, de manière suffisamment précise, les considérations de fait permettant à l'intéressé de les contester utilement. Par suite, et alors que le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne conteste pas le caractère insuffisant de cette motivation, cette décision est intervenue en méconnaissance des dispositions législatives citées au point 11.
17. Enfin, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande de première instance, il résulte de tout ce qui précède que le motif fondant l'annulation de la décision de refus de visa opposée à M. B... tient à son insuffisante motivation et non pas à un motif de fond. En conséquence, l'annulation de la décision de refus de visa, compte tenu de son motif, n'implique pas la délivrance du visa de long séjour demandé. Par suite, il y a lieu, dans cette mesure, d'annuler l'article 2 du jugement attaqué et d'enjoindre au ministre de procéder au réexamen de cette demande de visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
18. Il résulte de tout ce qui précède d'une part, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué et, d'autre part, qu'il n'est pas fondé à se plaindre, pour le surplus, de ce que, par ce même jugement, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant le visa de long séjour sollicité par M. B....
Sur les frais d'instance :
19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme demandée au titre des frais exposés par M. B....
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2213049 du 26 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de visa présentée par M. B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02476