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04/10/2024 | FRANCE | N°23NT02706

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 04 octobre 2024, 23NT02706


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au juge des référés de condamner la société (SA) Enedis à lui verser une provision de 200 000 euros en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, en réparation du préjudice subi du fait de l'accident d'électrocution dont il a été victime le 29 juin 2010.



Par une ordonnance n° 2210211 du 7 septembre 2023, le juge des référés près le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.


> Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 septembre 2023 et 15 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au juge des référés de condamner la société (SA) Enedis à lui verser une provision de 200 000 euros en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, en réparation du préjudice subi du fait de l'accident d'électrocution dont il a été victime le 29 juin 2010.

Par une ordonnance n° 2210211 du 7 septembre 2023, le juge des référés près le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 septembre 2023 et 15 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Plateau, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 7 septembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de condamner la société Enedis à lui verser une provision de 200 000 euros assortie des intérêts de retard en réparation du préjudice subi du fait de l'accident d'électrocution dont il a été victime le 29 juin 2010 ;

3°) de mettre la somme de 4 000 euros à la charge de la société ENEDIS sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est irrégulière pour avoir été rendue après une clôture irrégulière de l'instruction, et donc en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- en sa qualité de participant à un travail public électrocuté au cours de l'exécution d'un marché public en raison d'une faute d'ERDF, il détient sur cette société une créance non sérieusement contestable justifiant le versement de la provision demandée ;

- l'absence d'une attestation écrite de mise hors tension du réseau délivrée par ERDF, prévue par l'article R. 4534-113 du code du travail, n'a pas de lien direct avec la cause de l'accident qui résulte exclusivement de la remise en route inopinée du courant dans la ligne haute tension et, en tout état de cause, une attestation écrite a bien été délivrée par ERDF à son employeur, la société Vigilec agissant pour le compte du Syndicat départemental d'énergie de Loire-Atlantique (SYDELA) ainsi qu'une autorisation orale donnée par un agent d'ERDF ;

- sa créance n'est pas prescrite en application de la loi du 31 décembre 1968 qui ne trouve pas à s'appliquer à la société ENEDIS et la prescription décennale de l'article 2226 du code civil a été interrompue par son action devant le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2024, la société Enedis, représentée par Me Beaumont conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle n'a pas commis de faute contrairement à la société Vigilec qui n'a pas désigné de chargé de travaux et n'a pas demandé à M. B... de solliciter ou de vérifier l'existence d'une attestation de mise hors tension et de M. B... lui-même qui a commencé les travaux sans attestation de mise hors tension.

Par ordonnance du 29 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 février 2024 à 12h00.

Un mémoire présenté par la société ENEDIS, non communiqué, a été enregistré le 11 septembre 2024.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code du travail ;

- la loi du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,

- et les observations de Me Benali, substituant Me Beaumont, représentant la société ENEDIS.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat départemental d'énergie de Loire-Atlantique (SYDELA) a passé un marché avec la société d'électricité Vigilec pour installer un transformateur EDF afin d'alimenter en électricité le futur supermarché de la commune de la Chapelle-des-Marais (Loire-Atlantique). Le 29 juin 2010, M. B..., salarié électricien de la société Vigilec, a été victime d'une électrisation alors qu'il était occupé à dénuder le câble de dérivation pour l'alimentation du futur supermarché, dans la tranchée ouverte où se trouvait la ligne à haute tension souterraine préalablement sectionnée. Suite à sa plainte pénale contre X, l'expert judiciaire désigné dans le cadre de l'enquête préliminaire déposait son rapport le 18 mai 2011. La plainte de M. B... a finalement été classée sans suite pour " infraction insuffisamment caractérisée ". M. B... a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes pour obtenir la condamnation de son employeur, puis s'est désisté de cette action pour saisir le 26 juin 2020 le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire afin d'obtenir la condamnation de ERDF devenue la SA ENEDIS. Par une ordonnance du 13 juin 2022, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de M. B.... Celui-ci a alors adressé, le 26 juillet 2022, une demande indemnitaire préalable à la SA ENEDIS. En l'absence de réponse de cette dernière, il a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une requête au fond et d'un référé provision tendant à obtenir de la société Enedis le versement d'une somme de 200 000 euros. Par une ordonnance du 7 septembre 2023, le juge des référés près le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande de provision. M. B... relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance du juge des référés :

2. L'absence de mention dans la notification d'un avis d'audience à une instance de référé provision des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative a pour seul effet de faire obstacle à ce que la clôture d'instruction intervienne trois jours francs avant la date de l'audience. En pareil cas, l'instruction est regardée comme étant intervenue le jour de l'audience lorsque l'affaire est appelée. En l'absence de tout élément nouveau dans le délai de trois jours précédant l'audience, le principe du contradictoire n'a pu être méconnu. Par suite, l'ordonnance de référé provision attaquée n'est entachée d'aucune irrégularité.

Sur l'exception de prescription :

3. En premier lieu, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 est relatif à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics. Les règles de prescription ainsi énoncées ne s'appliquent donc qu'aux créances dont sont débiteurs l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dotés d'un comptable public. Ces règles ne sont donc pas applicables aux créances dont une personne privée est débitrice, quel qu'en soit le créancier et quand bien même cette personne privée serait concessionnaire d'un service public. Par suite, ainsi que le tribunal l'a jugé en première instance, l'exception de prescription quadriennale opposée par la société ENEDIS, défenderesse, à la créance dont se prévaut M. B..., à raison de l'accident survenu le 29 juin 2010, doit être écartée.

4. En second lieu, les actions en responsabilité nées en raison d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel se prescrivent dans un délai de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage conformément aux dispositions de l'article 2226 du code civil. En l'espèce, il résulte de l'instruction notamment des pièces médicales produites que l'état de santé de M. B... n'était pas consolidé avant le 16 novembre 2010. Or, le délai de prescription a été interrompu par l'assignation introduite par M. B... à l'encontre de la société ENEDIS le 26 juin 2020 devant le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, dont le juge de la mise en état a rendu une ordonnance le 13 juin 2022. Dans ces conditions, l'exception de prescription résultant des dispositions de l'article 2226 du code civil doit également être écartée.

Sur le caractère non sérieusement contestable de l'obligation de la société Enedis :

5. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

6. Aux termes de l'article R. 4534-111 du code du travail : " L'employeur ne peut accomplir les travaux qu'après la mise hors tension de l'installation électrique... " et de l'article R. 4534-112 du même code : " Lorsqu'il a été convenu de mettre hors tension la ligne, la canalisation ou l'installation électrique, souterraine ou non, l'employeur demande à l'exploitant de faire procéder à cette mise hors tension. Il fixe, après accord écrit de l'exploitant, les dates auxquelles les travaux pourront avoir lieu et, pour chaque jour, l'heure du début et de la fin des travaux. Ces indications, utiles pour l'organisation des travaux, ne dispensent pas d'établir et de remettre l'attestation de mise hors tension et l'avis de cessation de travail. " et de l'article R. 4534-113 du même code : " Le travail ne peut commencer que lorsque l'employeur est en possession de l'attestation de mise hors tension écrite, datée et signée par l'exploitant. ". L'article 49 du décret du 14 novembre 1988 pris pour l'exécution des dispositions du livre II du code du travail dans sa rédaction applicable à la date de l'accident : " I. - Pour l'exécution des travaux hors tension, la partie de l'installation sur laquelle ils sont effectués doit être préalablement consignée, c'est-à-dire faire l'objet des opérations successives suivantes : a) Séparation de cette partie d'installation de toute source possible d'énergie électrique ; b) condamnation en position d'ouverture des dispositifs assurant le sectionnement ... ; c) Vérification d'absence de tension aussi près que possible du lieu de travail. ...l. II. - En outre, s'il s'agit d'une installation de domaine B.T.B., H.T.A. ou H.T.B. : Les travaux doivent être effectués sous la direction d'un chargé de travaux, personne avertie des risques électriques et spécialement désignée à cet effet. La séparation de toutes sources possibles d'énergie doit être matérialisée d'une façon pleinement apparente et maintenue par un dispositif de blocage approprié. Cette séparation étant effectuée et avant toute autre opération, il est procédé, sur le lieu de travail ou à son voisinage, à la vérification de l'absence de tension. Immédiatement après la vérification de l'absence de tension, la mise à la terre et en court-circuit des conducteurs actifs du circuit concerné doit être effectuée. La tension ne doit pouvoir être rétablie qu'après que le chargé de travaux s'est assuré que toutes les personnes sont présentes au point de rassemblement convenu à l'avance. ".

7. Le 29 juin 2010, M. E..., technicien de la société ERDF a procédé, avec l'aide de M. B..., et en lien avec M. C..., agent de l'agence régionale de conduite d'ERDF, aux opérations de mise hors tension du réseau et de coupure du câble de la ligne HTA souterraine sur laquelle devait être raccordée le transformateur HTA/BT permettant l'alimentation électrique de la surface commerciale. Il résulte du procès-verbal d'audition de gendarmerie dressé dans le cadre de l'enquête préliminaire que M. D..., qui devait s'absenter pour aller remettre le courant dans une autre partie du réseau, a donné son accord verbal à M. B... pour descendre dans la fouille où se trouvait la ligne HTA sectionnée afin de préparer le câble dérivé devant alimenter le supermarché en construction. A 9h24, alors qu'il procédait au dénudage du câble de dérivation, M. B... a été brûlé aux troisième et deuxième degré aux jambes et au premier degré au visage. Il ressort du rapport d'expertise pénale et il n'est contesté par aucune des parties que l'arc électrique, responsable de l'électrisation de M. B... s'est formé en raison de la remise en route inopinée du courant électrique dans la ligne de haute tension sectionnée. Si la société ENEDIS fait valoir que la société Vigilec n'était pas en possession de l'attestation de mise hors tension écrite, datée et signée par ERDF prévue par les dispositions susvisées de l'article R. 4534-113 du code du travail et n'avait pas désigné un chargé de travaux, responsable de la sécurité électrique, en méconnaissance des dispositions susmentionnées du II de l'article 49 du décret du 14 novembre 1988 relatif aux travaux effectués hors tension, cette méconnaissance des règles de sécurité en matière de travaux d'électricité n'est pas directement à l'origine de l'accident électrique subi par M. B.... En effet, cet accident n'a pas de lien avec le déroulement des opérations de consignation qui se sont terminées par la mise hors tension de la ligne HTA mais a pour seule cause le rétablissement intempestif du courant électrique dans cette ligne. Or cette remise en route inopinée du courant électrique procède d'une erreur de communication ou de manœuvre des agents d'ERDF voire d'une défaillance du logiciel informatique utilisé par l'agence régionale de conduite. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que son accident électrique a pour cause exclusive la faute de l'exploitant du réseau électrique et à rechercher la responsabilité de la seule société ENEDIS.

Sur le montant de la provision :

8. Il ressort de l'expertise médicale ordonnée par le jugement avant dire droit du tribunal administratif de Nantes n° 2210272 du 7 novembre 2023 que l'accident électrique a eu pour conséquence de générer pour M. B... un déficit fonctionnel temporaire de 100 % du 29 juin 2010 au 30 juin 2010 et du 4 juillet 2010 au 20 juillet 2010 et un déficit fonctionnel temporaire partiel de 20 % du 15 août 2010 au 15 septembre 2010 et de 10 % du 16 septembre 2010 au 16 novembre 2010 ; ses souffrances endurées sont estimées à 3 sur une échelle de 7 et son dommage esthétique temporaire et permanent à 2,5 sur cette même échelle. M. B... a par ailleurs subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence du fait des difficultés qu'il a rencontrées pendant des années pour faire reconnaître la responsabilité d'ENEDIS. Il sera, en conséquence, fait une juste appréciation de la provision à hauteur d'une somme de 10 000 euros, assortie des intérêts de retard à compter de la date de réception par ENEDIS de la demande indemnitaire préalable formée le 26 juillet 2022 par M. B....

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés près le tribunal administratif de Nantes a jugé que l'obligation de la société Enedis, envers M. B... ne présentait pas un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et a refusé de verser une provision à M. B... à hauteur d'une somme de 10 000 euros.

Sur les frais d'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société ENEDIS demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société ENEDIS une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2210211 du 7 septembre 2023 du juge des référés près le tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 2 : La société ENEDIS est condamnée à verser à M. B... une provision de 10 000 euros, assortie des intérêts de retard à compter de la date de réception par ENEDIS de la demande indemnitaire préalable formée M. B....

Article 3 : La société ENEDIS versera une somme de 1 500 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la société ENEDIS

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024

Le rapporteur,

I. MARION

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT02706


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02706
Date de la décision : 04/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : SELARL PUBLI-JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-04;23nt02706 ?
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