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04/10/2024 | FRANCE | N°23NT03772

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 04 octobre 2024, 23NT03772


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 25 août 2023 par lequel le préfet du Finistère lui fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation.





Par un jugement n° 2304636 du 4 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 25 août 2023 par lequel le préfet du Finistère lui fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation.

Par un jugement n° 2304636 du 4 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Nohe-Thomas, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 octobre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Finistère du 25 août 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et fixant la Russie comme pays de renvoi, assortie d'une interdiction de retour de 2 ans ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou à défaut, de procéder à un nouvel examen et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de de 1 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier faute d'être suffisamment motivé ;

- la décision d'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen et d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'erreur de fait en ce qu'elle omet de prendre en compte sa présence en France depuis 2008 à l'âge de 13 ans ainsi que la présence sur le territoire national de l'ensemble de sa famille ;

- la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) n'a pas été faite par un agent désigné et spécialement habilité par le préfet en méconnaissance de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation car il ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le préfet du Finistère a produit un mémoire, enregistré le 13 septembre 2024, par lequel il conclut au rejet de la requête en se bornant à renvoyer la cour à ses écritures de première instance.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marion a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 24 avril 1995 à Atchkhoï-Martanovski (République de Tchétchénie en Russie) serait, selon ses déclarations, entré irrégulièrement en France avec sa famille, le 24 octobre 2008. Il a été placé en garde à vue par la police nationale le 24 août 2023 pour des faits de tentative d'extorsion, menaces de commettre un crime et trafic de stupéfiants. Ayant constaté que M. B... séjournait irrégulièrement France et n'avait bénéficié que d'un titre de séjour provisoire valable du 7 novembre 2019 au 6 novembre 2021 qu'il n'a jamais retiré et avait fait l'objet de plusieurs condamnations pénales notamment pour violences et détention de produits stupéfiants, le préfet du Finistère a édicté à son encontre un arrêté du 25 août 2023 d'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, à destination de la Russie ou de tout pays où il serait légalement admissible et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 4 octobre 2023, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 25 août 2023.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le tribunal administratif, qui n'avait pas à répondre à tous les arguments soulevés par le requérant, a suffisamment motivé aux points 4, 6, 8, 12, 14 et 16 de son jugement, sa réponse aux moyens tirés de l'insuffisante motivation des décisions d'obligation de quitter le territoire français, de refus de lui accorder un délai de départ volontaire, de désignation du pays de renvoi et d'interdiction de retour sur le territoire français. Le tribunal a indiqué en particulier que M. B... ne justifiait par aucune pièce ses allégations selon lesquelles il résiderait, ainsi que plusieurs membres de sa famille, effectivement en France depuis 2008 et qu'il serait logé chez sa mère à Nice et qu'il ne produisait pas de document ordonnant sa mobilisation au sein des forces armées russes. Il suit de là que M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier en raison d'une motivation imprécise.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, la décision vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier le 1° de l'article L. 611-1, ainsi que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et fait état de ce que M. B... ne justifie pas être entré irrégulièrement en France avec sa famille en 2008, n'a jamais retiré l'unique carte de séjour provisoire qui lui a été délivrée pour la période du 7 novembre 2019 au 6 novembre 2021 et ne détient aucun titre de séjour depuis cette dernière date et que sa situation irrégulière a été révélée lorsqu'il a été placé en garde à vue le 24 août 2023 pour des faits de tentative d'extorsion, menace de commettre un crime et trafic de stupéfiants. La décision précise que M. B... est défavorablement connu des services de police pour avoir été condamné en 2018 et 2019 pour des faits de conduite d'un véhicule à moteur sans permis de conduire et en ayant fait usage de stupéfiants, pour des violences aggravées et en 2020 pour détention non autorisée de stupéfiants. Enfin la décision précise qu'il ne justifie pas résider à Nice chez sa mère, qu'il est célibataire et sans enfant à charge et sans profession et ne justifie d'aucuns liens particuliers avec la France. Par suite, la décision est suffisamment motivée en droit et en fait.

4. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, aucun élément de son dossier ne permet de retenir que sa situation personnelle, et notamment ses déclarations au cours de son audition en garde à vue n'auraient pas fait l'objet de la part de l'administration d'un examen particulier. Si le requérant soutient que le préfet du Finistère aurait omis de prendre en compte son arrivée en France en 2008 à l'âge de 13 ans et la présence de l'ensemble de sa famille sur le territoire national, il ne produit aucun document justificatif de nature à établir la réalité de ses affirmations.

5. En troisième lieu, M. B... soutient que, pour retenir que son comportement constitue une menace à l'ordre public, le préfet du Finistère se serait fondé sur la consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires, dont il n'est pas établi qu'elle aurait été mise en œuvre dans le respect des dispositions précitées de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale par des personnels individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. Toutefois, si le préfet fait état dans sa décision d'une procédure pénale en cours et de précédentes condamnations pénales prononcées à l'encontre de M. B..., il ne résulte pas des termes de l'arrêté attaqué que le préfet du Finistère aurait eu connaissance de ces condamnations par la seule consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale qui encadrent la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires.

6. En quatrième lieu, le requérant ne conteste pas qu'il a été condamné par le tribunal correctionnel de Quimper en 2018 pour des faits de conduite d'un véhicule à moteur sans permis de conduire et pour des violences aggravées suivies d'une incapacité supérieure à 8 jours, qu'il a été de nouveau condamné en 2019 pour conduite sans permis de conduire puis la même année par le tribunal correctionnel de Nantes pour récidive de conduite d'un véhicule sans permis de conduire en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants et enfin en 2020 par le tribunal correctionnel de Quimper pour détention non autorisée de stupéfiants. Si le préfet du Finistère a fait également état, dans son arrêté de faits délictueux relevés en garde à vue à l'encontre de M. B... dont ce dernier est présumé innocent en l'absence de jugement pénal définitif, les faits pour lesquels M. B... a été condamné pénalement par des jugements devenus définitifs sont graves et remontent à moins de cinq ans. Par suite, le préfet du Finistère, en estimant que M. B... constituait une menace à l'ordre public n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

7. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, le requérant ne produit aucune pièce de nature à établir qu'il résiderait de façon continue et habituelle en France depuis l'âge de 13 ans. Par ailleurs, si l'intéressé fait état de la présence de sa mère, Mme C... à Nice, laquelle a présenté une demande d'admission exceptionnelle au séjour en cours d'instruction, d'une sœur et de deux frères, tous trois titulaires de carte de séjour ainsi que d'une tante, titulaire d'une carte de résident, M. B..., âgé de 28 ans à la date de la décision attaquée, est célibataire et sans enfants et n'a pas vocation à vivre avec les autres membres de sa famille. Par ailleurs, l'attestation d'hébergement produite par sa mère ne suffit pas à établir qu'il entretiendrait des liens étroits avec elle ainsi qu'avec les autres membres de sa famille. En outre, M. B... ne justifie d'aucune profession ni d'aucun moyen légal d'existence. Par suite, eu égard aux condamnations pénales de moins de cinq ans prononcées à l'encontre de M. B... et nonobstant la circonstance que ce dernier a fait appel du jugement du tribunal correctionnel de Quimper du 29 août 2023 le condamnant pour les faits relevés à son encontre au cours de la garde à vue du 23 août 2023, la décision d'obligation de quitter le territoire français ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale qu'il tient des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En dernier lieu, la décision d'obligation de quitter le territoire français est distincte de la décision fixant le pays de destination et n'a pas pour objet d'éloigner un étranger vers une destination particulière. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que l'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard d'un risque d'enrôlement forcé dans l'armée russe.

Sur la décision fixant le pays de destination :

9. En premier lieu, en l'absence d'annulation de la décision d'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de l'annulation par voie de conséquence de la décision fixant le pays de renvoi ne peut qu'être écarté.

10. En second lieu, M. B... fait valoir qu'il fait l'objet d'une convocation par les autorités militaires russes lui ordonnant de se présenter le 2 mai 2023 au commissariat militaire avec son passeport et tout autre document attestant de son identité ainsi qu'avec des analyses de sang, d'urine, fluorographie thoracique, ECG. Il ne peut être déduit de cette seule convocation que l'intéressé risque d'être mobilisé. Dans l'hypothèse même où ce serait le cas, le requérant n'établit pas, par l'argumentation qu'il développe quant à ses origines tchétchènes, que les conditions dans lesquelles il pourrait se trouver appelé à combattre, en cas de retour en Russie, l'exposeraient, à des risques de traitement inhumain ou dégradant. Par suite, la décision fixant le pays de destination n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la décision refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire :

11. En premier lieu, en l'absence d'annulation de la décision d'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de ce que la décision refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire devrait être annulée par voie de conséquence ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / ... 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ".

13. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 8, M. B... a été condamné pénalement à plusieurs reprises et interpellé, en dernier lieu, pour des faits de tentative d'extorsion, menace de commettre un crime et trafic de stupéfiants. Par suite il représente bien une menace à l'ordre public. En outre, l'intéressé ne produit aucun justificatif de résidence dans le département du Finistère ou en Bretagne. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit précédemment le requérant n'a produit aucune pièce de nature à établir qu'il résiderait de façon continue et habituelle en France depuis l'âge de 13 ans ni qu'il entretiendrait des liens étroits avec les autres membres de sa famille présents en France ou aurait des liens professionnels ou personnels sur le territoire national alors qu'il ne fait état d'aucune activité professionnelle et d'aucune connaissance en France. Par conséquent, le préfet a pu légalement le regarder comme présentant un risque de fuite au sens du 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans :

14. En l'absence d'annulation de la décision d'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de ce que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans devrait être annulé par voie de conséquence ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Finistère du 25 août 2023.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

16. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation, n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions aux fins d'injonction de M. B... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... B... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président assesseur,

- Mme Marion, première conseillère

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.

La rapporteure,

I. MARION

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT03772


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03772
Date de la décision : 04/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : NOHE-THOMAS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-04;23nt03772 ?
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