Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'ordonner, avant-dire droit, la désignation d'un expert en vue d'identifier la ou les cause(s) à l'origine des inondations et désordres affectant ses propriétés en raison de l'écoulement des eaux pluviales et de condamner la commune de L'Huisserie à lui verser une somme de 198 007 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019, en réparation des préjudices qu'il a subis.
Par un jugement n° 2005552 du 21 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2024, M. A... B..., représenté par Me de Folleville, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 novembre 2023 ;
2°) d'ordonner, avant-dire droit, la désignation d'un expert en vue d'identifier la ou les cause(s) à l'origine des inondations et désordres affectant ses parcelles en raison de l'écoulement des eaux pluviales ;
3°) de condamner la commune de L'Huisserie à lui verser une somme de 98 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019, avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices subis ;
4°) de mettre à la charge de la commune de L'Huisserie les honoraires et frais de l'expertise à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de la commune de L'Huisserie le versement d'une somme de
3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité tenant à l'omission des premiers juges à statuer sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée une expertise avant dire droit ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu une prescription partielle de sa créance, alors que, d'une part, s'agissant d'un préjudice à caractère continu et évolutif, ce n'est pas la date du fait générateur qui compte, et, d'autre part, des réclamations régulières ont interrompu la prescription quadriennale ;
- la responsabilité de la commune est engagée pour faute, cette collectivité ayant méconnu ses obligations figurant aux articles L. 2212-2 5° et L. 2224-10 du code général des collectivités territoriales ; le ruissellement naturel des eaux pluviales a été significativement aggravé par les agissements et carences de la commune ;
- il est fondé à demander l'indemnisation des pertes de loyers de ses bâtiments de ferme à hauteur de 60 000 euros, de ses pertes de rendement agricole à hauteur de 18 000 euros, et des frais de débardage des arbres déchaussés et abattus du fait des inondations à hauteur de 8 500 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2024, la commune de L'Huisserie, représentée par Me Blanquet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement n'est entaché d'aucune omission à statuer ;
- les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité de la commune à raison de prétendus manquements dans la gestion des eaux pluviales sur son domaine privé et fondées sur l'article 640 du code civil relèvent manifestement de la compétence du juge judiciaire et ne pourront qu'être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente ;
- les demandes portant sur un fait générateur antérieur au 1er janvier 2015 sont prescrites ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,
- et les observations de Me Idlas, représentant la commune de L'Huisserie.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... est propriétaire d'un ensemble foncier composé des domaines agricoles de " La Houssaye " et de " La Perrine ", sur le territoire de la commune de L'Huisserie (Mayenne). En 2005, cette commune a constitué une réserve foncière par l'acquisition de parcelles auprès de M. B... et de ses frères. Un protocole d'accord a été signé le 29 octobre 2005, prévoyant une correction des écoulements pluviaux par la mise en place d'un busage à la charge de la commune. Par un acte de vente du 2 décembre 2009, M. B... a cédé à la commune de L'Huisserie les parcelles cadastrées section AH nos 202, 204, 206, 208, 211, 213, 214, 61, 1554, 1556 et 1558 nécessaires à la réalisation d'un lotissement communal, le lotissement de " La Perrine ". Ces terrains ont été laissés à la disposition de leur propriétaire, à titre gratuit, jusqu'à la date de début des travaux en janvier 2014. M. B..., resté propriétaire des terrains à usage agricole situés entre la rivière Mayenne et la réserve foncière contenant le lotissement, située en amont, déclare avoir constaté sur ses propriétés, dès 2007 mais plus encore après la réalisation du lotissement, des inondations et dégradations dues à des écoulements pluviaux. Par une réclamation préalable du 30 décembre 2019, il a sollicité l'indemnisation des préjudices subis en raison de fautes qui auraient été commises par la commune de L'Huisserie, consistant en la réalisation tardive d'une clôture prévue dans l'acte de vente du 2 décembre 2009, ainsi qu'en une défaillance de la collectivité dans la gestion des eaux pluviales. Par une décision du 9 avril 2020, la commune a rejeté cette demande. M. B... relève appel du jugement du 21 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête tendant à la condamnation de la commune de L'Huisserie à l'indemniser des préjudices qu'il soutient avoir subis.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative, " Les jugements sont motivés ", le juge n'est pas tenu d'expliciter son refus de procéder à une mesure d'instruction. Par suite, alors que les juges de première instance ont retenu au point 10 de leur jugement que les conclusions indemnitaires qui leur étaient présentées devaient être rejetées sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait, dans cette mesure, entaché d'une irrégularité.
Sur la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 2224-10 du même code : " Les communes ou leurs établissements publics de coopération délimitent, après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement : / (...) / 3° Les zones où des mesures doivent être prises pour limiter l'imperméabilisation des sols et pour assurer la maîtrise du débit et de l'écoulement des eaux pluviales et de ruissellement ".
4. M. B... soutient que le ruissellement naturel des eaux pluviales sur ses propriétés a été significativement aggravé par les agissements de la commune consistant dans le raccordement, en 2001, des écoulements des gouttières de la salle polyvalente et des drains du lotissement de " L'Aître au Royer " (140 logements) vers les fossés agricoles de La Houssaye, dans l'imperméabilisation, en 2006, du rond-point des écoles et la concentration des écoulements des eaux pluviales de cette zone vers ses propriétés, et dans la mise en place, en 2014, dans le cadre des travaux de viabilisation du lotissement de la Perrine, d'un exutoire des eaux pluviales en bordure de la ferme du même nom afin d'y diriger le trop-plein du bassin de rétention créé à cette occasion. Il identifie et décrit trois " écoulements " qui seraient à l'origine des inondations et stagnations d'eau sur les terres et à proximité des bâtiments dont il est propriétaire : un " écoulement centre (chemin agricole de la Houssaye)", aggravé par le raccordement d'arrivées d'eau en provenance des gouttières de la salle polyvalente et des drains du lotissement de " L'Aître au Royer ", et qui inonde les trois bâtiments de la ferme de la Houssaye ; un " écoulement sud ", aggravé à partir de 1990 par le développement des installations de sport et de loisirs de la commune, qui passe par un petit étang dont la digue a cédé en 2016 sous l'effet de l'accroissement des débits en inondant les fonds inférieurs ; un " écoulement nord " aggravé par l'urbanisation des zones correspondant aux lotissements de " L'Aître au Royer " (1995) et de " La Perrine " (2014) et alimenté par la construction d'un bassin d'orage équipé d'un exutoire se déversant dans un fossé dont les eaux inondent les bâtiments de la ferme de la Perrine et les abords du château du même nom et gâtent une vingtaine d'hectares de terres agricoles rendues inexploitables pendant six mois de l'année.
5. Toutefois, d'une part, le requérant ne caractérise pas des inondations d'une nature ou d'une importance telles qu'elles auraient nécessité la mise en œuvre par le maire de la commune de l'Huisserie des pouvoirs de police qu'il détient en vertu du 4° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales cité au point 4. La responsabilité de la commune ne peut donc être engagée sur le fondement de ces dispositions à raison d'un manquement du maire à son obligation de mise en œuvre de ces pouvoirs.
6. D'autre part, sauf dispositions législatives contraires, le transfert de compétences par une collectivité territoriale à un établissement public de coopération intercommunale, effectué sur le fondement des dispositions du code général des collectivités territoriales, implique la substitution de plein droit de cet établissement à la collectivité dans l'ensemble de ses droits et obligations attachés à cette compétence, y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert. Par suite, la responsabilité de la commune de L'Huisserie, sur le fondement de l'article L. 2224-10 du code général des collectivités territoriales, à raison d'éventuelles fautes commises dans la gestion des eaux pluviales ne saurait être engagée alors qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté que la compétence en la matière a été transférée en 2019 à la communauté d'agglomération Laval Agglomération, dont le requérant ne met pas en cause la responsabilité.
7. Enfin, il résulte de l'instruction que les inondations dont se plaint le requérant, dues au ruissellement des eaux pluviales le long de ses propriétés et sur celles-ci sont antérieures à la construction du lotissement de La Perrine en 2014. M. B... en avait d'ailleurs lui-même fait état par des courriers adressés à la commune de L'Huisserie en 2001 et 2005. Les parcelles de ce propriétaire se trouvent en effet sur un terrain en pente, sur le flanc Est d'une crête située entre la partie agglomérée de la commune de L'Huisserie, construite sur le plateau, et la rivière Mayenne. Ce versant draine les eaux de trois bassins versants sur lesquels les eaux pluviales ruissellent naturellement vers trois petits cours d'eau affluents de la Mayenne. Ainsi, les ruissellements en provenance du lotissement de " La Perrine " vers les propriétés de M. B... sont dus à la configuration et à la topographie des lieux. Or les articles L. 2212-2 et L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales n'ont ni pour objet ni ne sauraient avoir pour effet d'imposer aux communes et aux communautés de communes compétentes la réalisation de réseaux d'évacuation pour absorber l'ensemble des eaux pluviales ruisselant sur leur territoire. En outre, les constats d'huissier effectués en 2007, 2014, 2020 et 2021 ne permettent pas d'établir une aggravation de ces inondations après la réalisation du lotissement communal ou d'autres travaux engagés par la commune ou autorisés par celle-ci. En se bornant à dénoncer les agissements de cette collectivité et une méconnaissance par celle-ci des dispositions citées au point 3 ou de son obligation, résultant des articles 640 et 641 du code civil, d'indemniser l'aggravation de la servitude naturelle d'écoulement des eaux sur ses terrains, le requérant n'établit pas l'existence d'un lien de causalité entre la réalisation du lotissement et des travaux décrits ci-dessus au point 5 et les troubles dont il fait état. Il en résulte que ses conclusions tendant à la réparation de ses préjudices au motif de l'engagement de la responsabilité de la commune de L'Huisserie, que ce soit sur le fondement de la responsabilité pour faute ou sur celui de la responsabilité pour faute, ne peuvent être accueillies.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire droit l'expertise sollicitée par M. B..., que ce requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Ses conclusions indemnitaires et par voie de conséquence, ses conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies. Il n'y a pas lieu, d'autre part, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la commune de L'Huisserie tendant à ce qu'une somme lui soit accordée sur le même fondement au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1e : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de L'Huisserie fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de L'Huisserie.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au préfet de la Mayenne, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00183