Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), désormais dénommée Relyens Mutual Insurance (Relyens), a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'ordre à recouvrer exécutoire n° 2020-1167 émis le 21 septembre 2020 à son encontre par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) aux fins de recouvrement d'une somme de 474 486,34 euros, et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 2005660 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'ordre à recouvrer exécutoire n° 2020-1167 du 21 septembre 2020, déchargé la société Relyens de l'obligation de payer la somme de 474 486,34 euros, et rejeté les conclusions reconventionnelles de l'ONIAM tendant à la condamnation de la société Relyens à lui verser la somme de 474 486,34 euros et les frais d'expertise qu'elle a exposés, avec intérêts capitalisés, ainsi que la pénalité prévue au cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 septembre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société Relyens tendant à l'annulation du titre exécutoire n° 2020-1167 émis le 21 septembre 2020 pour un montant de 474 486,34 euros et à la décharge de l'obligation de payer cette somme ;
3°) à titre reconventionnel, de condamner de la société Relyens à lui régler :
- les intérêts au taux légal sur la somme due de 474 486,34 euros, calculés à compter du 23 octobre 2020, avec capitalisation de ces intérêts à chaque échéance annuelle ;
- la somme de 71 172,95 euros correspondant à 15% de la somme de 474 486,34 euros due au titre de la pénalité prévue à l'article L.1142-15 du code de la santé publique ;
- les frais d'expertise qu'il a pris en charge à hauteur de 1 400 euros ;
4°) de mettre à la charge de la société Relyens la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Bretagne Sud est engagée dès lors que la prise en charge du jeune F... par l'interne de garde n'a pas été conforme aux règles de l'art ;
- une perte de chance d'éviter le dommage doit être retenue, qui doit être évaluée à 75% conformément au rapport des experts ;
- les préjudices indemnisés ont été justement évalués et indemnisés par l'ONIAM, de sorte que celui-ci était bien fondé à émettre un titre portant sur la somme de 474 486,34 euros, ainsi que le remboursement des frais d'expertise à hauteur de 1 400 euros ;
- l'ONIAM était bien fondé à présenter une demande reconventionnelle à l'encontre de la SHAM correspondant à 15% de la somme de 474 486,34 euros, soit 71 172,95 euros ;
- il est fondé à demander les intérêts sur la somme de 474 486,34 euros à compter du 23 octobre 2020, date de réception par la SHAM de l'avis des sommes à payer, avec capitalisation de ces intérêts à la date du 24 octobre 2021.
Par des mémoires en défense enregistrés le 18 janvier 2024 et le 26 mars 2024, la société Relyens Mutual Insurance (Relyens) représentée par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête et à ce que l'ONIAM lui verse une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- les conclusions de M. Catroux,
- et les observations de Me Goldnadel, substituant Me Le Prado, représentant la société Relyens Mutual Insurance.
Considérant ce qui suit :
1. Le jeune F..., alors âgé de 11 ans et résidant chez sa mère, a été examiné par un médecin de SOS Médecins le vendredi 18 octobre 2013 en raison de douleurs abdominales. Le lundi 21 octobre suivant, en raison de la persistance de ces douleurs et de la survenance de vomissements il a été admis à 6h51 aux urgences pédiatriques du centre hospitalier de Bretagne sud (CHBS) où il a été pris en charge par l'interne de garde et dont il est ressorti à 7h34 après qu'un lavement laxatif au Normacol* productif a été effectué et un diagnostic de constipation posé avec prescription d'un sachet de Forlax* pendant un mois. Le lendemain matin, toutefois, à 6h21, l'état de santé de l'enfant se dégradant, il a été de nouveau admis aux urgences où un syndrome occlusif de l'intestin grêle et du côlon droit a été diagnostiqué, l'hypothèse d'un volvulus du mésentère étant évoquée. Selon le rapport d'expertise rendu le 14 mars 2016, B... H... a été victime d'un volvulus aigu de l'intestin grêle résultant d'une anomalie congénitale de rotation de type mésentère commun incomplet, complication qui se traduit par une atteinte à la vascularisation artérielle, une ischémie, et un risque de lésions intestinales irréversibles (nécroses). Opéré en urgence le 22 octobre, puis transféré au centre hospitalier universitaire de Nantes en raison d'un choc hypovolémique, B... H... a subi au total cinq interventions chirurgicales aboutissant à une résection du côlon droit, d'une partie du côlon transverse et de la quasi-totalité de l'intestin grêle ; il n'a conservé que 10 cm de la partie proximale du jéjunum. La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de Bretagne, saisie par Mme C..., mère et représentante légale de B... H..., a ordonné une expertise dont le rapport a été rendu le 12 mars 2016. Aux termes d'un avis du 18 juin 2016, elle a considéré que la responsabilité pour faute du CHBS était engagée du fait d'une prise en charge du patient aux urgences par l'interne de garde non conforme aux règles de l'art, ayant entraîné un retard de diagnostic et de prise en charge chirurgicale, à l'origine d'une perte de chance de 75% d'éviter les complications dont a été victime B.... Constatant le refus de l'hôpital et de son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), devenue Relyens Mutual Insurance, d'indemniser Mme C..., l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a procédé à cette indemnisation, par substitution à l'assureur, en versant à l'intéressée, représentante légale de la victime, la somme de 474 486,34 euros résultant d'un protocole transactionnel conclu avec celle-ci. Le 21 septembre 2020, l'office a émis à l'encontre de la SHAM un titre exécutoire aux fins de recouvrement de cette somme.
2. L'ONIAM relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé ce titre exécutoire et déchargé la SHAM de l'obligation de payer la somme de 474 486,34 euros ainsi mise en recouvrement et qu'il estime lui être due. Il demande à la cour de mettre à la charge de cet assureur, outre les intérêts sur la somme de 474 486,34 euros à compter du 23 octobre 2020, date de réception par la SHAM de l'avis des sommes à payer, avec capitalisation de ces intérêts à la date du 24 octobre 2021, une pénalité de 71 172,95 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ainsi que le remboursement des frais d'expertise.
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". En vertu de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance ... ". En application de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, (...) l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur (...). / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur. (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur (...). Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'ONIAM s'est substitué à la personne responsable du dommage et que la victime a accepté son offre d'indemnisation, il est subrogé dans les droits de cette dernière à concurrence des sommes versées et est ainsi investi, dans cette limite, de tous les droits et actions que le subrogeant pouvait exercer. Ainsi, lorsque l'ONIAM émet un titre exécutoire en vue du recouvrement de la somme versée à la victime en application des dispositions précitées de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, le recours du débiteur tendant à la décharge de la somme mise à sa charge invite le juge administratif à se prononcer sur la responsabilité du débiteur à l'égard de la victime aux droits de laquelle l'Office est subrogé, ainsi que sur le montant de son préjudice. Il incombe alors au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, s'ils étaient fondés, à justifier le prononcé de la décharge.
Sur le bien-fondé du titre exécutoire en litige :
En ce qui concerne la responsabilité de l'hôpital et l'existence d'une perte de chance :
5. D'une part, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté qu'en retenant que les vives douleurs abdominales dont se plaignait le jeune B... étaient imputables à un épisode de constipation et en laissant sortir le patient avec la prescription d'un laxatif à prendre tous les matins pendant un mois, l'interne qui a procédé à l'examen a posé un diagnostic erroné, l'enfant étant alors atteint d'un volvulus aigu de l'intestin grêle. S'il ressort de l'ensemble des documents produits que la constatation d'une telle pathologie d'origine congénitale était très improbable chez un sujet âgé de 11 ans alors que, selon la littérature médicale, " la plupart des volvulus totaux du grêle surviennent avant l'âge de un an avec un pic de fréquence dans le premier mois de la vie (64 à 80% des cas), le risque diminuant significativement au-delà de un an (9 à 18% des cas) ", et que, comme l'écrivent les experts, " plus l'âge du patient est grand, plus le diagnostic est difficile ", et si le lavement effectué aux urgences avait été productif, ce qui suggérait le maintien d'une continuité du transit et pouvait corroborer le diagnostic posé, les experts désignés par la CRCI ont repéré plusieurs manquements ou erreurs du praticien dans l'élaboration de son diagnostic. Ils ont ainsi noté, en partant des constatations faites, lors de l'examen clinique, d'" un abdomen souple, mais très ballonné, difficilement dépressible, soulagé par la palpation " et d'une " douleur diffuse ", le caractère atypique de l'évolution des symptômes d'une " gastro-entérite " évoluant depuis trois jours, qui aurait dû conduire l'interne à en référer au médecin pédiatre sénior présent au service des urgences de garde. Ils ont aussi relevé l'absence, au moment des faits, de révision systématique des dossiers de la garde entre l'interne et le médecin pédiatre de garde aux urgences, ce qui aurait pu permettre de revoir le diagnostic. Ils ont surtout noté la survenance, le dimanche soir, veille du passage aux urgences, de vomissements verts révélateurs d'une stase biliaire, obstruction intestinale et mécanique haute orientant vers une pathologie de type chirurgical et justifiant la réalisation d'une échographie avec doppler des vaisseaux mésentériques qui aurait pu permettre de mettre en évidence des signes directs (tour de spire vasculaire) ou indirects (épanchement liquidien, épaississement ou dilatation intestinale) de volvulus de l'intestin, situation constituant une urgence chirurgicale absolue. Sur ce dernier point, si les comptes rendus médicaux font seulement état de vomissements sans précision et s'il est soutenu par l'assureur de l'hôpital que la mère de l'enfant avait signalé les vomissements de son fils, survenus la veille au soir, sans alerter le service sur leur couleur verte, les experts ont, au contraire, pour conclure à la faute du praticien, retenu comme avérée la manifestation de vomissements verts constitutifs d'un signal alarmant, notant que, " lors de la réunion d'expertise, Mme C... a indiqué qu'elle avait bien précisé qu'il s'agissait d'un vomissement vert ", information qui n'a pas suscité, avant l'évocation du dossier devant la CCI le 18 mai 2016, d'observation ou de réaction des représentants de l'hôpital et de son assureur présents au cours des opérations d'expertise closes le 14 mars 2016. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il doit être considéré que la prise en charge de B... aux urgences le lundi 21 octobre 2013 entre 6h51 et 7h34 n'a pas été conforme aux bonnes pratiques et que, comme l'ont estimé les experts, cette prise en charge fautive a entraîné un retard de diagnostic et de prise en charge chirurgicale de plus de 24 heures.
6. D'autre part, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
7. S'il ne résulte pas de l'instruction, de manière certaine, que le dommage indemnisé par l'ONIAM ne serait pas advenu en l'absence du retard fautif analysé ci-dessus, imputable au centre hospitalier de Bretagne sud, il n'en résulte pas non plus avec certitude que les lésions tissulaires (nécroses ischémiques), constatées et opérées le 22 octobre 2013 puis par la suite, étaient déjà irréversiblement acquises à la date du premier passage de B..., la veille, aux urgences. Sur ce point, les experts auxquels la CCI a fait appel ont estimé qu'en raison des manquements analysés ci-dessus au point 5, le jeune B... avait subi une perte de chance d'échapper aux séquelles et déficits fonctionnels dont il reste atteint qu'ils ont évaluée à 50%. En l'absence de toute information sur le stade de développement de l'ischémie de B... à son arrivée aux urgences le 21 octobre 2013, l'existence d'une perte de chance et son évaluation à 50% ne sont pas remises en cause par l'affirmation, relevant d'un consensus médical, selon laquelle, pour la pathologie en cause, d'une part, le délai pour rétablir une vascularisation artérielle normale sans séquelles est limité à six heures environ, et, d'autre part, la gravité de cette situation implique pour le patient un risque élevé, même en cas d'intervention précoce, de devoir subir une résection intestinale étendue. A l'inverse toutefois, l'affirmation de l'ONIAM d'un taux de perte de chance de 75 % par l'application duquel il a calculé les montants mis à la charge de l'hôpital et de son assureur, plutôt que de 50%, taux retenu par les experts missionnés par la CCI, spécialistes en chirurgie digestive pédiatrique et adulte, n'est corroboré par aucune pièce émanant d'un médecin de cette spécialité. S'il est vrai que la position de l'ONIAM est conforme à celle de la CCI, composée de médecins, l'avis rendu par cette commission ne présente aucune démonstration ni explication pour justifier la majoration à 75% du taux de perte de chance de 50% retenu par les experts, l'intimée produisant quant à elle, pour s'en prévaloir, un " avis critique sur pièces " du docteur D..., chirurgien pédiatrique, insistant au contraire sur une évolution péjorative de l'état de santé de B... ayant débuté trois jours avant la première consultation aux urgences et ayant généré une atteinte intestinale initiale d'ischémie subaiguë déjà constituée à la date de cette première consultation. Il s'ensuit qu'un taux de perte de chance de 50% doit être retenu et que la créance pour le recouvrement de laquelle a été émis le titre exécutoire litigieux n'est pas justifiée en tant qu'elle se fonde sur un taux de perte de chance de 75%.
En ce qui concerne le montant de la créance contestée :
8. Dans ses écritures devant le tribunal administratif de Rennes, la société Relyens Mutual Insurance, après le rappel que ni elle ni la juridiction ne sont liées par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime, se borne à faire valoir qu'elle n'est pas en mesure de connaître et donc de discuter le mode de calcul retenu par l'ONIAM pour évaluer le préjudice corporel de B... H... et les sommes qui ont été accordées à celui-ci au titre de l'aide par une tierce personne temporaire et permanente, ainsi qu'au titre du déficit fonctionnel permanent. Toutefois, cette société, dont les écritures d'appel ne comportent plus aucun développement sur ce sujet, n'a pas répliqué aux explications et documents fournis par l'ONIAM devant les premiers juges. En outre, les différents préjudices indemnisés à titre transactionnel sont détaillés et évalués par les experts dans leur rapport, ainsi que par la CCI dans son avis, et ils sont repris dans le tableau récapitulatif des sommes versées à titre transactionnel à la mère de B.... Les éléments ainsi disponibles, qui permettent de comprendre et de contester le mode de calcul des sommes versées et le bien-fondé de celles-ci au regard de l'étendue des préjudices de la victime, ne font l'objet d'aucune critique précise en première instance comme en appel. Néanmoins, s'agissant du préjudice d'agrément correspondant à une " gêne dans les activités de loisir ", qui a été indemnisé à titre transactionnel à hauteur de 75% de 11 500 euros, soit 8 600 euros, la société Relyens Mutual souligne en revanche de manière pertinente l'absence de justification d'une pratique régulière d'un sport ou d'une activité de loisir spécifique permettant d'établir l'existence et l'étendue d'un préjudice qui serait distinct du déficit fonctionnel permanent de 25 % reconnu pour B... par les experts et la CCI. Sur ce point, la seule mention par les experts, dans leur rapport, de ce que " B... H... a indiqué qu'il ne pouvait plus aller à la piscine à cause du cathéter de nutrition parentérale " ne permet pas de caractériser l'existence d'un préjudice particulier lié à l'impossibilité pour l'intéressé d'accomplir des activités qu'il exerçait autrefois avec une intensité particulière et qui ne serait pas inclus dans les déficits fonctionnels temporaire et permanent déjà indemnisés à part par l'octroi des montants de 4 614,75 euros et 40 635,75 euros. Dans ces conditions, le titre exécutoire litigieux n'est pas justifié en tant qu'il prend en compte dans le calcul des sommes dues par la société Relyens Mutual un préjudice d'agrément de B... évalué à 11 500 euros.
Sur la régularité du titre exécutoire en litige :
9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... G..., directrice adjointe de l'ONIAM et signataire du titre exécutoire en litige, avait reçu délégation du directeur de l'office, par une décision du 18 juillet 2017, publiée au bulletin officiel santé, protection sociale n° 2017/8 du 15 septembre 2017, à effet de signer notamment les titres de perception. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit, par suite, être écarté.
10. En second lieu, aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Dans les conditions prévues pour chaque catégorie d'entre elles, les recettes sont liquidées avant d'être recouvrées. La liquidation a pour objet de déterminer le montant de la dette des redevables. (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de liquidation. ". Ainsi, tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.
11. Il résulte de l'instruction que le titre exécutoire émis le 21 septembre 2020 à l'encontre de la SHAM, assureur du CHBS mentionne clairement qu'il se fonde sur l'article L. 1142-15 du code de la santé publique prévoyant la subrogation de l'ONIAM dans les droits de la victime envers la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur, lorsque l'office s'est substitué à celui-ci et a indemnisé la victime par voie transactionnelle. Cet " ordre à recouvrer exécutoire " mentionne le nom de la victime, M. E..., et fait référence, d'une part, au protocole transactionnel conclu par l'ONIAM pour l'indemnisation de ce patient, et, d'autre part, à l'avis rendu par la CCI le 18 mai 2016 et il en ressort que ces documents étaient joints au titre litigieux. L'avis de la CCI analyse et liste, en partant des taux ou cotations des dommages proposés par les experts, les préjudices dont il est proposé l'indemnisation à hauteur de 75% correspondant à la perte de chance retenue. Et le protocole d'indemnisation transactionnelle conclu avec Mme C..., mère de B... H..., encore mineur, détaille lui-même et chiffre ces différents postes de préjudice. Il s'ensuit que ce titre exécutoire indique les bases de la liquidation de la créance de l'ONIAM pour laquelle il a été émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de mention des bases de la liquidation dans le titre exécutoire contesté doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que la créance de l'ONIAM envers la société Relyens Mutual Insurance s'établit à un montant de 310 574,23 euros résultant, d'une part, de la soustraction du total des préjudices indemnisables du jeune B... du préjudice d'agrément reconnu à tort à celui-ci par l'ONIAM, et, d'autre part, de la prise en compte d'un taux de perte de chance imputable à l'hôpital ramené 50% au lieu de 75%. La société Relyens Mutual Insurance doit donc être déchargée de la somme de 163 912,11 euros et le titre exécutoire émis à son encontre le 21 septembre 2020 doit être annulé en tant qu'il constitue cette société débitrice d'une somme supérieure à 310 574,23. Il suit de là que l'ONIAM est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a prononcé une décharge de l'obligation de payer supérieure au montant susmentionné de 310 574,23 euros.
Sur les conclusions reconventionnelles de l'ONIAM :
13. En premier lieu, aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. ".
14. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions en condamnant la société Relyens Mutual Insurance à verser à l'ONIAM la somme de 15 528,71 euros correspondant à 5% de l'indemnité de 310 574,23 euros dont elle reste redevable.
15. En deuxième lieu, l'ONIAM ayant choisi d'émettre un titre exécutoire pour recouvrer auprès de la personne responsable la somme qu'elle a versée à Mme C..., mère de B... H..., et non d'exercer une action subrogatoire en indemnisation devant la juridiction administrative, sa demande tendant à ce que les frais de 1 400 euros qu'il a exposés pour l'expertise devant la CCI soient mis à la charge de la société Relyens Mutual Insurance soulèvent un litige distinct de l'opposition à titre exécutoire présentée devant le tribunal administratif de Rennes et faisant l'objet de la présente instance d'appel. Ces conclusions sont donc irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
16. En troisième lieu, pour les mêmes motifs, les conclusions de l'ONIAM tendant à la condamnation de la société Relyens Mutual Insurance à lui verser des intérêts au taux légal sur tout ou partie de la somme de la somme de 474 486, 34 euros à compter du 23 octobre 2020, date de réception du titre émis le 21 septembre 2020 et dont la procédure d'opposition à état exécutoire engagée devant le tribunal administratif de Rennes a suspendu l'exécution ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas la partie perdante, le versement de la somme sollicitée par la société Relyens Mutual Insurance au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées en application des mêmes dispositions par l'ONIAM et de mettre à la charge de la société Relyens Mutual Insurance la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : Le titre exécutoire émis le 21 septembre 2020 par l'ONIAM est annulé en tant qu'il a mis à la charge de la société SHAM une somme supérieure à 310 574,23 euros.
Article 3 : La société Relyens Mutual Insurance, venant aux droits et obligations de la société SHAM, est déchargée de l'obligation de payer la somme de 163 912,11 euros.
Article 4 : La société Relyens Mutual Insurance, venant aux droits et obligations de la société SHAM, est condamnée à payer à l'ONIAM une pénalité de 15 528,71 euros.
Article 5 : La société Relyens Mutual Insurance versera à l'ONIAM la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à la société Relyens Mutual Insurance et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT02643