Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EURL Le Donegal a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.
Par un jugement n° 2000620 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 juillet 2023 et 22 mars 2024, l'EURL Le Donegal, représentée par Me Gavet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que l'administration a rejeté sa comptabilité au motif qu'elle n'était pas probante ;
- la reconstitution du chiffre d'affaires des " solides " doit être fondée sur une étude de marge produit par produit et une pondération de ces marges au regard des achats permettant de calculer une marge moyenne ; elle est radicalement viciée ou excessivement sommaire ;
- le taux de perte des bières à la pression doit être porté à 22 % au lieu de 7 % qui a été retenu par l'administration ;
- le taux de pertes et offerts doit être porté à 8 % sur les autres produits liquides au lieu de 5 % qui a été retenu par l'administration ;
- la consommation de son personnel, soit 12 euros hors taxes par jour et par personne, basée sur le prix d'une consommation de burger et de sodas, doit être portée à 8 880 euros pour l'année 2013, 9 540 euros pour l'année 2014 et 9 000 euros pour l'année 2015, au lieu des montants retenus par l'administration, soit respectivement 3 619 euros, 3 650 euros et 3 726 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 février et 5 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'EURL Le Donegal ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Geffray,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Le Donegal, qui exploite une activité de débit de boissons et de restauration simple, de vente de jeux et d'enregistrement de paris en lien avec la société La Française des Jeux et de vente accessoire de tabac à
La Roche-sur-Yon, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2013, 2014 et 2015, au cours de laquelle l'administration a écarté sa comptabilité dès lors qu'elle n'était pas probante et a procédé à la reconstitution des recettes pour l'ensemble de la période vérifiée. Par une proposition de rectification du 14 décembre 2016, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été notifiés au titre des exercices et périodes vérifiés. Après une modification des rectifications par l'administration à la suite d'un avis partiellement défavorable à celle-ci, émis le 19 avril 2018 par la commission départementale des impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires, les impositions litigieuses en résultant ont été mises en recouvrement le 12 septembre 2018, pour un montant total en droits et pénalités de 119 971 euros, conformément à l'avis de la commission. L'administration fiscale a rejeté la réclamation présentée par l'EURL Le Donegal par une décision du 19 novembre 2019. Celle-ci a demandé au tribunal administratif de Nantes la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. Par un jugement du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. L'EURL Le Donegal relève appel de ce jugement.
Sur le rejet de la comptabilité :
2. Il ne résulte pas de l'instruction que des tickets Z quotidiens, des doubles de tickets délivrés aux clients, des enregistrements sur le disque dur de la caisse enregistreuse lors de la vérification de comptabilité pour justifier les recettes de l'EURL Le Donegal ont été présentés pendant la vérification. Alors même que la caisse aurait disparu avant le début du contrôle sur place du fait d'un vol à la suite d'un cambriolage dans l'établissement donnant lieu à un dépôt de plainte enregistré le 10 octobre 2016, selon le gérant, aucune exploitation des données issues d'une mémoire de sauvegarde ou des enregistrements sur le système d'une telle mémoire n'a pu être effectuée. Les justificatifs de recettes présentés au service se sont caractérisés par une absence de détail des produits vendus tant au regard de la diversité des produits achetés auprès des fournisseurs que des produits proposés à la clientèle. Certains comptes bancaires ouverts au nom de l'EURL ne figuraient pas en comptabilité, affectant ainsi l'ensemble des opérations bancaires retracées au bilan. Compte tenu de ces éléments, c'est à bon droit que l'administration a rejeté la comptabilité de l'EURL comme non probante en raison des graves irrégularités dont elle est entachée compte tenu notamment de l'absence de justifications détaillée des recettes déclarées sur chacun des exercices vérifiés et d'un manque d'information complète.
Sur la reconstitution du chiffre d'affaires :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales :
" Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. (...) ". Il résulte de ces dispositions, conformément à leur finalité, que l'administration fiscale doit être regardée comme ayant établi l'imposition conformément à l'avis exprès de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires lorsqu'elle ne s'écarte, le cas échéant, de cet avis, que dans une mesure favorable au contribuable. Il en résulte également, lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités, que la charge de la preuve incombe au contribuable dès lors que l'administration doit ainsi être regardée comme ayant établi l'imposition conformément à l'avis exprès de la commission départementale des impôts.
4. En l'espèce, le montant des recettes reconstituées par l'administration a été fixé conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. En application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, il appartient ainsi au contribuable d'apporter la preuve du caractère exagéré des redressements.
5. En second lieu, aux termes de l'article 93 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession. Sous réserve des dispositions de l'article 151 sexies, il tient compte des gains ou des pertes provenant soit de la réalisation des éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession, soit des cessions de charges ou d'offices, ainsi que de toutes indemnités reçues en contrepartie de la cessation de l'exercice de la profession ou du transfert d'une clientèle [...] ".
6. Le contribuable à qui incombe la charge de prouver l'exagération d'une reconstitution de ses recettes peut, s'il n'est pas en mesure d'établir le montant exact de ses résultats en s'appuyant sur une comptabilité régulière et probante, soit critiquer la méthode d'évaluation que l'administration a suivie et qu'elle doit faire connaître au contribuable, en vue de démontrer que cette méthode aboutit, au moins sur certains points et pour un certain montant, a une exagération des bases d'imposition, soit encore, aux mêmes fins, soumettre à l'appréciation du juge une nouvelle méthode d'évaluation permettant de déterminer les bases d'imposition avec une précision meilleure que celle qui pouvait être atteinte par la méthode primitivement utilisée par l'administration. A l'appui de sa démonstration, il peut, en cours d'instance et à la faveur notamment d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge, non seulement apporter tous les éléments de preuve comptables ou extracomptables, mais aussi se fonder sur des faits reconnus exacts par l'administration, ou dont le juge serait amené, en cas de contestation, à reconnaître l'exactitude.
En ce qui concerne les " solides " (repas) :
7. Alors que l'administration a appliqué la méthode dite " des vins " compte tenu de la prédominance de l'activité de débit de boissons, puis a déterminé le chiffre d'affaires des seuls solides par extrapolation, l'EURL, qui invoque le caractère excessivement sommaire et radicalement vicié de la reconstitution des chiffres d'affaires en ce qui concerne les solides, propose une méthode alternative de reconstitution fondée sur une étude de marge produit par produit et une pondération de ces marges au regard des achats permettant de calculer une marge moyenne.
8. En premier lieu, rien n'empêchait le vérificateur d'appliquer la méthode dite " des vins " puis, faute d'éléments suffisants ou sérieux de comptabilité, d'extrapoler les résultats en matière de solides. L'EURL Le Donegal n'est pas fondée à soutenir que cette méthode ne pourrait pas être appliquée en l'espèce du seul fait que la vente de boissons est prédominante dans la détermination de son chiffre d'affaires par rapport à la restauration.
9. En second lieu, la pondération par quantité vendue des solides est impossible à appliquer en l'absence d'éléments comptables probants.
10. Enfin, la comparaison des coefficients déclarés avec ceux de marge reconstituée à la suite des observations de l'EURL indique une différence très faible entre un coefficient reconstitué par l'administration de 1,66, 1,65 et 1,96 respectivement au titre des années 2013, 2014 et 2015 et un coefficient reconstitué par le comptable hors perte de 1,73 pour chaque année et avec perte de 1,63 pour chaque année. Ce faible écart démontre l'absence de tout caractère exagéré de la reconstitution du chiffre d'années au titre de chacune de ces trois années en litige. Ainsi, les prix et marges par produit solide, calculés dans la réponse à la proposition de rectification, confirment la marge reconstituée pour les solides alors que les calculs de marge que l'EURL propose ne sont pas assortis d'éléments probants et ne tiennent pas compte de l'évolution des prix d'achat entre 2013 et 2015. Comme elle l'a fait, l'administration devait prendre en compte la restauration dans la mesure où celle-ci représente environ 20 % du chiffre d'affaires dans la reconstitution globale. L'EURL ne démontre donc pas que la restauration serait gérée de telle manière que le chiffre d'affaires de celle-ci serait inférieur à celui qui a été reconstitué. Elle n'apporte pas la preuve que la reconstitution du chiffre d'affaires des " solides " est radicalement viciée ou excessivement sommaire.
En ce qui concerne les " liquides " :
S'agissant du taux de perte des bières à la pression :
11. L'EURL Le Donegal réalise près de 70% de son chiffre d'affaires grâce à la consommation de bières. Pour ce faire, elle dispose de neuf tirages de fûts, lesquels sont situés sous l'établissement et à onze ou douze mètres du tuyau qui les séparent des points de distribution de la bière. Elle invoque le caractère insuffisant des spécificités d'exploitation relatives à la reconstitution des chiffres d'affaires " liquides " et demande la prise en compte d'un taux de perte des bières à la pression de 22 % au lieu de 7 % retenu par l'administration et, à cette fin, produit plusieurs constats d'huissier.
12. Il est loisible tant à l'administration fiscale dans le cadre des opérations de reconstitution de chiffre d'affaires qu'au contribuable pour critiquer la reconstitution ainsi opérée, de se référer aux données de l'activité d'exercices antérieurs ou postérieurs, pourvu que les conditions d'exploitation, établies par tout moyen, de ces exercices n'aient pas varié ou qu'elles puissent être ajustées pour tenir compte de leur évolution,
13. L'EURL Le Donegal verse quatre constats d'huissiers. Les trois premiers constats ont été réalisés les 5 juillet 2017, 22 mars 2018, 29 mars 2018 qui respectivement indiquent un taux de perte de 21,67%, 22,5% et 21,88%, soit une moyenne de perte de 22%. Le quatrième et dernier constat dressé le 7 novembre 2018 après réfection totale de l'installation du tirage à neuf par le distributeur en septembre 2018 précise en revanche un taux de perte de 5%. Il résulte donc de ce dernier constat que la diminution sensible du taux de perte est liée au changement de l'installation du système, l'ancienne installation vétuste et défectueuse étant à l'origine des pertes significatives, ces caractéristiques étant renforcées par la longueur du tuyau de près de douze mètres. Dans ces conditions, l'EURL Le Donegal est fondée à soutenir que le taux de perte des bières à la pression est de 22% et non de 7%.
S'agissant du taux de pertes et offerts sur les autres produits :
14. L'EURL Le Donegal demande la prise en compte d'un taux de pertes et offerts de 8 % sur les autres produits, faisant notamment valoir l'inexpérience des serveurs, l'absence de doseurs sur les bouteilles ou encore les offres promotionnelles telles que les " happy hours ". Ce taux, initialement fixé à 3 %, a été porté à 5 % après avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires afin de tenir compte des conditions d'exploitation de l'EURL. Toutefois, celle-ci n'apporte pas d'éléments à l'appui de sa demande tendant à ce que le taux de pertes et offert soit portée à 8 %.
En ce qui concerne la consommation du personnel :
15. L'EURL Le Donegal, en estimant la consommation de son personnel à 12 euros hors taxes par jour et par personne, basée sur le prix d'une consommation de burgers et de sodas, demande que les montants en base soient portés à 8 880 euros pour l'année 2013, 9 540 euros pour l'année 2014 et 9 000 euros pour l'année 2015, au lieu des montants retenus par l'administration, soit respectivement 3 619 euros, 3 650 euros et 3 726 euros. Toutefois, d'une part, elle ne contredit pas l'administration qui affirme que les sommes retenues proviennent de sa comptabilité
elle-même et qu'elles ont été déclarées et, d'autre part, la méthode proposée par la requérante est dénuée de toute justification s'agissant du montant par journée travaillée, que l'EURL évalue à 12 euros par salarié et par jour.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Le Donegal est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes, n'a pas prononcé la décharge des impositions et rappels en litige résultant de la réduction des bases mentionnées au point 13 ci-dessus.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, pour l'essentiel, la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'EURL Le Donegal au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés auxquelles l'EURL Le Donegal a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et à la taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 sont arrêtées avec un taux de perte des bières à la pression fixé à 22% pour la reconstitution du chiffre d'affaires de l'EURL Le Donegal pour 2013, 2014 et 2015.
Article 2 : L'EURL Le Donegal est déchargée de la différence entre le montant des droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 et le montant de ceux qui résultent de l'article 1er.
Article 3 : Le jugement n° 2000620 du tribunal administratif de Nantes du 9 juin 2023 est réformé en ce qu'il est a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'EURL Le Donegal est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Le Donegal et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. Penhoat, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur
J.E. GEFFRAYLe président de chambre
G. QUILLÉVÉRÉLa greffière
A. MARCHAIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23NT0235202