Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 novembre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 2000093 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 janvier, 13 novembre et 26 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Benveniste, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 novembre 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 26 novembre 2019 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer sa demande de naturalisation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 15 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision méconnait les dispositions des articles R. 40-29 et suivants du code de procédure pénale dès lors qu'elle justifie du classement sans suite de l'affaire mentionnée et de l'irrégularité de la consultation du ficher du traitement des antécédents judiciaires à laquelle l'administration a procédé ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait ; l'infraction reprochée repose sur des faits qui n'ont pas donné lieu à condamnation et méconnait le principe de la présomption d'innocence ; elle demeure titulaire de l'autorité parentale sur sa fille ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle justifie de toutes les conditions requises pour se voir accorder la nationalité française.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 janvier et 23 novembre 2023 et le
19 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante de la République du Congo née le 19 mars 1978, a sollicité sa naturalisation. Par une décision du 2 mai 2019, le préfet de Seine-et-Marne a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation à compter du même jour. Par une décision du 26 novembre 2019, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté son recours formé contre cette décision. Par un jugement du 2 novembre 2022, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision ministérielle.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...). ". L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle tient notamment compte, dans l'exercice de ce pouvoir, de la conduite du demandeur telle qu'elle ressort en particulier de l'enquête administrative, dont l'objet n'est pas limité à la recherche d'éventuelles condamnations pénales.
3. Pour fonder l'ajournement à deux ans de la demande de naturalisation présentée par Mme B..., le ministre s'est fondé sur la procédure dont l'intéressée a fait l'objet pour des faits de violence sans incapacité sur un mineur de 15 ans par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime le 15 avril 2015.
4. L'article 36 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française dans sa rédaction applicable en l'espèce dispose que : " Toute demande de naturalisation ou de réintégration fait l'objet d'une enquête. (...) Cette enquête, qui porte sur la conduite et le loyalisme du demandeur, est effectuée par les services de police ou de gendarmerie territorialement compétents. Elle peut être complétée par une consultation des organismes consulaires et sociaux. (...) ". Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 234-1 du code de la sécurité intérieure et 17-1 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité que cette enquête inclut la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l'article 230-6 du code de procédure pénale.
5. L'article R. 40-23 du code de procédure pénale dispose que : " Le ministre de l'intérieur (direction générale de la police nationale et direction générale de la gendarmerie nationale) est autorisé à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé ''traitement d'antécédents judiciaires", dont les finalités sont celles mentionnées à l'article 230-6. ". Aux termes de l'article 230-6, ce traitement a pour finalité de " faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement de preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs. ".
6. L'article 230-8 du code de procédure pénale dispose que : " Le traitement des données à caractère personnel est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent, qui, d'office ou à la demande de la personne concernée, ordonne qu'elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire, ou qu'elles fassent l'objet d'une mention. (...) En cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, les données à caractère personnel concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elles font l'objet d'une mention. Lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données à caractère personnel relatives à une personne ayant bénéficié d'une décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, il en avise la personne concernée. En cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite, les données à caractère personnel concernant les personnes mises en cause font l'objet d'une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l'effacement des données à caractère personnel. Lorsque les données à caractère personnel relatives à la personne concernée font l'objet d'une mention, elles ne peuvent faire l'objet d'une consultation dans le cadre des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-1 et L. 234-1 à L. 234-3 du code de la sécurité intérieure et à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. (...) ".
7. Aux termes de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " I. - Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, (...) les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : 1° Les personnels de la police et de la gendarmerie habilités selon les modalités prévues au 1° et au 2° du I de l'article R. 40-28 ; / (...) 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. L'habilitation précise limitativement les motifs qui peuvent justifier pour chaque personne les consultations autorisées. Lorsque la consultation révèle que l'identité de la personne concernée a été enregistrée dans le traitement en tant que mise en cause, l'enquête administrative ne peut aboutir à un avis ou une décision défavorable sans la saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du ou des procureurs de la République compétents. Le procureur de la République adresse aux autorités gestionnaires du traitement un relevé des suites judiciaires devant figurer dans le traitement d'antécédents judiciaires et relatif à la personne concernée. Il indique à l'autorité de police administrative à l'origine de la demande si ces données sont accessibles en application de l'article 230-8 du présent code. (...)".
8. Il résulte des dispositions du code de procédure pénale précitées que, dans le cadre d'une enquête administrative menée pour l'instruction d'une demande d'acquisition de la nationalité française, les données à caractère personnel concernant une personne mise en cause qui figurent le cas échéant dans le traitement des antécédents judiciaires ne peuvent être consultées lorsqu'elles ont fait l'objet d'une mention, notamment à la suite d'une décision de non-lieu ou de classement sans suite. Aucun texte ne permet de déroger à cette interdiction. Lorsque les données à caractère personnel ne sont pas assorties d'une telle mention les personnels mentionnés au point précédent peuvent les consulter.
9. L'autorité compétente ne peut légalement fonder le rejet ou l'ajournement de la demande de naturalisation sur des informations qui seraient uniquement issues d'une consultation des données personnelles figurant dans le traitement des antécédents judiciaires à laquelle elle aurait procédé en méconnaissance de l'interdiction mentionnée au point précédent.
10. Il ressort des pièces du dossier que l'administration a eu connaissance des faits de violence reprochés à Mme B... lors de la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) effectuée en février 2019, sur le fondement du 5° de l'article
R. 40-29 du code de procédure pénale, par une agente habilitée de la sous-préfecture de Torcy dans le cadre de l'instruction de la demande de naturalisation de cette dernière. Cette consultation a été complétée par une demande d'information adressée aux services de la police de Chessy, lesquels ont indiqué que Mme B... était " inconnue de la documentation du service ", puis par une saisine de la Procureure de la République près le Tribunal de grande instance de Meaux. Par un courrier du 14 mars 2019, celle-ci a indiqué que la procédure engagée à l'encontre de Mme B... pour lesdits faits avait fait l'objet d'un classement sans suite le 11 décembre 2015 au motif d'une orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle à la demande du parquet.
11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires a été effectuée en février 2019 par une agente préfectorale habilitée alors que les informations précitées concernant Mme B... ne comportaient pas de mention qui aurait légalement interdit leur consultation en application des dispositions de l'article 230-8 du code de procédure pénale. La circonstance qu'un courrier du 14 juin 2020 de la police nationale indique à Mme B... qu'à cette dernière date cette information est " inaccessible dans le cadre de la consultation de ce fichier à des fins d'enquête judiciaire " n'est pas de nature à établir qu'en février 2019 cette même information n'était pas régulièrement consultable dans ce même cadre. En conséquence, les services préfectoraux ont pu y avoir accès dans le cadre de l'instruction de la demande de naturalisation dont ils étaient saisis et ont pu légalement l'opposer à l'intéressée en réponse à sa demande. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées aux points 6 et 7 ne peut qu'être écarté.
12. En deuxième lieu, une demande de naturalisation ne présente pas le caractère d'une mesure pénale ou disciplinaire. Dans ces conditions, Mme B... ne peut utilement se prévaloir des principes applicables en la matière tels que celui de la présomption d'innocence. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit donc être écarté.
13. En troisième lieu, il ressort du courrier mentionné au point 10 du 14 mars 2019 de la Procureure près le Tribunal de grande instance de Meaux que le classement de la procédure mettant en cause Mme B... n'a été décidé par le parquet qu'après que celle-ci a été orientée vers une structure adaptée à la prise en charge des comportements à l'origine de cette procédure. Les faits ainsi établis sont d'une gravité certaine et sont encore récents à la date de la décision contestée. Par suite, et alors même que ces faits n'ont pas donné lieu à des poursuites pénales et que l'intéressée a conservé l'autorité parentale sur son enfant, la décision d'ajournement à deux ans contestée n'est pas entachée d'une erreur de fait, ni d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. Enfin, la circonstance que l'intéressée remplirait les autres conditions posées par le législateur afin de regarder sa demande de naturalisation comme recevable, sont, eu égard à la nature et au motif de la décision d'ajournement contestée, sans incidence sur la légalité de cette dernière.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et au titre des frais d'instance ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur .
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00005