Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 novembre 2022, 13 octobre 2023 et 2 janvier 2024, l'association pour la Protection de l'Aber Ildut, l'association Sauvegarde Paysages d'Iroise, Mme C... B..., Mme E... F... et M. A... D..., représentés par Me de Bailliencourt, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2022 par lequel le préfet du Finistère a délivré à la société Parc éolien de Porspoder une autorisation environnementale portant sur l'installation et l'exploitation de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Porspoder ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils justifient d'un intérêt à agir à l'encontre de l'arrêté contesté ;
- l'étude d'impact présente des insuffisances s'agissant de :
¤ l'analyse des impacts du tracé du raccordement électrique du parc éolien au poste-source situé à 4 kilomètres au nord-est du site,
¤ la présentation de l'insertion du projet et de ses impacts visuels sur les sites naturels et les éléments patrimoniaux avoisinants,
¤ l'analyse des impacts visuels du projet sur le site naturel de l'Aber Ildut,
¤ l'analyse des impacts sur la biodiversité notamment à l'égard des haies à supprimer pour les besoins des travaux et du suivi des mesures de compensation prévues pour protéger les chiroptères ;
- l'arrêté contesté ne respecte pas l'article L. 211-1 du code de l'environnement dès lors que le projet présente un risque d'atteinte à la préservation des zones humides ;
- il méconnaît l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dès lors que le projet présente :
¤ des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage et porte atteinte au droit pour la population locale de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, eu égard aux nuisances visuelles, aux nuisances sonores lors de la phase de réalisation des travaux et pendant la phase d'exploitation du parc éolien,
¤ un risque d'atteinte à l'utilisation économe des sols naturels et agricoles,
¤ un risque d'atteinte à la protection de la biodiversité, de la faune et de la flore,
¤ un risque d'atteinte à la protection des paysages et à la conservation des sites, des monuments et des éléments du patrimoine archéologique ;
- il est entaché d'illégalité dès lors qu'une dérogation à l'interdiction de destruction des habitats naturels des espèces protégées était requise en vertu de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
Par un courrier du 19 décembre 2022, l'association pour la Protection de l'Aber Ildut a été désignée comme représentant unique par le mandataire des requérants.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 avril et 8 novembre 2023 et le 15 février 2024 (ce dernier n'ayant pas été communiqué), la société Parc éolien de Porspoder, représentée par Me Gelas, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'association pour la Protection de l'Aber Ildut et autres le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les requérants ne justifient pas d'un intérêt à agir contre l'arrêté préfectoral contesté ;
- aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 juillet et 27 novembre 2023, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,
- les observations de Me de Bailliencourt, pour les requérants et celles de Me Kerjean-Gauducheau, substituant Me Gelas, pour la société Parc éolien de Porspoder.
Une note en délibéré, enregistrée le 13 septembre 2024, a été présentée pour la société Parc éolien de Porspoder.
Considérant ce qui suit :
1. La société Parc éolien de Porspoder a présenté le 21 octobre 2019 une demande en vue d'obtenir l'autorisation d'installer et d'exploiter un parc éolien composé de trois aérogénérateurs et d'un poste livraison, sur le territoire de la commune de Porspoder. Par un arrêté du 28 juillet 2022, le préfet du Finistère a délivré à la société Parc éolien de Porspoder l'autorisation environnementale sollicitée. L'association pour la Protection de l'Aber Ildut, l'association Sauvegarde Paysages d'Iroise, Mme C... B..., Mme E... F... et M. A... D... demandent l'annulation de cet arrêté.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la société Parc éolien de Porspoder :
2. Aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / (...) 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 (...) ". L'article L. 181-3 de ce code énonce : " I. L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Parmi ces intérêts, l'article L.511-1 du même code mentionne les dangers ou les inconvénients pour la commodité du voisinage, la santé, la protection de la nature, de l'environnement et des paysages ainsi que la conservation des sites et des monuments.
3. En premier lieu, l'intérêt pour agir des groupements et associations s'apprécie au regard de leur objet statutaire et de l'étendue géographique de leur action.
4. Il résulte de l'instruction que l'association pour la Protection de l'Aber Ildut, déclarée en préfecture le 12 avril 2005, a notamment pour objet statutaire " la préservation du site de l'Aber Ildut, tant en ce qui concerne les aspects paysagers et du patrimoine bâti, que pour ce qui touche à la faune et à la flore". Il résulte également de l'instruction que l'association Sauvegarde Paysages d'Iroise, déclarée en préfecture le 15 juin 2021, a notamment pour objet statutaire de " sauvegarder, protéger et défendre l'environnement, le patrimoine naturel et bâti ainsi que la qualité des paysages et des sites du Pays d'Iroise ", " sauvegarder, protéger et défendre le cadre de vie, la propriété, la tranquillité, la santé et la sécurité des habitants contre tous les actes ou décisions y portant atteinte, survenant en matière administrative, économique, environnementale, immobilière, touristique, urbanistique ou autres ", " sauvegarder, protéger et défendre la biodiversité, la faune et la flore du Pays d'Iroise " et enfin, " lutter contre les projets incompatibles avec les objectifs de l'association, en s'y opposant par tous moyens et recours légaux ainsi que par toutes actions en justice s'avérant nécessaires ". Eu égard à leurs objets statutaires respectifs, à leurs champs d'intervention géographique et aux missions qu'elles se sont assignées, ces deux associations justifient chacune d'un intérêt leur donnant qualité pour contester l'autorisation portant sur l'installation et l'exploitation de trois éoliennes sur le territoire de la commune de Porspoder, situées à quelques kilomètres de l'Aber Ildut et au sein du Pays d'Iroise.
5. En second lieu, il appartient au juge administratif d'apprécier si les tiers, personnes physiques, qui contestent une autorisation environnementale justifient d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.
6. Il résulte de l'instruction, notamment des prises de vue réalisées dans l'étude paysagère, que Mme C... B... réside au lieu-dit Pen Frat (ou Penn Frad) à 545 mètres de l'éolienne n°3 et M. A... D... au hameau de Larret, à 750 mètres de l'éolienne n°1. En outre, il résulte de l'instruction que Mme E... F... a la qualité d'usufruitière d'une maison, où elle dit habiter plus de six mois par an, située au lieu-dit Kerdrouc'h, à 700 mètres de l'éolienne n° 3. Eu égard à la proximité du parc éolien projeté, qui est susceptible de modifier leur cadre de vie, compte tenu de l'impact visuel que le projet est de nature à entraîner, les intéressés justifient d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour agir contre l'autorisation environnementale contestée.
7. Il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par la société Parc éolien de Porspoder doivent être écartées.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 6 août 2021 :
En ce qui concerne les atteintes aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :
8. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Aux termes de l'article L. 511-1 de ce code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Il résulte de ces dispositions que pour apprécier l'atteinte significative d'une installation à des paysages ou des sites, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la visibilité du projet depuis ces sites ou la covisibilité du projet avec ces sites ou paysages.
9. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport du 20 mai 2022 de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, que la zone d'implantation du projet contesté se situe sur le plateau rétro-littoral du Léon, constitué principalement d'un maillage bocager composé de talus non plantés, de végétations basses ou de terres agricoles, au sein duquel les éléments verticaux présents dans ce périmètre émergent des horizons et apparaissent en perspective dans leur environnement. La zone d'implantation se situe également à environ trois kilomètres de la côte, qui, très découpée et particulièrement préservée, offre de larges vues sur le Parc marin naturel d'Iroise, sur les îles d'Ouessant et de Molène et sur le phare du Four. De plus, depuis la presqu'île Saint-Laurent toute proche se développent des vues à la fois vers le large et vers l'intérieur des terres notamment vers le bourg de Porspoder et les éoliennes projetées sont susceptibles d'apparaître nettement en arrière-plan. Il résulte encore de l'instruction, notamment de l'atlas des sites classés du Finistère, que le site emblématique de la route touristique de Landunvez, site naturel classé et inscrit au titre de la loi du 2 mai 1930 par un décret du 19 avril 1999, se situe au sein d'un paysage très ouvert et dégagé dans lequel chaque élément vertical se détache à l'horizon et devient un point de repère important. En outre, la zone d'implantation du projet contesté surplombe, à une altitude d'une cinquantaine de mètres, l'Aber Ildut, site naturel répertorié en raison de sa qualité paysagère par l'instruction du gouvernement du 18 février 2019 relative à l'actualisation de la liste indicative des sites majeurs restant à classer au titre des articles L. 341-1 et suivants du code de l'environnement. Il résulte dès lors de l'ensemble de ces éléments que l'implantation de trois éoliennes d'une hauteur de 120 mètres en bout de pales dans la zone retenue située sur un plateau rétro-littoral, à une cinquantaine de mètres d'altitude, porte une atteinte excessive au paysage particulièrement préservé de l'Aber Ildut et de ses environs, compte tenu des covisibilités générées tant avec le littoral remarquable qu'avec les vues depuis la mer et les îles situées au large de Porspoder.
10. D'autre part, il résulte de l'instruction que les alentours de la zone d'implantation du projet litigieux regroupent de nombreux sites mégalithiques situés sur des points hauts et classés au titre des monuments historiques, tels que le menhir de Kérouézel, les menhirs de Traon-Igou et ceux de Mesdoun, les menhirs, pierres couchées et alignements de Saint-Dénec ou encore le dolmen dit G... à Kerménou, situés entre 1 000 et 1 750 mètres de l'éolienne n° 1. En outre, il résulte de l'instruction que la zone d'implantation des trois éoliennes projetées jouxte les menhirs de Kergadiou, dont l'un est dressé et l'autre couché, lesquels se situent à 540 mètres de l'éolienne n° 3. Il résulte des photomontages produits par les requérants qu'aucun relief ni obstacle naturel ne sépare les éoliennes litigieuses de ces menhirs de granit rose, lesquels appartiennent à une famille de mégalithes caractérisés par un bouchardage et sont classés au titre des monuments historiques par un arrêté du 25 septembre 1883. De plus, le menhir dressé mesure 8,75 mètres de hauteur, ce qui en fait le deuxième plus haut de France après celui de Kerloas à Plouarzel. A plusieurs reprises au cours de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, l'architecte des bâtiments de France a émis des avis défavorables, les 4 novembre 2019, 3 janvier 2020 et 11 août 2020, au motif que les menhirs implantés sur le plateau rétro-littoral de Porspoder constituent, par leur verticalité, des marqueurs dans le paysage et que les éoliennes, par leur hauteur trop importante, perturberaient le rapport d'échelle de ces menhirs, et plus particulièrement du menhir dressé de Kergadiou, à leur contexte paysager. Il résulte également de l'instruction que les communes de Plourin et de Lanildut ont émis, respectivement les 19 et 24 avril 2021, des avis défavorables au projet en raison de sa proximité avec certains sites et monuments patrimoniaux, notamment avec les menhirs de Kergadiou. Enfin, la commissaire enquêtrice a également émis un avis défavorable au projet, au motif notamment de la visibilité et co-visibilité directe et rapprochée avec le menhir dressé de Kergadiou, qui se situe dans un paysage exceptionnel par son état de conservation. L'étude d'impact comprend un document cartographique présentant les sensibilités au regard du patrimoine protégé et des unités paysagères, à l'échelle de l'aire d'étude rapprochée, qui inclut les menhirs de Kergadiou dans le patrimoine protégé présentant une sensibilité très forte. Compte tenu de la proximité immédiate du projet, notamment de l'éolienne n° 3 située à 540 mètres du menhir dressé, la circonstance que la hauteur maximale des éoliennes ait été abaissée de 138 à 120 mètres en bout de pales ne permet pas d'améliorer la perception des menhirs de Kergadiou. Dans ces conditions, le projet porte une atteinte excessive tant au paysage environnant qu'au patrimoine archéologique, en méconnaissance des dispositions citées au
point 8.
11. Le vice retenu aux points précédents, compte tenu de sa nature, n'est pas susceptible d'être régularisé par une autorisation environnementale modificative. Par suite, il n'y a pas lieu de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.
12. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'association pour la Protection de l'Aber Ildut et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du préfet du Finistère du 28 juillet 2022.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association pour la Protection de l'Aber Ildut et autres, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement à la société Parc éolien de Porspoder de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association pour la Protection de l'Aber Ildut, l'association Sauvegarde Paysages d'Iroise, Mme C... B..., Mme E... F... et M. A... D... d'une somme globale de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet du Finistère du 22 juillet 2022 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à l'association pour la Protection de l'Aber Ildut, l'association Sauvegarde Paysages d'Iroise, Mme C... B..., Mme E... F... et
M. A... D... une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association pour la Protection de l'Aber Ildut, désignée représentant unique en application de l'article R.751-3 du code de justice administrative, à la société Parc éolien de Porspoder et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Copie, en sera adressée pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT03690