Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2024 par lequel le préfet du Finistère a refusé sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a astreint à se présenter une fois par semaine à la gendarmerie de Pleyber-Christ et à remettre l'original de son passeport.
Par un jugement n° 2400831 du 15 mai 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision, a enjoint au préfet du Finistère de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, le versement de la somme de 1 200 euros à la Selarl Valadou-Josselin et Associés, sous réserve que ce cabinet d'avocats renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juin 2024, le préfet du Finistère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 mai 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de
Rennes ;
3°) de lui rembourser le montant des frais versés en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le motif d'annulation retenu par les premiers juges n'est pas fondé : aucune méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être constatée en l'absence de motif exceptionnel ou de considération humanitaire et eu égard au large pouvoir d'appréciation reconnu à l'autorité administrative dans l'exercice de son pouvoir de régularisation à titre exceptionnel.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2024, M. A..., représenté par la SELARL Valadou-Josselin et Associés conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que les moyens présentés par le préfet du Finistère dans sa requête ne sont pas fondés.
M. A..., admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle en première instance, a été maintenu au bénéfice de cette aide en sa qualité d'intimé par une décision du 12 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les observations de Me Clairay, représentant M. A..., présent à l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, né selon ses déclarations le 4 février 2003 à Conakry, est entré irrégulièrement en France fin août 2018. Par une décision du 26 septembre 2018 qui n'a pas été contestée par l'intéressé, le conseil départemental du Morbihan a refusé sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. M. A... a alors été pris en charge par une association et accueilli dans une famille à compter du 10 juillet 2019. Le 28 septembre 2023, M. A... a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement des articles L. 422-1, L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 11 janvier 2024, le préfet du Finistère a refusé sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a astreint à se présenter une fois par semaine à la gendarmerie de Pleyber-Christ et à remettre l'original de son passeport. Par un jugement du 15 mai 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision. Le préfet du Finistère relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en août 2018, soit plus de cinq ans avant la décision litigieuse. Si sa demande tendant à son admission au bénéfice de l'aide sociale à l'enfance a été rejetée par une décision du 26 septembre 2018 du président du conseil départemental du Finistère, qui a estimé que les documents d'état civil qu'il présentait ne permettaient pas, en raison de leur irrégularité, d'établir son identité et sa minorité, il produit un jugement supplétif d'acte de naissance du 5 avril 2019, l'acte de naissance dressé le 7 mai 2019 suivant transcription de ce jugement, et une carte consulaire ainsi qu'un passeport qui lui ont été délivrés au cours de l'instance devant les premiers juges, en 2022 et 2023, par les autorités guinéennes. Aucun élément ne permet de mettre en doute l'authenticité de ces documents dont il ressort que M. A... est entré en France à l'âge de 15 ans et demi. Il ressort aussi des pièces du dossier que M. A... a été accueilli par une association puis, à compter du 10 juillet 2019, complètement pris en charge par une même famille d'accueil durant plus de quatre ans, ce qui lui a permis de s'engager dans un parcours scolaire dans lequel il a constamment progressé jusqu'à l'obtention, le 20 octobre 2023, du diplôme du baccalauréat professionnel spécialité Microtechniques avec la mention " bien ", recueillant tout au long de son parcours des témoignages particulièrement élogieux de ses enseignants et maîtres de stage. M. A... est, il est vrai, célibataire et sans enfant à charge, mais il a noué une relation sentimentale avec une jeune personne de nationalité française, dont il connaît les parents et la famille, qui l'apprécient et l'accueillent très régulièrement après l'avoir pris en charge durant plusieurs années. Ses perspectives d'insertion professionnelle sont établies par les qualités dont il a su faire preuve lors des stages qu'il a effectués dans le cadre de sa formation, qui se sont déroulés à la satisfaction des entreprises qui l'ont accueilli. Il a, en outre, exercé en qualité d'employé familial chez des proches de sa famille d'accueil de juin 2022 à février 2023, ainsi que d'octobre 2023 à décembre 2023, et il produisait à l'appui de sa demande de titre de séjour une promesse d'embauche en alternance dans le cadre du BTS " Conception des processus de réalisation de produits ", dans lequel il s'était inscrit, pour travailler à partir du mois de septembre 2023 dans le bureau d'études et l'atelier de production de l'entreprise ELV Rouleaux et Tambours Moteurs de Morlaix, accompagnée de la demande d'autorisation de travail adressée le 20 septembre 2023 par cette entreprise au service compétent, et également une autre proposition d'embauche par la société Enédis pour un contrat d'apprentissage sur la même période. Son installation à Brest avec sa compagne à l'été 2024, ainsi que les emplois qu'il a occupés comme ouvrier avicole en juillet et août 2024, de même que son recrutement comme technicien d'intervention polyvalent par la société Enédis à compter du 1er octobre 2024 et le renouvellement de la promesse d'embauche qui lui avait été faite par la société ELV Rouleaux et Tambours Moteurs, bien que postérieurs à la décision contestée et donc en principe sans incidence sur la légalité de celle-ci, révèlent une insertion et une intégration déjà acquises à la date de cette décision, qui sont également corroborées par les très nombreux témoignages de soutien émanant de ses professeurs, d'amis, de l'entourage de sa famille d'accueil ainsi que de plusieurs maîtres de stage et de plusieurs élus locaux, particulièrement circonstanciés, témoignant d'une large mobilisation en vue de la régularisation de sa situation, et révélant une intégration au sein de la société française pouvant être qualifiée de remarquable. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et dans les circonstances très particulières de l'espèce, en dépit des doutes émis par l'administration sur la réalité de l'abandon de M. A... par ses parents et sur la situation d'isolement familial et social auquel il serait confronté s'il devait retourner en Guinée, le préfet du Finistère a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant la régularisation à titre exceptionnel de M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu du jeune âge de l'intéressé à son arrivée en France, de sa situation scolaire à la date de la décision litigieuse, et des très sérieuses perspectives d'insertion qu'elle laissait alors présager. Le préfet n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 11 janvier 2024 en retenant ce moyen.
Sur les frais liés à l'instance :
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la Selarl Valadou-Josselin et Associés, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Selarl Valadou-Josselin et Associés de la somme de 1 200 euros hors taxe.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Finistère est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la Selarl Valadou-Josselin et Associés une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que la Selarl Valadou-Josselin et Associés renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à la Selarl Valadou-Josselin et Associés.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 24NT01774