Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 6 juin 2023 par laquelle le préfet du Calvados lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Par un jugement n° 2302104 du 22 mars 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 mai 2024 et le 9 septembre 2024, M. D... B..., représenté par Me Cavelier, demande au tribunal :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 6 juin 2023 par laquelle le préfet du Calvados lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ;
3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour d'un an, ou, à défaut, de réexaminer sa demande, dans le délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
Le préfet n'a pas soulevé, dans son mémoire en défense en première instance, le moyen selon lequel il n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour ; en retenant ce moyen pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité de la saisine de cette commission, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité.
Sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour :
- la décision est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a jamais été destinataire de la convocation pour la commission du titre de séjour, que celle-ci s'est donc prononcée irrégulièrement, et qu'il a été privé d'une garantie ;
- elle méconnaît l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ainsi qu'à l'intérêt supérieur de son enfant.
Par un mémoire enregistré le 27 août 2024, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., ressortissant ivoirien né le 16 janvier 1998, déclare être entré irrégulièrement en France le 1er septembre 2014. Il a été pris en charge en tant que mineur par les services de l'aide sociale à l'enfance du département du Calvados mais sa minorité a été contestée et il a été condamné en 2015 à deux mois d'emprisonnement pour détention frauduleuse de faux documents administratifs et fausse déclaration. A sa sortie de détention, il a fait l'objet, le 17 novembre 2015, d'une obligation de quitter le territoire français, à laquelle il ne s'est pas conformé. Il a bénéficié par la suite d'un titre de séjour qui lui a été délivré en qualité de parent d'enfant français, valable du 20 novembre 2018 au 19 novembre 2019, mais dont le renouvellement lui a été refusé le 19 février 2021, le préfet du Calvados estimant qu'il ne justifiait pas contribuer à l'éducation et à l'entretien de son enfant et que sa présence sur le territoire représentait une menace pour l'ordre public. Ce refus a été assorti d'une obligation de quitter le territoire français que l'intéressé n'a pas exécutée et d'une assignation à résidence qu'il n'a pas non plus respectée. M. B... a déposé, le 1er août 2022, une nouvelle demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a été rejetée par un arrêté du préfet du Calvados du 6 juin 2023. Il relève appel du jugement du 22 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / (...) 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; (...) ". Selon les termes de l'article L. 432-15 du même code : " L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète. (...) ". L'article R. 432-11 de ce code prévoit que : " L'étranger est convoqué devant la commission du titre de séjour dans les délais prévus au premier alinéa de l'article L. 432-15 par une lettre qui précise la date, l'heure et le lieu de réunion de la commission et qui mentionne les droits résultant pour l'intéressé des dispositions du même alinéa. (...) ". Et aux termes de l'article R. 432-14 du même code : " Devant la commission du titre de séjour, l'étranger fait valoir les motifs qu'il invoque à l'appui de sa demande d'octroi ou de renouvellement d'un titre de séjour. Un procès-verbal enregistrant ses explications est transmis au préfet avec l'avis motivé de la commission. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le préfet du Calvados a décidé de saisir pour avis la commission du titre de séjour et en a avisé le requérant, par une lettre recommandée avec accusé de réception qu'il a envoyée à l'intéressé le 31 mars 2023. M. B..., dont la situation a été examinée par cette commission, qui s'est réunie le 21 avril 2023 et a émis un avis défavorable en son absence, fait valoir que la convocation qui lui était destinée a été envoyée à son ancienne adresse, correspondant à celle qu'il avait communiquée à l'administration le 7 septembre 2021, auprès de l'association ASTI, 7 rue Daniel Huet 14000 Caen, de sorte qu'il n'a pas reçu le courrier et n'a pas pu être présent ni représenté devant la commission. Il justifie toutefois avoir dûment informé l'administration compétente de sa nouvelle adresse au ... au plus tard à la date du 23 février 2023 à laquelle lui a été délivré par les services préfectoraux un récépissé de demande de carte de séjour mentionnant cette adresse, et il produit en outre plusieurs documents administratifs ou émis par son employeur, datant de 2022, comportant cette même adresse du domicile qu'il partage avec Mme A... C... avec qui il vit en concubinage. Dans ces conditions, faute de convocation régulière, M. B... a été placé dans l'impossibilité d'être présent ou représenté devant la commission du titre de séjour. Alors même que, comme le fait valoir le préfet en défense, la consultation de la commission du titre de séjour ne serait pas obligatoire et que, en outre, cette commission rend un avis seulement consultatif, l'intéressé n'en a pas moins été privé de la garantie tenant à la consultation régulière de cette instance et la décision litigieuse, entachée de ce vice de procédure, doit être annulée. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Le motif d'annulation retenu par le présent arrêt implique seulement que le préfet du Calvados réexamine la demande de titre de séjour présentée par M. B... et statue sur cette demande dans le respect de la procédure applicable. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'ordonner au préfet du Calvados d'agir en ce sens dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
5. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Cavelier, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Cavelier de la somme de 1 200 euros hors taxe.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 22 mars 2024 et la décision du préfet du Calvados du 6 juin 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Calvados de réexaminer la demande de titre de séjour de M. B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Cavelier, avocat de M. B..., une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. D... B..., à Me Cavelier et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01495