Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme K... A... et M. C... L... F... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 4 mars 2021 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer à M. C... L... F... G... et aux enfants C... E... F... D... et J... G... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2202380 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 janvier et 8 juin 2023, Mme A... et M. G..., représentés par Me Leudet, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 4 août 2021 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le lien marital entre Mme A... et M. G... est établi ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions du 1° de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur de droit, les dispositions des articles L. 561-4 et L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étant pas applicables à la demande de visa formée pour leurs enfants sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 561-2 du même code ;
- à supposer les articles L. 561-4 et L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables, il y a lieu de tenir compte d'une ordonnance de délégation d'autorité parentale du 16 novembre 2021 ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et fait valoir que la décision contestée aurait pu être légalement fondée sur un motif tiré de l'absence de preuve de l'identité et de la filiation des enfants C... E... F... D... et J... G....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- et les observations de Me Obriot, substituant Me Leudet, pour Mme A... et M. G....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. G... et Mme A... tendant à l'annulation de la décision du 4 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Abidjan rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour M. G... et les enfants C... E... F... D... et J... G..., au titre de la réunification familiale. M. G... et Mme A... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. ". Aux termes de l'article L. 434-1 de ce code : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / (...) 2° (...) l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Enfin, aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
3. Il ressort des termes de la décision contestée que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision de refus de visa, s'agissant de M. G..., sur le motif tiré de ce que Mme A... s'étant déclarée de manière constante " séparée " depuis 2015, l'intéressé était exclu des dispositions permettant de solliciter la réunification familiale en qualité de membre de famille de réfugié et, s'agissant des enfants C... E... F... D... et J... G..., sur le motif tiré de ce que les intéressés n'avaient pas fait l'objet d'un jugement de déchéance de l'autorité parentale de l'autre parent.
4. En premier lieu, s'il est constant que M. G... et Mme A... sont séparés depuis que M. G... a répudié sa femme après avoir découvert l'homosexualité de celle-ci en juin 2015, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est pas allégué que le lien matrimonial aurait été rompu par un divorce ou une décision de justice. M. G... doit dès lors être regardé comme le conjoint de Mme A... au sens et pour l'application de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Mme A... et M. I... sont dès lors fondés à soutenir que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a entaché d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile la décision par laquelle elle a refusé un visa à M. G... au titre de la réunification familiale.
5. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Le ministre de l'intérieur soutient que la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France refusant le visa sollicité par M. G... au titre de la réunification familiale pouvait être légalement fondé sur les dispositions de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux termes duquel : " La réunification familiale est refusée : / 1° Au membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée en raison des persécutions dont elle a fait l'objet dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle et de son engagement associatif en défense des droits des personnes homosexuelles. Il ressort des pièces du dossier, notamment de son récit devant les autorités en charge de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que des déclarations des intéressés dans le cadre de la présente instance, qu'après la découverte de son homosexualité en 2015, M. G... a eu envers elle un comportement très violent, dont il a résulté une blessure persistante à l'oreille droite, avant de la répudier, la renvoyant, en raison de son homosexualité, dans sa famille, où elle a subi d'autres mauvais traitements supposés modifier son orientation sexuelle. Ainsi, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que la décision contestée de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France pouvait être légalement fondée sur les dispositions du 1° de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif que M. G... constituerait une menace pour l'ordre public et qu'il est l'auteur et l'instigateur de persécutions de Mme A... à raison de son orientation sexuelle, au titre desquelles lui a été reconnue la qualité de réfugiée.
8. Il résulte de l'instruction que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Il y a lieu, dès lors, d'accueillir la demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive les intéressés d'aucune garantie de procédure liée au motif substitué.
9. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées des articles L. 561-2, L. 561-4, L. 434-1, L. 434-3 et L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que des enfants dont l'un des parents s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire ne peuvent se voir délivrer un visa au titre de la réunification familiale sans leur autre parent que si cet autre parent a été déchu de ses droits parentaux ou s'ils ont été confiés à leur parent réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire au titre de l'exercice de l'autorité parentale en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. En refusant les visas sollicités pour les enfants C... E... F... D... et J... G... au titre de la réunification familiale au motif que leur père n'avait pas fait l'objet d'un jugement de déchéance de l'autorité parentale, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, qui a rejeté par la même décision la demande de visa présentée au même titre par M. G..., n'a dès lors pas entaché sa décision d'erreur de droit.
10. En troisième lieu, M. G... et Mme A... ne peuvent utilement se prévaloir d'une ordonnance portant délégation parentale à Mme A... rendue par le tribunal de première instance de Bouake du 16 novembre 2021, dès lors que celle-ci est postérieure à la décision contestée.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
12. Eu égard aux motifs tirés de la protection de l'ordre public qui la fondent et alors que Mme A... ne bénéficiait pas, ainsi qu'il a été dit, à la date de la décision contestée, d'une délégation d'autorité parentale sur les jeunes C... E..., F... D... et B...
Marie-Josiane G..., la décision contestée n'a ni porté une atteinte excessive au droit des intéressés à leur vie privée et familiale, ni méconnu l'intérêt supérieur des enfants, en méconnaissance des stipulations précitées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... et M. G... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de Mme A... et M. G..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A... et M. G... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme A... et M. G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... et de M. G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme K... A..., à M. C... L... F... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00072