Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... et Mme B... F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 8 juin 2023 par lesquels le préfet de la Loire-Atlantique leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office lorsque le délai sera expiré.
Par un jugement n°s 2309355, 2309359 du 21 février 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs requêtes.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée sous le n° 24NT00689 le 6 mars 2024, M. D... représenté par Me Philippon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 21 février
2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 8 juin 2023, par lequel le préfet de Loire-Atlantique l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 25 euros par jour de retard ou subsidiairement, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation au regard de son droit au séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à Me Philippon en application des dispositions des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L 761-1 du code de justice administrative, à défaut, de lui verser directement cette somme en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement :
- l'expédition du jugement n'est pas revêtu de toutes les signatures ;
- il n'est pas établi que le président du tribunal administratif de Nantes aurait autorisé
Mme A... à statuer à sa place sur les litiges visés à l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la magistrate désignée a omis de statuer sur le moyen tiré de l'illégalité de la décision fixant le pays de destination au regard de l'article 4 la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
S'agissant de la décision portant obligations de quitter le territoire français :
- la décision doit être annulée dès lors qu'il peut se prévaloir d'un droit au séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, subsidiairement, en ce que la décision méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- la décision doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mai 2024, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
II - Par une requête enregistrée sous le n° 24NT01592 le 29 mai 2024, Mme F... représentée par Me Philippon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 21 février
2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 8 juin 2023, par lequel le préfet de Loire-Atlantique l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays dont elle a la nationalité comme pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 25 euros par jour de retard ou subsidiairement, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation au regard de son droit au séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à Me Philippon en application des dispositions des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L 761-1 du code de justice administrative, à défaut, de lui verser directement cette somme en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement :
- l'expédition du jugement n'est pas revêtu de toutes les signatures ;
- il n'est pas établi que le président du tribunal administratif de Nantes aurait autorisé Mme A... à statuer à sa place sur les litiges visés à l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la magistrate désignée a omis de statuer sur le moyen tiré de l'illégalité de la décision fixant le pays de destination au regard de l'article 4 la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
S'agissant de la décision portant obligations de quitter le territoire français :
- la décision méconnait les dispositions des articles 41 et 51 de la Charte de l'Union européenne ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- la décision doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 juin 2024, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
M. D... et Mme F... ont été admis à l'aide juridictionnelle totale par décisions du 24 avril 2024 et du 13 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Viéville a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., ressortissante géorgienne née le 9 octobre 1985 et M. D..., ressortissant géorgien né le 22 juillet 1984, ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 8 juin 2023 par lesquels le préfet de la Loire-Atlantique leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 21 février 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes. Mme F... et M. D... relèvent appel de ce jugement.
2. Les requêtes n° 24NT00689 et 24NT01592 introduites respectivement par M. D... et Mme F... sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul jugement.
Sur la régularité du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-8 du code de justice administrative : " (...) Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience ". Il ressort de la minute du jugement que celle-ci comporte la signature de la magistrate désignée du tribunal administratif et celle de la greffière de l'audience. Par suite les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait irrégulier sur ce point.
4. En deuxième lieu, le jugement attaqué fait état de la désignation, par le président du tribunal, de Mme A... pour statuer sur les recours dont le jugement relève des dispositions litiges de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette mention est suffisante pour établir la compétence de la magistrate désignée. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.
5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la magistrate désignée n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, invoqué par M. D... et Mme F... et tiré de ce que la décision fixant le pays de destination méconnait le droit protégé par les stipulations de l'article 4 de la Chartre des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le jugement attaqué doit, en raison de cette omission, être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre cette décision.
6. Il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. D... et Mme F... dirigées contre la décision fixant le pays de destination et par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur leurs autres conclusions présentées devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la légalité des obligations de quitter le territoire :
7. En premier lieu, le moyen tiré de la violation du droit d'être entendu et de bénéficier d'une procédure contradictoire tel qu'il résulte des articles 41 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par la magistrate désignée du tribunal administratif.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
9. M. D... et Mme F... font valoir qu'ils sont entrés en France avec leurs enfants en octobre 2021, qu'ils n'ont jamais troublé l'ordre public, ont toujours fait preuve d'une capacité d'intégration exceptionnelle et ont pu nouer des amitiés solides sur le territoire. Ils relèvent aussi que leurs enfants sont scolarisés. Cependant, les requérants pour justifier de leur intégration produisent seulement une attestation d'une connaissance et ne font état d'aucune autre relation familiale ou amicale sur le territoire français. Il suit de là qu'au regard du caractère encore récent de la présence des requérants sur le territoire à la date des décisions attaquées, soit vingt mois, M. D... et Mme F... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions attaquées ont porté atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale tel que protégé par le stipulations et dispositions rappelées au point 7.
10. En troisième lieu, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les enfants du couple formé par Mme F... et M. D... ne pourraient pas poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine ou qu'ils seraient séparés de leurs parents en raison de la décision attaquée, le moyen tiré de la violation du droit protégé par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit, être écarté.
Sur la légalité des décisions fixant la Géorgie comme pays de renvoi :
11. En premier lieu, les décisions portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulées, Mme F... et M. D... ne sont pas fondés à demander l'annulation par voie de conséquence des décisions fixant la Géorgie comme pays de destination.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
13. M. D... et Mme F... font valoir que M. D... a fait l'objet de persécutions après avoir refusé d'user de sa notoriété locale afin de réunir une centaine de votes en faveur du parti politique " Rêve Géorgien " à l'occasion des élections municipales organisées en octobre 2021 et qu'ils ont quitté la Géorgie en raison des pressions exercées pour ce motif sur M. D..., alors même qu'ils étaient bien insérés socialement et économiquement dans leur pays d'origine. Cependant, à l'exception d'une attestation du frère de M. D..., les requérants ne produisent aucun élément de nature à montrer qu'ils auraient été victimes de pressions et qu'ils seraient de ce fait en danger en Géorgie, alors, ainsi qu'il a été dit, que l'OFPRA et la CNDA ont rejeté leurs demandes d'asile. Par suite, faute d'établir que M. D... et Mme F... encourraient personnellement, en cas de retour dans leur pays, des risques pour leur vie ou leur liberté ou qu'ils y seraient exposés à des traitements inhumains ou dégradants, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions citées au point précédent ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et Mme F... ne sont pas fondés, d'une part, à demander l'annulation des arrêtés du 8 juin 2023 du préfet de la Loire-Atlantique en tant qu'ils fixent le pays de destination et, d'autre part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°s 2309355, 2309359 du 21 février 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre les arrêtés du préfet de la Loire-Atlantique du 8 juin 2023 en tant qu'ils fixent le pays de destination.
Article 2 : Les conclusions de M. D... et Mme F... présentées devant le tribunal administratif de Nantes et tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Loire-Atlantique du
8 juin 2023 en tant qu'ils fixent le pays de destination ainsi que le surplus des conclusions présentées en appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et Mme B... F... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur
S. VIÉVILLELe président de chambre
G. QUILLÉVÉRÉ
La greffière
A. MARCHAIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°s 24NT00689,24NT0159202