Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre le Syndicat départemental d'électricité des Côtes-d'Armor et la société Enédis à leur verser la somme de 135 498 euros, assortie des intérêts avec capitalisation, en réparation du préjudice que leur ont causé les dysfonctionnements affectant le réseau électrique.
Par un jugement n° 2102178 du 16 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande des époux C....
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 juillet 2023 et 17 janvier 2024, M. et Mme B... C..., représentés par la SELARL Valadou-Josselin et associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 mai 2023 ;
2°) de condamner solidairement ou l'un à défaut de l'autre le Syndicat départemental d'électricité des Côtes-d'Armor et la société Enédis à leur verser la somme de 135 498 euros, assortie des intérêts avec capitalisation, en réparation du préjudice que leur ont causé des dysfonctionnements affectant le réseau électrique ;
3°) de mettre à la charge du Syndicat départemental d'électricité des Côtes-d'Armor et de la société Enédis la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête ne peut être considérée comme tardive et ils ne peuvent être regardés comme ayant renoncé à leur recours ;
- leur créance n'est pas prescrite, même pour partie, dès lors que le point de départ de la prescription quadriennale, seule opposable, se situe en 2013, année au cours de laquelle, au plus tôt, ils ont pu découvrir les causes de leurs préjudices et en apprécier l'importance, et alors en outre que la prescription a été interrompue en 2015 par le versement d'une indemnité effectué à leur bénéfice par le SDE ;
- la responsabilité des personnes qu'ils mettent en cause est engagée pour faute, mais aussi sans faute, dès lors qu'ils sont tiers à l'ouvrage public défectueux ou que, s'ils devaient être considérés comme usagers, l'ouvrage public est un ouvrage exceptionnellement dangereux ; en outre, la responsabilité des mis en cause est engagée pour défaut d'entretien normal ;
- s'agissant du lien de causalité entre les dommages et l'ouvrage public, le rapport d'expertise met en évidence la possibilité de courants vagabonds vers l'exploitation agricole, ainsi que l'absence, pour le déplacement du transformateur effectué en 1983, d'autre justification technique que le souci d'éviter la survenance de ces courants vagabonds ; la distance entre la zone de déplacement du poteau en 2011 et l'emplacement de la stabulation n'est pas un obstacle à la propagation de courants vagabonds dont l'experte sapiteure admet qu'ils ont un impact sur les animaux d'élevage ;
- la sapiteure vétérinaire a admis que le taux de cellules excessivement élevé constaté sur la durée de la période d'observation de l'exploitation peut être un témoin du stress engendré par des courants parasites ;
- les préjudices dont ils demandent réparation ne peuvent être imputés au caractère vétuste de leur installation électrique ;
- leur perte d'exploitation a été chiffrée à la somme de 90 498 euros et le trouble dans leurs conditions d'existence, le préjudice moral et le préjudice lié à la dégradation de leur état de santé doivent être évalués à 70 000 euros, toutes sommes dont il convient de déduire le montant de somme 25 000 euros qui leur a déjà été versé.
Par des mémoires enregistrés les 10 octobre 2023 et 2 février 2024, le Syndicat départemental d'électricité des Côtes-d'Armor, représenté par Me Collet, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête des époux C... ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Enédis à le garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge à la charge de M. et Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la demande de première instance était irrecevable dès lors, d'une part, qu'elle était tardive compte tenu de demandes préalables indemnitaires présentées les 18 décembre 2008 et 8 octobre 2013, et, d'autre part, que les requérants ont renoncé à toute poursuite contentieuse à son égard par un courrier du 26 juin 2014 ;
- l'éventuelle créance des requérants est atteinte par la prescription ;
- sa responsabilité ne pourra être engagée en l'absence de mise en cause d'un ouvrage public à l'origine des préjudices invoquées ; si l'expert n'exclut pas l'hypothèse purement théorique selon laquelle le transformateur a pu être le siège de courants vagabonds, comme d'ailleurs toute installation électrique, toutefois, l'existence de tels courants vagabonds n'est pas rapportée et le lien de causalité avec les préjudices invoqués n'est pas démontré ;
- les requérants ne démontrent ni l'existence du lien de causalité entre l'ouvrage public et les prétendues pertes financières, ni la réalité desdites pertes ;
- si par extraordinaire sa responsabilité venait à être engagée, il conviendrait de condamner la société Enédis à le garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
Par des mémoires enregistrés les 24 octobre 2023 et 5 février 2024, la Société Enédis, représentée par Me Maudet, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête des époux C... ;
2°) de mettre à la charge à la charge de M. et Mme C... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les demandes indemnitaires des requérants concernent une créance atteinte par la prescription quel que soit le fondement de prescription retenu ;
- les requérants ont déjà été indemnisés par le SDE, moyennant leur renonciation à tout recours ;
- aucun lien de causalité entre les ouvrages mis en cause et les préjudices invoqués n'est établi ;
- l'existence de préjudices moral, professionnel, de santé et de troubles dans les conditions d'existence est affirmée sans qu'aucun élément justificatif de ces préjudices ne soit apporté.
M. et Mme C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
-le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,
- et les observations de Me Clairay, représentant M. et Mme C..., D..., représentant la société Enédis, et de Me Kerrien, représentant le Syndicat départemental d'électricité des Côtes-d'Armor.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C..., éleveurs à Lanrodec (Côtes-d'Armor), exposent avoir été confrontés depuis le début des années 1980 à diverses difficultés affectant leur exploitation agricole, notamment une dégradation des rendements laitiers, une baisse de fécondité de leur cheptel, des malformations et une mortalité anormale des animaux nouveaux-nés, ce qui a eu pour effet des pertes d'exploitation et des difficultés de paiement de leurs fermages qui ont conduit à la résiliation des baux ruraux dont ils étaient titulaires. Ils ont également constaté l'augmentation de ces difficultés à partir de 2000, et qu'ils souffraient, de même que leur fils et leur fille, de problèmes de santé. Attribuant la cause de tous ces problèmes à la proximité d'un transformateur alimentant leurs bâtiments et à des anomalies dans le fonctionnement du réseau électrique, ils ont obtenu du Syndicat départemental d'électricité (SDE) des Côtes-d'Armor qu'il déplace le transformateur à une distance d'environ 25 mètres, puis qu'il procède, entre 2010 et 2012 à divers travaux sur l'installation, afin d'éloigner la liaison de la terre des masses et la terre du neutre du réseau à proximité de leur habitation, travaux à la suite desquels ils ont constaté une amélioration de la situation. Le 8 octobre 2013, ils ont adressé au SDE une demande indemnitaire préalable en vue d'obtenir réparation des préjudices qu'ils imputaient aux défauts du réseau public d'électricité et le SDE a accepté de leur verser la somme de 25 000 euros. Les intéressés ont eux-mêmes signé le 26 juin 2014 un courrier par lequel ils " certifi[aient] sur l'honneur renoncer à toute poursuite contentieuse ". Le 23 mars 2017, ils ont néanmoins demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'ordonner une expertise au contradictoire du SDE et des sociétés Enédis et EDF, à laquelle il a été fait droit, et M. E..., expert énergéticien, a été désigné en qualité d'expert et Mme A..., vétérinaire, en qualité de sapiteure. L'expert ayant rendu son rapport le 24 septembre 2019, M. et Mme C... ont demandé le 23 décembre 2020 au SDE et à la société Enédis l'indemnisation de leurs préjudices à hauteur d'une somme de 135 498 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation mais il ne leur a pas été donné satisfaction ni même répondu. Ils relèvent appel du jugement du 16 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à a condamnation solidaire, ou de l'un à défaut de l'autre, du SDE des Côtes-d'Armor et de la société Enédis à leur verser cette indemnité.
Sur la responsabilité de la société Enédis et du Syndicat départemental d'électricité des Côtes-d'Armor :
2. Les époux C... demandent réparation des préjudices résultant selon eux de courants vagabonds provenant d'un poste de transformation longtemps installé à proximité de leur exploitation agricole et de dysfonctionnements des éléments constitutifs du réseau public d'électricité alimentant leur habitation et leur exploitation. Ces dommages imputés au fonctionnement d'un ouvrage public et dont la source ne se situe pas dans un branchement particulier, sont sans lien avec la fourniture d'électricité et les époux C... ont la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public qu'ils mettent en cause.
3. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel. Toutefois, ce n'est que si un lien de causalité entre cet ouvrage et les dommages invoqués est établi que le maître de l'ouvrage sera tenu de réparer le préjudice subi.
4. Il résulte de l'instruction que, après une visite et un examen des parties publiques et privées du dispositif d'alimentation en électricité des bâtiments d'élevage et d'habitation des requérants et de leur famille, l'expert conclut son rapport en énonçant que " aussi bien sur le réseau public que le réseau privé, il n'est pas possible d'affirmer que ces réseaux ont été le siège de courants vagabonds durant la période de sinistre alléguée par le demandeur ". Si la possibilité de tels courants n'est pas exclue par l'expert, et si celui-ci évoque un " risque potentiel d'évacuation de courants vagabonds vers l'exploitation ", qu'il relie à la présence du transformateur en haut de poteau H61, avant son éloignement des zones d'habitation et d'élevage, la survenance, au cas particulier, de tels phénomènes électriques ainsi que leurs effets sur les personnes et les animaux ne sont pas démontrés, compte tenu également d'autres causes possibles de dysfonctionnements identifiées par l'expert et sa sapiteure. D'une part, le premier a relevé l'existence de liaisons électriques aériennes et souterraines réalisées de façon " approximative " à l'initiative des époux C... entre les différents bâtiments pour " amener l'électricité en chaque lieu " et qui n'ont pas été faites dans les règles de l'art et le respect des normes, notamment s'agissant de leur dimensionnement et de leur protection à partir de calculs de chute de tension et de capacité d'échauffement des câbles et des conducteurs. D'autre part, la sapiteure, vétérinaire, si elle reconnaît que des courants électriques parasites peuvent perturber le comportement et le métabolisme des animaux, n'a pas repéré une causalité certaine, ni même probable, entre les problèmes de fécondité, de rendement ou de qualité laitière dont se plaignent les époux C... et des phénomènes électriques intempestifs, notant aussi d'autres causes possibles, telles que des problèmes d'hygiène générale de la traite, de logement des animaux (qualité de litière), de qualité de l'ensilage, notant ensuite que les données auxquelles elle a accédé " sont insuffisantes pour appréhender le statut sanitaire de l'élevage " et " analyser l'évolution des frais vétérinaires ", remarquant enfin que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la situation de l'exploitation ne s'est pas améliorée après 2012 à la suite des travaux effectués par le SDE des Côtes-d'Armor et que " la mortalité des veaux perdure sur 2013, que la référence laitière n'est pas atteinte de 2013 à de 2016 [et] que la production par vache laitière diminue de 2012 à 2016 ! " soit après la réponse apportée aux causes de leurs dommages identifiées par les requérants.
5. Il résulte de ce qui précède, en l'absence de constatations et d'investigations faites en temps utile, contemporaines de la survenance des dysfonctionnements électriques invoqués et des dommages qui leur sont imputés, que, comme l'ont estimé les premiers juges, aucun lien de causalité direct et certain ne peut être retenu entre la présence sur une longue période du transformateur électrique litigieux ou des dysfonctionnements du réseau public d'électricité et les problèmes rencontrés par l'exploitation des époux C..., ni d'ailleurs avec les autres préjudices invoqués par ceux-ci, tenant aux problèmes de santé et troubles dans les conditions d'existence auxquels ils ont été confrontés, de sorte que les requérants ne sont pas fondés à demander l'indemnisation de leurs préjudices par la société Enédis et le SDE des Côtes-d'Armor. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les exceptions de chose transigée et de prescription opposées en défense, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDE des Côtes-d'Armor ou de la société Enédis, qui ne sont pas parties perdantes, la somme que M. et Mme C... sollicitent sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du SDE des Côtes-d'Armor et de la société Enédis présentées à l'encontre de M. et Mme C... au titre des frais qu'ils ont exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le Syndicat départemental d'électricité des
Côtes-d'Armor et la société Enédis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. et Mme B... C..., au Syndicat départemental d'électricité des Côtes-d'Armor et à la Société Enédis.
Copie en sera transmise pour information à l'expert.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02176