Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... et la société Le Safir ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 17 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à Casablanca (Maroc) refusant de délivrer à Mme C... un visa de long séjour en qualité de salariée.
Par un jugement n° 2206673 du 10 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 août et 19 septembre 2023, Mme B... C... et la société Le Safir, représentées par Me Régent, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans un délai de 15 jours ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à Mmes A... et C... de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ou, si l'aide juridictionnelle leur était accordée, le versement de cette somme à leur conseil sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elles soutiennent que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il a fait droit à une demande de substitution de motif nonobstant sa tardiveté au regard de la clôture d'instruction ;
- le risque de détournement de l'objet du visa opposé n'est pas établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Mme C... n'a pas été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 8 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- et les observations de Me Régent, représentant Mme C... et la société Le Safir.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante marocaine née en 1980, a déposé une demande de visa de long séjour auprès de l'autorité consulaire française à Casablanca (Maroc) en se prévalant d'une autorisation de travail pour un contrat à durée indéterminée conclu avec la société Le Safir, établie à Vence. Cette demande a été rejetée par une décision consulaire du 17 janvier 2022. Le recours formé contre ce refus devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née le 25 avril 2022. Par un jugement du 10 juillet 2023, dont Mme C... et la société Le Safir relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision implicite.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu et d'une part, dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser.
3. D'autre part, lorsqu'il décide de soumettre au contradictoire une production de l'une des parties après la clôture de l'instruction, le juge doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Lorsque le délai qui reste à courir jusqu'à la date de l'audience ne permet plus l'intervention de la clôture automatique trois jours francs avant l'audience prévue par l'article R. 613-2 du code de justice administrative, il appartient au président de la formation de jugement, qui, par ailleurs, peut toujours, s'il l'estime nécessaire, fixer une nouvelle date d'audience, de clore l'instruction ainsi rouverte.
4. Il ressort des pièces du dossier que dans l'instance engagée par Mme C... et la société Le Safir devant le tribunal administratif de Nantes, l'instruction a été close le 9 décembre 2022 par une ordonnance du 13 octobre précédent. Le 15 décembre 2022, le premier mémoire en défense du ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui comprenait une demande de substitution de motif, a été enregistré au greffe du tribunal, communiqué aux demandeuses, et réceptionné par elles le 19 décembre 2022. La communication de ce mémoire a eu pour effet de rouvrir l'instruction et de soumettre le mémoire du ministre au débat contradictoire. L'instruction a ensuite été close, en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, trois jours francs avant la date de l'audience qui s'est tenue le 12 juin 2023. Par suite, c'est sans irrégularité que le jugement attaqué a pu faire droit à la demande de substitution de motif demandée par l'administration pour rejeter la demande de Mme C... et de la société Le Safir.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser le visa sollicité par Mme C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif opposé par les autorités consulaires françaises au Maroc, tiré de ce que " les informations communiquées pour justifier les conditions de séjour sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables. ". Ce motif a été censuré par les premiers juges, qui ont néanmoins rejeté la demande de Mme C... après avoir fait droit à la demande de substitution de motif, présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, tiré du risque de détournement de l'objet du visa en raison de l'inadéquation entre le profil de la demandeuse de visa et l'emploi sollicité.
6. Statuant sur l'appel du demandeur de première instance dirigé contre un jugement qui a rejeté ses conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.
7. D'une part, aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial, en qualité de visiteur, d'étudiant, de stagiaire ou au titre d'une activité professionnelle, et plus généralement tout type de séjour d'une durée supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24. ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorisation de travail est accordée lorsque la demande remplit les conditions suivantes : / 1° S'agissant de l'emploi proposé : / a) Soit cet emploi relève de la liste des métiers en tension prévue à l'article L. 421-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et établie par un arrêté conjoint du ministre chargé du travail et du ministre chargé de l'immigration ; / b) Soit l'offre pour cet emploi a été préalablement publiée pendant un délai de trois semaines auprès des organismes concourant au service public de l'emploi et n'a pu être satisfaite par aucune candidature répondant aux caractéristiques du poste de travail proposé (...). ".
9. La circonstance qu'un travailleur étranger dispose d'une autorisation de travail délivrée par le ministère de l'intérieur ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente refuse de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France, dès lors que l'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. S'agissant en particulier du risque de détournement de l'objet du visa, le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l'appréciation portée par l'administration en cas de refus de visa fondé exclusivement ou notamment sur l'absence d'adéquation de la qualification et de l'expérience professionnelle du demandeur avec l'emploi proposé.
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a sollicité la délivrance d'un visa afin d'occuper un emploi de cuisinière. Afin d'attester de sa qualification et de son expérience professionnelles l'intéressée a produit une unique attestation de travail indiquant qu'elle a travaillé en qualité de commis de cuisine du 1er février au 31 décembre 2021 au sein d'un restaurant situé au Maroc ainsi que des photographies la représentant en cuisine et présentant divers plats qu'elle aurait confectionnés. Si l'intéressée se prévaut également d'un emploi de cuisinière en Arabie Saoudite pendant dix-huit mois, elle ne l'établit pas. Enfin la production d'une attestation d'une chambre régionale marocaine d'artisanat selon laquelle elle " exerce le métier de fabrication artisanale de pâtes alimentaires et de couscous en tant qu'artisan " est dans ce contexte insuffisante. Au surplus, cette attestation ayant été délivrée le 18 juillet 2023, soit après la décision contestée, elle est sans incidence sur la légalité de cette dernière. Par suite, les éléments du dossier n'établissent pas que Mme C... disposerait de la qualification et de l'expérience suffisantes pour occuper l'emploi de cuisinière, objet de sa demande de visa. Dans ces conditions, la commission a pu légalement refuser d'accorder le visa sollicité, eu égard à l'absence d'adéquation de la qualification et de l'expérience professionnelle de l'intéressée à l'emploi proposé et du risque consécutif de détournement de l'objet du visa à d'autres fins que l'exercice de l'emploi autorisé.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... et la société Le Safir ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... et de la société Le Safir est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à la société Le Safir et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 octobre 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02436