La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/2024 | FRANCE | N°23NT01060

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 15 octobre 2024, 23NT01060


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... épouse C... et M. D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours dirigé contre la décision du 11 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à Oran (Algérie) refusant de délivrer à M. E... D... un visa de court séjour.



Par un jugement n° 2209019 du 13 fé

vrier 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de reco...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... épouse C... et M. D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours dirigé contre la décision du 11 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à Oran (Algérie) refusant de délivrer à M. E... D... un visa de court séjour.

Par un jugement n° 2209019 du 13 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. D... le visa demandé dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la décision contestée est fondée sur l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires ;

- elle est fondée sur l'insuffisance des ressources du demandeur et de l'accueillant.

La requête a été communiquée le 10 mai 2023 à M. D..., lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 13 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à M. D... un visa de court séjour. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum (...) ". Aux termes de l'article 21 du règlement (CE) du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas : " 1. Lors de l'examen d'une demande de visa uniforme, (...) une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale (...) que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d'expiration du visa demandé. ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. (...) le visa est refusé : (...) / b) s'il existe des doutes raisonnables sur (...) la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. (...) le visa est refusé : (...) / b) s'il existe des doutes raisonnables sur (...) la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ".

3. L'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires.

4. M. D..., ressortissant algérien né le 30 juillet 2002, a demandé un visa de court séjour pour rendre visite à sa mère, Mme C..., laquelle réside régulièrement en France avec son second époux et les trois enfants nés de cette union respectivement en 2010, 2012 et 2019. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D..., né d'une précédente union, ait d'autres membres de sa famille en Algérie. A la date de la décision contestée, M. D... était inscrit en deuxième année de licence en sciences et technologies à l'université d'Oran après avoir toutefois échoué à valider l'ensemble des matières de la première année de licence. De plus, il ressort des pièces du dossier, notamment des billets d'avion achetés par M. D... que celui-ci a prévu son séjour du 25 janvier au 8 février 2022 alors même que ces dates ne correspondent pas à une période de vacances universitaires. Dans ces conditions, la commission de recours n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer le visa sollicité en raison de l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler le refus de visas en litige, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.

Sur les autres moyens invoqués par M. D... :

7. En premier lieu, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".

8. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". L'article D. 312-8-1 du même code, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours ".

9. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.

10. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.

11. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.

12. Il ressort de l'accusé de réception du recours formé par M. D... devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France qu'il a été informé de ce qu'en l'absence de réponse expresse sur celui-ci, son recours sera réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision des autorités consulaires contestée. Cette dernière est intervenue sur le formulaire annexé au règlement (CE) du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas et prévoyant les différentes hypothèses dans lesquelles le visa de court séjour peut être refusé. Cette décision consulaire mentionne qu'" il existe des doutes raisonnables quant à votre volonté de quitter le territoire des états membres avant l'expiration du visa. ".

13. Il résulte de ce qui précède que la décision contestée de la commission doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale des autorités consulaires à Oran et que M. D... peut utilement faire valoir que la décision en litige est insuffisamment motivée sans avoir à solliciter préalablement la communication des motifs de celle-ci.

14. Dans le cas présent, la mention selon laquelle le refus de visa est fondé sur l'existence de doutes raisonnables quant à l'absence de volonté de M. D... de quitter le territoire français avant l'expiration de son visa est constitutive d'une motivation permettant à l'intéressé, d'une part, d'identifier le motif de ce refus compte tenu également des pièces qu'il a nécessairement produites à l'appui de sa demande de visa, dont certaines sont précisées à l'annexe II du règlement du 13 juillet 2009, et, d'autre part, et en conséquence, de le discuter utilement. Toutefois, la décision en litige, si elle est ainsi suffisamment motivée en fait, ne comporte aucune considération de droit permettant à M. D... d'identifier le cadre juridique dans lequel elle est intervenue et, par suite, elle est insuffisamment motivée en droit.

15. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Si M. D... fait valoir son souhait de rendre visite en France à sa famille, il n'est pas allégué que ces derniers ne pourraient lui rendre visite en Algérie. Par suite, et eu égard à la nature du visa sollicité, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le refus de visa de court séjour litigieux porterait une atteinte disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale normale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale.

16. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que le motif fondant l'annulation de la décision de refus de visa opposée à M. D... tient à son insuffisante motivation en droit et non pas à un motif de fond. En conséquence, l'annulation de la décision de refus de visa, compte tenu de son motif, implique seulement que la demande de visa de court séjour soit réexaminée. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

17. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'intérieur est seulement fondé à demander l'annulation de l'injonction de délivrance prononcée à l'article 2 du jugement attaqué et, d'autre part, qu'il n'est pas fondé à se plaindre, pour le surplus, de ce que, par ce même jugement, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant le visa de court séjour sollicité par M. D....

D E C I D E :

Article 1er : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa de court séjour présentée par M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 2 : L'article 2 du jugement n° 2209019 du 13 février 2023 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'intérieur et le surplus des conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 2301060


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01060
Date de la décision : 15/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : CAZANAVE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-15;23nt01060 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award