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04/10/2024 | FRANCE | N°23NT00863

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 04 octobre 2024, 23NT00863


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Pays d'Emeraude Mer Environnement (APEME) et la société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France (SPPEF) ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine, faisant application de l'article 19 du règlement (CE) n° 1069/2009 du 21 octobre 2009, a accordé au Comité régional de la conchyliculture de Bretagne Nord (CRCBN) et à ses adhérents une dérogation à l'obliga

tion de traitement des moules dites " sous-taille " ou " non commercialisables ", au titre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Pays d'Emeraude Mer Environnement (APEME) et la société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France (SPPEF) ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine, faisant application de l'article 19 du règlement (CE) n° 1069/2009 du 21 octobre 2009, a accordé au Comité régional de la conchyliculture de Bretagne Nord (CRCBN) et à ses adhérents une dérogation à l'obligation de traitement des moules dites " sous-taille " ou " non commercialisables ", au titre de la saison 2022-2023, et les a autorisés à épandre ces moules sur le sol de certains secteurs de l'estran de la baie du Mont-Saint-Michel.

Par un jugement n° 2204173 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 8 juillet 2022.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 mars 2023 et le 23 novembre 2023, le comité régional de la conchyliculture de Bretagne nord, représenté par Mes Bonnat et Costard, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2204173 du 10 février 2023 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de rejeter la demande d'annulation de l'arrêté du 8 juillet 2022 présentée par l'APEME et la SPPEF devant le tribunal administratif de Rennes ;

3°) de mettre à la charge de l'APEME et de la SPPEF une somme de 5 000 € chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier car la qualification donnée aux sous-produits animaux de déchets au sens du point 2 de l'article 2 de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, retenue par le tribunal au sujet des moules sous taille est insuffisamment motivée ;

- le préfet d'Ille-et-Vilaine, et non le ministre, était compétent pour autoriser une voie d'élimination des sous-produits animaux ;

- l'arrêté attaqué relève exclusivement de la réglementation sanitaire communautaire et n'implique pas la délivrance d'une autorisation au titre des installations classées pour la protection de l'environnement eu égard à l'indépendance des législations de sorte qu'elle n'avait pas l'obligation de réaliser préalablement à sa demande d'autorisation une évaluation environnementale, une enquête publique ou de consulter les collectivités intéressées ;

- les moules sous-taille ne sont pas soumises à la réglementation des déchets tant sur le fondement du b du point 2 de l'article 2 de la directive n° 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets qui exclut de son champ d'application les sous-produits animaux que sur le fondement de l'article L. 541-4-1 du code de l'environnement issu de l'article 16 B de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 dite EGALIM qui exclut les sous-produits animaux de la réglementation relative aux déchets ;

- l'épandage des moules non commercialisables ne nécessitait pas d'autorisation d'occupation du domaine public en application des articles L. 2121-1 et L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

- l'épandage des moules non commercialisables n'est pas incompatible avec l'article 8 du schéma des structures et exploitations de cultures marines arrêté par le préfet de la région Bretagne du 20 juin 2019 et applicable au domaine public en application de l'article D. 923-2 du code rural et de la pêche maritime ;

- la commission des cultures marines n'avait pas à être consultée sur le fondement de l'article D. 914-3 du code rural et de la pêche maritime ;

- le préfet d'Ille-et-Vilaine était bien compétent pour accorder aux mytiliculteurs une dérogation individuelle à l'obligation d'incinération ou d'enfouissement sur place sur le fondement de l'article 19 du règlement (CE) n° 1069/2009 alors que l'article R. 231-13 du code rural et de la pêche maritime réserve au seul ministre chargé de l'agriculture l'édiction des normes sanitaires applicables aux sous-produits animaux ;

- la dérogation à l'obligation d'éliminer les sous-produits animaux par un autre moyen que l'incinération ou l'enfouissement sur place relève de l'article 19 du règlement (CE) n° 1069/2009 et non de l'article 20 de ce même règlement qui porte sur les autorisations d'autres " méthodes " d'élimination et non sur des " moyens autres que l'incinération et l'enfouissement sur place " ;

- l'article 24 du règlement (CE) n° 1069/2009 qui impose un agrément sanitaire aux exploitants ne s'applique pas aux mytiliculteurs qui n'exploitent pas d'établissement et d'usine au sens de cet article ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2023, l'Association Pays d'Emeraude Mer Environnement (APEME) et la Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France (SPPEF) concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat et du Comité régional de conchyliculture de Bretagne nord sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que les moyens soulevés par le Comité régional de conchyliculture de Bretagne sont dépourvus de fondement.

Par un mémoire, enregistré le 24 novembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a présenté des observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n°1069/2009 du parlement européen et du conseil du

21 octobre 2009 établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 142/2011 de la commission du 25 février 2011 portant application du règlement (CE) n° 1069/2009 du Parlement européen et du Conseil ;

- le code de l'environnement ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 12 février 2003 relatif aux prescriptions applicables aux installations classées soumises à autorisation sous la rubrique 2731 dépôt de sous-produits d'origine animale, y compris débris, issues et cadavres, à l'exclusion des dépôts de peaux, des établissements de diagnostic, de recherche et d'enseignement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,

- et les observations de Me Bonnat, représentant le Comité régional de la conchyliculture de Bretagne nord.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courriel en date du 31 mai 2022, le Comité régional de la conchyliculture de Bretagne Nord, a demandé au préfet d'Ille-et-Vilaine de l'autoriser à continuer à déposer sur l'estran de la Baie du Mont-Saint-Michel des moules dites " sous-taille " ou " non commercialisables ". Par un arrêté du 8 juillet 2022, le préfet d'Ille-et-Vilaine a, sur le fondement du point d) du paragraphe 1 de l'article 19 du règlement (CE) n° 1069/2009 du 21 octobre 2009 susvisé, accordé au Comité régional de la conchyliculture de Bretagne Nord et à ses adhérents une dérogation à l'obligation de traitement par incinération ou enfouissement sur place des moules non commercialisables en autorisant leur dépôt sur trois secteurs de l'estran de la baie du Mont-Saint-Michel, au titre de la saison 2022-2023 qui s'achève le 15 février 2023. Par un jugement du 10 février 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 8 juillet 2022 aux motifs que le préfet d'Ille et Vilaine était incompétent pour délivrer une telle dérogation à l'obligation de traitement des sous-produits animaux et que l'arrêté méconnaissait tant le règlement (CE) n° 1069/2009 du 21 octobre 2009 que les réglementations applicables au titre du code de l'environnement, du code général des propriétés des personnes publiques ainsi que les articles D. 914-3 et D. 923-2 du code rural et de la pêche maritime. Le Comité régional de la conchyliculture de Bretagne nord relève appel du jugement du 10 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 8 juillet 2022.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Rennes a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par les associations requérantes. Si le tribunal a jugé que la réglementation environnementale relative aux déchets et notamment la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 était applicable aux moules sous-taille sans expliquer en quoi ces sous-produits animaux étaient qualifiables de déchets au sens de la réglementation environnementale, le tribunal n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties. Par suite, le comité régional de conchyliculture de Bretagne nord n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur la légalité de l'arrêté du 8 juillet 2022 :

3. Aux termes, d'une part, de l'article 14 du règlement (CE) n°1069/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine: " Les matières de catégorie 3 : / a) sont éliminées comme déchets, par incinération, avec ou sans transformation préalable ; / b) si elles constituent des déchets, sont éliminées ou valorisées par coïncinération, avec ou sans transformation préalable ; / c) sont éliminées dans une décharge autorisée, après transformation ; / d) sont transformées, sauf dans le cas de matières de catégorie 3 altérées par un phénomène de décomposition ou par une détérioration, de sorte qu'elles comportent, du fait de ce produit, un risque inacceptable pour la santé publique et animale (...) / e) sont utilisées pour la production d'aliments crus pour animaux familiers, mis sur le marché conformément à l'article 35 ; / f) sont converties en compost ou en biogaz ; / g) dans le cas de matières issues d'animaux aquatiques, sont ensilées, compostées ou converties en biogaz ; / h) s'il s'agit de carapaces de crustacés ou de coquilles de mollusques, autres que celles visées à l'article 2, paragraphe 2, point f), ainsi que de coquilles d'œufs, sont utilisées dans des conditions déterminées par l'autorité compétente et propres à prévenir les risques pour la santé publique et animale ; / i) sont utilisés comme combustibles, avec ou sans transformation préalable ; / j) sont utilisées pour la fabrication des produits dérivés visés aux articles 33, 34 et 36 et mis sur le marché conformément auxdits articles ; (...). ".

4. Aux termes, d'autre part, de l'article 19 de ce même règlement : " 1. Par dérogation aux articles 12, 13, 14 et 21, l'autorité compétente peut autoriser l'élimination : (...) d) par des moyens autres que l'incinération ou l'enfouissement sur place, soumis à un contrôle officiel, dans le cas de matières de catégorie 2 et de catégorie 3 ne comportant pas de risque pour la santé publique et animale, lorsque les quantités de matières n'excèdent pas un certain volume par semaine, déterminé eu égard à la nature des activités réalisées et à l'espèce d'origine des sous-produits animaux concernés ; / (...) 4. Des mesures d'application du présent article sont arrêtées en ce qui concerne : (...) c) le volume de sous-produits animaux compte tenu de la nature des activités et de l'espèce d'origine, tel que visé au paragraphe 1, point d) / (...) Ces mesures qui visent à modifier des éléments non essentiels du présent règlement en le complétant, sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l'article 52, paragraphe 4. ". Aux termes de l'article 52 de ce même règlement : " 1. La Commission est assistée par le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale institué par l'article 58 paragraphe 1, du règlement (CE) n° 178/2002 (...) / .4. Dans le cas où il est fait référence au présent paragraphe, l'article 5 bis, paragraphes 1 à 4, et l'article 7 de la décision 1999/468/CE s'appliquent, dans le respect des dispositions de l'article 8 de celles-ci ".

5. Il résulte des dispositions susmentionnées de l'article 52 du règlement (CE) n° 1069/2009 que les modalités de la dérogation à l'obligation d'éliminer les sous-produits animaux par un moyen autre que l'incinération ou l'enfouissement sur place, prévue au point d) du paragraphe 1 de l'article 19 dudit règlement, doivent être fixées par la commission européenne dans le cadre de la procédure de réglementation avec contrôle. Au nombre de ces modalités de dérogation à l'obligation de traitement des sous-produits animaux figure celle tenant à ce que " les quantités de matières n'excèdent pas un certain volume par semaine, déterminé eu égard à la nature des activités réalisées et à l'espèce d'origine des sous-produits animaux concernés ".

6. Le règlement d'exécution (UE) n° 142/2011 de la commission du 25 février 2011 portant application du règlement (CE) n° 1069/2009 du Parlement européen et du Conseil s'est borné à préciser, en son article 15, les conditions d'élimination des sous-produits animaux par l'une des méthodes prévues aux points a), b), c) et e) du paragraphe 1 de l'article 19 du règlement (CE) n° 1069/2009 du Parlement européen et du Conseil. Par suite, en l'absence de disposition dans le règlement d'exécution (UE) n° 142/2011 de la commission du 25 février 2011 fixant, pour les autres moyens d'élimination des sous-produits animaux prévus au point d) du paragraphe 1 de l'article 19 du règlement (CE) n° 1069/2009, le volume de matière à éliminer par semaine en fonction de la nature des activités réalisées et de l'espèce d'origine des sous-produits animaux concernés, le préfet d'Ille-et-Vilaine ne pouvait compétemment autoriser le comité régional de la conchyliculture de Bretagne nord et ses adhérents à déroger à l'obligation de traitement des sous-produits animaux en déterminant lui-même, au lieu et place de la Commission européenne, pour l'activité mytilicole, la quantité maximum des moules sous taille à éliminer à " plus de dix tonnes en moyenne de moules non-commercialisables par semaine et par hectare ".

7. Il résulte de ce qui précède que, pour ce seul motif et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le comité régional de la conchyliculture de Bretagne nord, que ce dernier n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 8 juillet 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, en revanche de faire droit à hauteur d'une somme globale de 1 500 euros aux conclusions présentées par les associations APEME et SPPEF sur le fondement du même article.

DECIDE :

Article 1er : La requête du Comité régional de conchyliculture de Bretagne nord est rejetée.

Article 2 : Le Comité régional de conchyliculture de Bretagne nord versera une somme globale de 1 500 euros à l'association Pays d'Emeraude Mer Environnement et à la société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Comité régional de conchyliculture de Bretagne nord, à l'association Pays d'Emeraude Mer Environnement, à la société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France ainsi qu'à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Une copie en sera transmise au préfet d'Ille-et-Vilaine

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.

La rapporteure,

I. MARION

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y MARQUIS

La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°24NT00863


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00863
Date de la décision : 04/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : SELARL AVOXA RENNES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-04;23nt00863 ?
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