Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Par une première requête enregistrée sous le n° 2302365, M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour et d'enjoindre à ce préfet de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois.
Par une seconde requête enregistrée sous le n° 2400026, ce même requérant a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2023 par lequel le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, et d'enjoindre à ce préfet de réexaminer sa situation ou de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois.
Par un jugement nos 2302365, 2400026 du 22 mars 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté les demandes de M. D... F....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 avril 2024 et le 9 octobre 2024, M. D... F..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2023 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant son pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de réexaminer sa demande ou de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision portant refus de séjour est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est entachée d'un défaut d'examen complet de sa situation faute de prise en compte de la situation de sa fille, exposée à un risque d'excision au Nigéria et actuellement demandeuse d'asile, ce qui lui confère un droit au maintien sur le territoire ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant et l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la demande d'asile de sa fille mineure, qui n'était pas née lorsqu'il a déposé sa propre demande d'asile, étant en cours d'examen.
Par des mémoires enregistrés les 27 septembre 2024 et 11 octobre 2024, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête de M. F....
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... F..., ressortissant nigérian né en 1980 à Awka (région d'Anambra au Nigéria), est entré irrégulièrement en France en décembre 2016. Une décision de réadmission vers l'Italie a été prise à son égard le 17 février 2017. Son recours contentieux contre cette décision a été rejeté en dernier lieu par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 30 mars 2018. M. F..., qui n'a pas été transféré en Italie et qui a été déclaré en fuite, a déposé le 10 octobre 2018 une demande d'asile, rejetée le 11 avril 2019 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et le 4 novembre 2019 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 5 décembre 2019, le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire français en fixant le Nigéria comme pays de destination mais M. F... s'est maintenu sur le territoire français. Il a sollicité trois ans après, le 26 décembre 2022, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il relève appel du jugement nos 2302365, 2400026 du 22 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de refus de lui délivrer un titre de séjour, et, d'autre part, des décisions expresses contenues dans un arrêté du 6 décembre 2023, par lesquelles le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination.
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ". Aux termes de l'article R. 435-1 du même code : " L'étranger qui sollicite l'admission exceptionnelle au séjour présente à l'appui de sa demande les pièces justificatives dont la liste est fixée par arrêté annexé au présent code. ". Cette annexe prévoit, pour la première délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 précité, outre les justificatifs prévus au point 1 de son paragraphe 66, la fourniture des : " - documents justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein d'un ou plusieurs organismes agréés pour l'accueil, l'hébergement ou le logement de personnes en difficultés (certificats de présence, relevés de cotisations) ; / - pièces justifiant du caractère réel et sérieux de l'activité et des perspectives d'intégration (diplômes, attestations de formation, certificats de présence, attestations de bénévoles, etc.) ; / - rapport établi par le responsable de l'organisme d'accueil (à la date de la demande) mentionnant l'agrément et précisant : la nature des missions effectuées, leur volume horaire, la durée d'activité, le caractère réel et sérieux de l'activité, vos perspectives d'intégration au regard notamment du niveau de langue, les compétences acquises, votre projet professionnel, des éléments relatifs à votre vie privée et familiale. ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par un étranger sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger, dont la présence en France ne doit pas constituer une menace pour l'ordre public, est accueilli dans un organisme de travail solidaire et justifie de trois années d'activité ininterrompue auprès d'un ou plusieurs organismes relevant de cette catégorie. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. F... a rejoint la communauté Emmaüs en décembre 2017 et justifiait ainsi, à la date à laquelle il a demandé sa régularisation, d'une activité au sein de cette structure depuis cinq ans, et depuis presque six ans à la date de la décision litigieuse. Il ressort du rapport établi par sa structure d'accueil, l'association Emmaüs 14, que M. F..., après avoir été initialement employé à l'accueil des donateurs au dépôt, travaille à la valorisation des dons, principalement pour le secteur " vaisselle/bibelot " de la salle de Caen, avec un volume horaire de 39 heures par semaine du mardi au samedi, ses tâches consistant à trier et mettre en valeur les objets, gérer les ventes plusieurs fois par semaine, et recevoir les clients et les donateurs. Selon ce rapport, qui souligne la bonne intégration de ce compagnon dans la communauté, son implication, sa polyvalence et son sérieux dans le travail, ainsi que l'acquisition d'une " certaine expertise " dans son secteur, M. F... s'occupe aussi plusieurs fois par mois de la préparation des repas de l'antenne de Caen, s'investissant dans la cuisine en gérant les stocks, en élaborant des menus et en préparant les repas. Toutefois, bien que ce rapport souligne les qualités d'organisation et d'autonomie de M. F... au sein de la communauté qui l'accueille depuis six ans, il n'est pas fait état, s'agissant des perspectives d'intégration de l'intéressé, sauf par l'indication qu'" il bénéficie des cours hebdomadaires de français " et qu'" il a progressé au niveau de la langue française ", d'un engagement dans des formations qualifiantes ou professionnalisantes ou dans des activités complémentaire hors de la communauté Emmaüs lui permettant d'asseoir, par l'acquisition d'une expérience, son orientation vers un métier ou d'établir de sérieuses perspectives d'insertion professionnelle. Sur ce point, l'expérience de restaurateur que M. F... soutient avoir acquise dans son pays d'origine pendant cinq ans et qu'il souhaite consolider par une formation en CAP ainsi que l'existence d'une pénurie de main d'œuvre dans ce secteur en France et particulièrement en Normandie ne sont pas suffisantes, de même que l'attestation qu'il produit, démontrant qu'il a été accueilli en stage durant douze jours dans un restaurant de Caen en septembre 2024, soit très postérieurement à la décision litigieuse. Ainsi, le préfet du Calvados a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, refuser de délivrer à M. D... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En deuxième lieu, si le requérant fait valoir qu'il entretient une relation avec une compatriote et que deux jeunes enfants sont nés de cette relation, un garçon le 24 janvier 2022 et une fille le 18 septembre 2023, il ne justifie pas de l'existence d'une communauté de vie avec ses enfants ni d'une contribution à leur entretien, les actes de naissance produits mentionnant des adresses différentes pour les deux parents, M. F... restant domicilié chez Emmaüs à Caen ou Douvre-La-Délivrande en banlieue nord de cette ville, et Mme E... G... à Rouen ou Quincampoix (Seine-Maritime), sans que soit rapportée la preuve de séjours ou de déplacements réguliers des intéressés pour se rejoindre en un même lieu, même si une seule attestation de Mme G... du 20 novembre 2022, date à laquelle le couple n'avait encore qu'un seul enfant, fait état de déplacements " les week-ends, les jours fériés et les congés et dès que possible " pour vivre en famille et voir son fils. Surtout, Mme G..., ressortissante nigériane comme M. F..., ne dispose que d'un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour et ne justifie pas d'un droit au séjour durable sur le territoire français, malgré l'enregistrement d'une demande d'asile qu'elle a présentée pour sa fille C... B... âgée de quelques mois, née en 2023, en raison d'un risque allégué d'excision au Nigéria. L'attestation de demande d'asile de la fille du requérant et le rendez-vous médical versés au dossier ne mentionnent que la mère de l'enfant et n'établissent pas l'association à cette démarche du requérant. Enfin, si celui-ci, qui a vécu au Nigéria jusqu'à l'âge de 36 ans soutient que ses parents sont décédés, il ne l'établit pas. Dans ces conditions, le préfet du Calvados n'a pas porté au droit de M. F... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Pour les mêmes motifs, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la décision attaquée sur sa situation personnelle et familiale.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, l'arrêté litigieux indique que M. F... se déclare en couple avec une compatriote, qu'il est père d'un enfant de nationalité nigériane né en 2022 et qu'il ne justifie pas d'une communauté de vie ni d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Si le requérant fait valoir l'absence de prise en compte, dans l'acte attaqué, de l'attestation de demandeur d'asile délivrée le 26 octobre 2023 pour sa fille, le préfet fait valoir, sans être contredit, qu'il n'avait pas été informé de cette démarche de demande d'asile engagée par la mère de l'enfant et cette ignorance, n'est, par suite, pas de nature à caractériser un défaut d'examen complet de la situation de M. F... par l'autorité compétente.
7. En deuxième lieu, malgré les déclarations de reconnaissance anticipée de paternité en mairie de ses enfants A... et C... B... en 2022 et 2023, et les documents produits en tout dernier lieu par le requérant, attestant d'une inscription à partir du 1er septembre 2024 des deux enfants en centre multi accueil à Caen, en vertu d'un contrat mentionnant comme premier responsable Mme G..., avec l'indication d'un domicile de celle-ci à Caen dans un centre d'accueil d'urgence, et comme second responsable M. F... lui-même, il n'est pas justifié par le requérant d'une vie commune avec ses enfants, ni de sa contribution à leur entretien et à leur éducation depuis leur naissance. M. F... n'est, par suite, pas fondé à se prévaloir de la demande d'asile enregistrée pour sa fille et d'une méconnaissance par le préfet du Calvados de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile garantissant au responsable d'un enfant mineur dont la demande d'asile est en cours d'examen un droit au maintien sur le territoire de l'étranger jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile le concernant.
8. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le cadre de l'examen de la légalité du refus de séjour, M. F... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en décidant de l'obliger à quitter le territoire français.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. (...) ". Il résulte de ces stipulations, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
10. Ainsi qu'il a déjà été exposé ci-dessus, M. F... ne justifie pas d'une communauté de vie ni d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 2023 par lequel le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Ses conclusions à fin d'annulation et, par voie de conséquence, celles à fin d'injonction et relatives aux frais d'instance doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. D... F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01183