Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... B..., agissant en son nom et en tant que représentant légal de son jeune frère A... C... B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires à Téhéran (Iran) du 22 février 2022 refusant de délivrer un visa de long séjour au titre de la réunification familiale au jeune A... C... B....
Par un jugement n° 2208963 du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 mars 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. D... C... B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le jeune A... C... B... n'est pas éligible au bénéfice de la réunification familiale ;
- le motif tiré de ce que M. B... ne dispose pas de l'autorité parentale sur son frère substitué au motif de la décision contestée est de nature à légalement la fonder ;
- la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2023, M. D... C... B... et M. A... C... B..., représentés par Me Pollono, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
M. D... C... B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 août 2023.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que, en s'abstenant de rediriger les conclusions de la demande de première instance vers la décision du 21 juillet 2022, et en annulant la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, alors que cette décision avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique, le tribunal administratif de Nantes a entaché son jugement d'une irrégularité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dubost,
- les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono représentant M. D... C... B... et M. A... C... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C... B..., ressortissant afghan né le 16 janvier 1992, s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire par décision du 18 février 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le 24 novembre 2021, son épouse, sa fille et son frère, le jeune A... C... B..., né le 4 avril 2005, ont sollicité auprès des autorités consulaires françaises à Téhéran (Iran), la délivrance de visas de long séjour, demande acceptée le 24 février 2022 pour son épouse et leur fille, mais refusée pour le frère de M. D... C... B... par une décision du 22 février 2022. Le recours formé contre cette décision de rejet a été implicitement rejeté par une décision née du silence gardé pendant plus de deux mois par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Puis, par une décision explicite du 21 juillet 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté le recours de M. D... C... B.... Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 mars 2023 annulant la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et lui enjoignant de délivrer le visa de long séjour sollicité.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde.
3. Il en résulte que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... dans sa demande de première instance, regardées comme dirigées contre la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision consulaire, devaient être regardées comme dirigées contre la décision du 21 juillet 2022, mentionnée par le demandeur dans ses écritures, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a explicitement rejeté ce recours. Or le tribunal a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, alors que celle-ci avait disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique. Il s'ensuit que le tribunal s'est mépris sur la portée des conclusions dont il était saisi et a ainsi entaché son jugement d'irrégularité. Le jugement doit par suite être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... C... B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 21 juillet 2022 :
5. Ainsi qu'il a été dit au point 3, les conclusions à fin d'annulation présentées par M. D... C... B..., dirigées initialement contre la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 21 juillet 2022 par laquelle cette commission a explicitement rejeté son recours.
6. Il ressort des termes de ladite décision que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Téhéran, sur la circonstance que M. A... C... B..., en sa qualité de frère de M. D... C... B..., n'est pas éligible au bénéfice de la réunification familiale.
7. En premier lieu, M. D... C... B... soutient que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ne pouvait implicitement rejeter sa demande comme irrecevable sans solliciter préalablement la régularisation de son recours. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que par une décision explicite du 21 juillet 2022, la commission de recours a rejeté la demande de M. B... au motif qu'il ne remplissait pas les conditions prévues pour bénéficier de la réunification familiale et non comme étant irrecevable. Le moyen ne peut donc qu'être écarté comme inopérant.
8. En deuxième lieu, il ne ressort pas de la décision contestée que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, qui a estimé que la décision de refus de visa ne méconnaissait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, se serait crue liée par la circonstance que M. B... ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la procédure de réunification familiale. Le moyen doit donc être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. M. A... C... B..., frère de M. D... C... B... qui s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, a sollicité la délivrance d'un visa au titre de la réunification familiale. Si les parents de M. D... C... B... et de M. A... C... B... sont décédés, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que M. D... C... B..., qui a quitté l'Afghanistan immédiatement après le décès de son père, se serait occupé de son frère avant son départ. Par ailleurs, les pièces du dossier, à savoir, outre les déclarations de M. D... C... B..., des preuves de virements à des tiers, d'échanges électroniques et de témoignages de tiers rencontrés après son arrivée en France, ne permettent pas d'établir que M. A... C... B... serait à la charge effective de son frère, ni que ce dernier assurerait à son égard les fonctions de tuteur. En outre, alors qu'il est constant que M. A... C... B... a été accueilli après le décès de ses parents par un tiers, il n'est pas démontré ni même allégué que cet hébergement ne pourrait se poursuivre. Enfin, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que M. A... C... B... serait isolé en Afghanistan où réside toujours sa sœur. Dans ces conditions, la décision contestée n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 21 juillet 2022.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision du 21 juillet 2022 présentées par M. D... C... B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de M. D... C... B... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2208963 du 31 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande de M. D... C... B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D... C... B... et à M. A... C... B....
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 octobre 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFETLa greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01262