Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... I... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 8 octobre 2021 de l'autorité diplomatique française à Conakry refusant de délivrer un visa de long séjour aux enfants H... A... B... et G... B... au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n°2204525 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Azou Goyéma, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- sa requête n'est pas tardive, les délais de recours ayant été différés jusqu'à la notification de la décision rendue par le bureau d'aide juridictionnelle sur sa demande d'aide juridictionnelle ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée en fait, en méconnaissance des dispositions du 2° de l'article L. 211-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il n'a pas été procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle et familiale ;
- la situation de ses enfants relève des dispositions du 2° de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle justifie du décès du père des demandeurs de visa ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations des paragraphes 1 des articles 3 et 9 et de l'article 10 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- son lien de filiation avec ses deux enfants est établi par des éléments de possession d'état.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2023, le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... I... B..., ressortissante guinéenne née en 1989, a été admise au bénéfice de la protection subsidiaire en France par une décision du 5 février 2021 de la Cour nationale du droit d'asile. Par un jugement du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 8 octobre 2021 des autorités consulaires françaises à Conakry rejetant les demandes de visa de long séjour présentées pour ses enfants allégués, H... A... B... et G... B.... Mme B... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...)/ 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
3. Il ressort des écritures en défense du ministre devant le tribunal administratif de Nantes que la commission de recours s'est fondée pour prendre la décision contestée sur les motifs tirés, d'une part, du caractère non probant des actes de naissance des enfants H... A... B... et G... B... et, d'autre part, de l'absence de justification du décès du père des enfants et dès lors de l'absence de délégation de l'autorité parentale que ce dernier lui aurait consentie.
4. En premier lieu, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Cet article, dans sa rédaction applicable au litige, dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. Pour justifier de l'identité et du lien de filiation des demandeurs de visa à l'égard de Mme B..., ont été produits les actes de naissance des enfants H... A... B... et G... B... les présentant comme étant nés respectivement les 9 avril 2008 et 14 novembre 2015 à Conakry, de l'union de Mme C... I... B... avec M. F... B.... La seule circonstance que ces actes ne mentionnent pas l'heure de naissance des enfants, en méconnaissance de l'article 196 du code civil guinéen ne suffit pas à remettre en cause leur caractère probant, alors que dressés dans les jours qui ont suivi la naissance des enfants, ils comportent des mentions cohérentes avec les autres pièces du dossier, dont les déclarations faites par la requérante lors de sa demande d'asile. Il s'ensuit que le lien de filiation des deux enfants avec la requérante sont établis par les actes produits.
7. Dans ces conditions, en se fondant sur l'absence de justification de lien de filiation unissant Mme B... aux enfants H... A... B... et G... B..., la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux " et aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
9. La requérante qui, dans sa demande de réunification familiale en juin 2021, a fait état du décès de son époux, M. F... B..., survenu le 17 octobre 2017, corrobore ses déclarations en produisant, pour la première fois en appel, le certificat de décès dressé le 23 juillet 2021 par l'OFPRA. En l'absence de mise en œuvre par le ministre de l'intérieur de la procédure d'inscription de faux à l'encontre de ce certificat, les énonciations qu'il comporte font foi.
10. Dans ces conditions, en se fondant sur l'absence de justification d'une délégation d'autorité parentale à Mme B... sur les enfants H... A... B... et G... B... par le père de ces derniers, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré aux enfants H... A... B... et G... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros hors taxe à Me Azou Goyéma dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 23 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer aux enfants H... A... B... et G... B... des visas d'entrée et de long séjour est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux enfants H... A... B... et G... B... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Azou Goyéma une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... I... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00679