Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... et Mme E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 28 janvier 2020 de l'autorité consulaire française à Kigali (République du Rwanda) refusant de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2204207 du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 février et 5 mai 2023, Mme D... et Mme C..., représentées par Me Regent, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 2 mars 2022 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elles soutiennent que :
- la décision contestée de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est entachée d'erreur de droit au regard des articles L. 561-2 et L. 434-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne conditionnent pas l'éligibilité de l'enfant adopté à la réunification familiale à l'antériorité de l'adoption par rapport au dépôt de la demande d'asile du parent adoptif ;
- cette décision viole le principe d'unité familiale consacré par la convention de Genève de 1951 et les directives 2003/86/CE et 2011/95/UE ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état-civil, dont le caractère probant a été admis par le ministre de l'intérieur en première instance, et par les éléments de possession d'état qu'elles produisent ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle a été refusé à Mme D... par une décision du 22 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Bâle du 3 septembre 1985 relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative aux réfugiés ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- et les observations de Me Regent, pour Mme D... et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante burundaise née le 18 août 1984, qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du 27 septembre 2018 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et Mme C..., ressortissante burundaise née le 27 janvier 2004, sa fille adoptive alléguée, ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision du 2 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 28 janvier 2020 des autorités consulaires françaises à Kigali rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour Mme C... au titre de la réunification familiale. Elles relèvent appel du jugement du 25 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". L'article L. 561-4 dudit code dispose que les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint (...). ". Enfin, aux termes de l'article L. 434-5 de ce code : " L'enfant pouvant bénéficier du regroupement familial est l'enfant ayant une filiation légalement établie, y compris l'enfant adopté, en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger. ".
3. D'autre part, l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Pour refuser de délivrer le visa sollicité par Mme C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur deux motifs tirés, premièrement, de ce que l'intéressée n'entre pas dans le champ de la réunification familiale dès lors que son adoption par Mme D... est postérieure à l'introduction de la demande d'asile de cette dernière et, deuxièmement, de ce que l'identité et le lien de filiation de Mme C... ne sont pas établis en ce que l'extrait d'acte de naissance produit à l'appui de la demande de visa n'est pas apostillé et que le jugement d'adoption n'est pas conforme à la législation locale, et en l'absence d'éléments de possession d'état probants.
7. En premier lieu, pour établir l'identité et le lien de filiation de Mme C..., ont été produits un extrait de l'acte de naissance établi, sous le n° 66 du 2ème volume, par le bureau d'état-civil de la commune de Ntahangwa (Burundi), qui atteste de la naissance de l'intéressée le 27 janvier 2004 à Bujumbura, de Mme F... C... et de père inconnu, ainsi qu'un jugement du tribunal de grande instance de Ntahangwa du 22 avril 2021, prononçant l'adoption de l'intéressée par Mme D....
8. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention relative à la coopération internationale en matière d'aide administrative aux réfugiés, signée à Bâle le 3 septembre 1985, ratifiée et entrée en vigueur en France : " Sont dispensés de toute légalisation ou de toute formalité équivalente sur le territoire de chacun des Etats liés par la présente Convention, les documents concernant l'identité et l'état civil produits par les réfugiés et qui émanent de leurs autorités d'origine. ". D'une part, le rapport explicatif annexé à cette convention précise que l'apostille figure parmi les formalités équivalentes à la légalisation mentionnées par cet article. D'autre part, Mme C... s'est vu reconnaître la qualité de réfugié au Rwanda par les autorités de ce pays ainsi que par le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Ainsi, en application des stipulations précitées, l'extrait d'acte de naissance de Mme C... n'est pas soumis à la formalité de l'apostille.
9. D'autre part, si la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a relevé un défaut de conformité du jugement d'adoption à l'article 31 de la loi burundaise n° 1/004 du 30 avril 1999 portant modification des dispositions du code des personnes et de la famille relatives à la filiation adoptive, sans préciser au demeurant en quoi consisterait cette non-conformité, les dispositions de l'article invoqué régissent la transcription des jugements d'adoption et non ces jugements eux-mêmes et ne peuvent donc être méconnues par ce jugement. Le caractère frauduleux de ce jugement n'est dès lors pas établi.
10. Dès lors, en rejetant la demande de visa au motif que l'identité de Mme C... et son lien de filiation avec Mme D... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 3 ci-dessus.
11. En second lieu, il ressort des termes mêmes du 3° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que ces dispositions ouvrent un droit à réunification pour les enfants non mariés de la personne bénéficiaire d'une protection internationale n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire, sans subordonner ce droit au fait que cette qualité d'enfant ait été acquise antérieurement à la date d'introduction de la demande d'asile du réunifiant. Ainsi, en rejetant la demande de visa formée pour Mme C... au motif que son adoption par Mme D... est postérieure à la date à laquelle cette dernière a formé sa demande d'asile, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mmes D... et C... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
Sur les frais liés au litige :
14. Mme D... n'ayant pas été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les conclusions présentées à son profit sur le fondement des dispositions de cet article et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 25 novembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 2 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour Mme C... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00331