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05/11/2024 | FRANCE | N°24NT01663

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 05 novembre 2024, 24NT01663


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 29 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates et d'enjoindre à celui-ci, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation.



Par un jugement n° 2405969 du 6 mai 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal adminis

tratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral, et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réex...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 29 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates et d'enjoindre à celui-ci, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2405969 du 6 mai 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral, et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 5 juin 2024 sous le n° 24NT01663, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 6 mai 2024 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme B....

Il soutient que l'agent ayant mené l'entretien de Mme B... doit être considéré comme étant une personne habilitée et qualifiée conformément à l'article 5 du règlement Dublin III et qu'aucun autre moyen soulevé par Mme B... n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2024, Mme B..., représentée par Me Guérin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme B... soutient que le moyen soulevé par le préfet n'est pas fondé.

Mme B... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 septembre 2024.

II. Par une requête, enregistrée le 5 juin 2024 sous le n° 24NT01665, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 6 mai 2024.

Il soutient que l'agent ayant mené l'entretien de Mme B... doit être considéré comme étant une personne habilitée et qualifiée conformément à l'article 5 du règlement Dublin III.

Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2024, Mme B..., représentée par Me Guérin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme B... soutient que le moyen soulevé par le préfet n'est pas fondé.

Mme B... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 août 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, relative à l'aide juridictionnelle ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- et les observations de Me Guerin pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante russe née le 1er juin 1953, déclarant être entrée irrégulièrement en France, en dernier lieu, le 15 février 2024, s'est présentée en préfecture le 27 février 2024 pour solliciter son admission au séjour au titre de l'asile. Elle a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de l'arrêté du 29 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates au motif que celles-ci sont responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 6 mai 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral, et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de Maine-et-Loire, d'une part, fait appel de ce jugement et, d'autre part, demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.

2. Ces deux recours sont dirigés contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour se prononcer par un même arrêt.

Sur la requête n° 24NT01663 :

En ce qui concerne le moyen accueilli par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

4. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par Mme B... qu'elle a bénéficié le 27 février 2024, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. La seule circonstance que l'agent qui a conduit cet entretien est seulement identifié par la mention " Préfecture de la Loire-Atlantique - L'agent habilité ", sa signature et ses initiales manuscrites ainsi que la mention manuscrite " agent qualifié ", ne permet pas de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Enfin, il ressort du compte-rendu de cet entretien, effectué en russe, avec l'aide d'un interprète, eu égard aux détails précis qu'il expose, qu'il a permis à Mme B... de faire état des informations utiles. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté et c'est à tort que le premier juge a accueilli ce moyen pour annuler l'arrêté contesté.

5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif et devant la cour.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme B... :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est vu remettre, le 27 février 2024, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile, les brochures A et B, en langue russe qu'elle a déclaré comprendre, conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, dont elle a signé les pages de garde, qui contiennent les informations prescrites par les dispositions précitées. Mme B... a signé un compte-rendu d'entretien indiquant que les informations contenues dans ces brochures ont été portées oralement à sa connaissance. Enfin, il ressort de ce document que Mme B... a eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans une structure de pré-accueil. Par conséquent, son droit à l'information résultant de l'article 4 précité du règlement n° 604/2013 n'a pas été méconnu.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen (...) ". Aux termes de l'article 7 du même règlement, inclus dans son chapitre III relatif aux critères de détermination de l'Etat membre responsable : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...) ". Aux termes de l'article 13 de ce règlement : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. (...). ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ". Aux termes du 5 de l'article 20 du même règlement : " L'État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu (...) de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l'État membre responsable. / Cette obligation cesse lorsque l'État membre auquel il est demandé d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable peut établir que le demandeur a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d'au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d'un autre État membre. (...) ".

10. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

11. Il est constant que la demande de reprise en charge de Mme B... auprès des autorités croates a été présentée au titre du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, imposant la reprise en charge du demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre, mais a été acceptée explicitement par ces autorités le 14 juin 2023 sur le fondement de l'article 20, paragraphe 5, de ce règlement. Si en ayant quitté le territoire croate pour la France, Mme B... peut être réputée avoir implicitement retiré cette demande, elle reste néanmoins dans le champ des dispositions du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement précité. Le préfet pouvait ainsi saisir, sur le fondement de ces dispositions, les autorités croates d'une demande de reprise en charge et décider au vu de leur accord du transfert de l'intéressée en Croatie. Cette substitution de base légale, qui n'a pour effet de priver l'intéressée d'aucune garantie dès lors que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions, peut être admise. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'un défaut de base légale ou d'une erreur de droit à raison d'une saisine irrégulière des autorités croates doit, en tout état de cause, être écarté.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 16 du règlement du 26 juin 2013 : " Lorsque, du fait d'une grossesse, d'un enfant nouveau-né, d'une maladie grave, d'un

handicap grave ou de la vieillesse, le demandeur est dépendant de l'assistance de son enfant, de ses frères ou sœurs, ou de son père ou de sa mère résidant légalement dans un des États

membres, (...), les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant, ce frère ou cette sœur, ou ce père ou cette mère, à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine, que l'enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère ou le demandeur soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit. ". Mme B... produit des documents médicaux attestant qu'elle souffre d'un diabète de type II, d'hypertension artérielle et d'asthme associé. Elle n'établit cependant pas, par la seule production d'un certificat médical daté de 2024, non étayé, que son état nécessiterait l'assistance d'un membre de sa famille résidant légalement dans un Etat-membre au sens des dispositions précitées en se bornant à faire état d'un soutien matériel, financier et d'une assistance dans ses rendez-vous de suivi médical. Par suite, l'intéressée n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 16 du règlement du 26 juin 2013. Ce moyen doit dès lors être écarté.

13. En quatrième et dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

15. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier ni des termes de l'arrêté contesté que le préfet de Maine-et-Loire ait entaché cet arrêté d'un défaut d'examen particulier de la situation personnelle de Mme B... et, particulièrement, de sa vulnérabilité.

16. D'autre part, si Mme B... soutient qu'en cas de transfert vers la Croatie, elle risque d'être éloignée, par ricochet, vers son pays d'origine, la Russie, dans la région du Daghestan, où elle encourt des traitements inhumains et dégradants contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ces circonstances qui ne sont pas susceptibles de caractériser la méconnaissance par la Croatie de ses obligations quant au traitement de sa demande de protection sont inopérantes. La requérante, par la seule production de rapports généraux et de données statistiques, n'établit ni l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Croatie à la date de l'arrêté litigieux, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'elle ne pourrait y faire valoir tout nouvel élément concernant tant sa situation personnelle que celle qui sévit en Russie. Si l'intéressée souffre d'un diabète de type II, d'hypertension artérielle et d'asthme associé, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne pourrait pas bénéficier en Croatie de soins adaptés et du suivi nécessaire à son état de santé et que le transfert n'aurait pas lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante son état de santé. En outre, si Mme B..., qui a vécu l'essentiel de son existence en Russie, fait état de la présence en France de son enfant majeur et de ses petits-enfants, elle ne justifie pas de la nécessité de leur assistance au quotidien, contrairement à ce qu'elle soutient. Ainsi, elle n'est pas fondée, en tout état de cause, à soutenir qu'elle pourrait bénéficier d'un titre de séjour de plein droit. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire au §2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aux articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 29 mars 2024 pris à l'encontre de Mme B... et lui a enjoint de réexaminer sa situation.

Sur la requête n° 24NT01665 :

18. Dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions du recours du préfet de Maine-et-Loire tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme B... sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête enregistrée sous le n° 24NT01665 tendant au sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 6 mai 2024.

Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 6 mai 2024 est annulé.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Me Guérin et à Mme A... B....

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 24NT01663,24NT01665


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01663
Date de la décision : 05/11/2024

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : GUERIN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;24nt01663 ?
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