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24/09/2024 | FRANCE | N°24NT00918

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 1ère chambre, 24 septembre 2024, 24NT00918


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2023 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré et à titre subsidiaire d'en suspendre l'exécution jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile, et

de la munir, dans l'attente, d'une attestation de demande d'asile.



Par un jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2023 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré et à titre subsidiaire d'en suspendre l'exécution jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile, et de la munir, dans l'attente, d'une attestation de demande d'asile.

Par un jugement n° 2315906 du 21 février 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 mars 2024 Mme B..., représentée par Me Benveniste, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement rendu par le tribunal administratif de Nantes le 21 février 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2023 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré ;

3°) à titre subsidiaire, d'en suspendre l'exécution jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile, et de la munir, dans l'attente, d'une attestation de demande d'asile ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de son renoncement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la décision méconnait le droit d'être entendu protégé par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- compte tenu des éléments nouveaux apportés, elle est fondée à demander la suspension de cette décision en application des dispositions de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa demande de réexamen de sa demande d'asile a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité de l'office français de protection des réfugiés et des apatrides.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2024, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Viéville a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante azerbaïdjanaise née le 6 août 1974, a déclaré être entrée irrégulièrement en France une première fois en 2018. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 25 novembre 2020 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) puis par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 novembre 2021. L'intéressée a déclaré être retournée dans son pays d'origine puis être de nouveau entrée en France le 22 juillet 2023 et a sollicité le réexamen de sa demande d'asile. Par une décision du 29 août 2023, le directeur de l'OFPRA a rejeté sa demande de réexamen comme irrecevable. Par un arrêté du 26 septembre 2023, le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays de destination. Mme B... a contesté devant le tribunal administratif de Nantes cette dernière décision et par un jugement du 21 février 2024, le magistrat désigné du tribunal a rejeté sa requête. Mme B... relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 26 septembre 2023 :

2. En premier lieu, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Lorsqu'il demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, y compris au titre de l'asile, l'étranger, du fait même de l'accomplissement de cette démarche qui vise à ce qu'il soit autorisé à se maintenir en France et ne puisse donc pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement forcé, ne saurait ignorer qu'en cas de refus il sera en revanche susceptible de faire l'objet d'une telle décision. En principe, il se trouve ainsi en mesure de présenter à l'administration, à tout moment de la procédure, des observations et éléments de nature à faire obstacle à l'édiction d'une mesure d'éloignement. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

3. Mme B..., qui est entrée en France une première fois en 2018 avec ses enfants avant de repartir en Azerbaïdjan après le rejet de sa demande d'asile et qui est revenue avec ses deux enfants mineurs sur le territoire français en juillet 2023, n'établit pas qu'elle aurait demandé un entretien avec les services préfectoraux et pas davantage qu'elle aurait été empêchée de s'exprimer avant que ne soit prise la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que Mme B... aurait été privée du droit d'être entendue, résultant du principe général du droit de l'Union européenne, tel qu'il est notamment exprimé au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".

5. Mme B... fait valoir d'une part, que ses deux enfants sont scolarisés en France et qu'elle y a établi le centre de ses intérêts familiaux pour y avoir vécu plusieurs années avant d'être contrainte de repartir en Azerbaïdjan et d'autre part, qu'elle est insérée professionnellement sur le territoire. Toutefois, les documents qu'elle produit ne permettent pas d'établir qu'elle aurait fixé en France le centre de ses attaches personnelles et familiales et qu'elle y aurait noué des relations d'une particulière stabilité, ancienneté et intensité, alors que ses deux enfants mineurs ont vocation à l'accompagner dans le cadre de l'exécution de la mesure contestée et qu'elle a vécu l'essentiel de sa vie en Azerbaïdjan, où elle a nécessairement conservé des attaches personnelles. Par ailleurs, elle n'a produit aucun élément en appel pas plus qu'en première instance établissant la réalité de son insertion professionnelle alors au demeurant qu'elle ne dispose pas du droit de travailler en France. Par suite, le préfet n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision attaquée a été prise, ni commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de Mme B....

6. En troisième lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.

Sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français :

7. Aux termes de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. ". Aux termes de l'article L. 752-11 du même code : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné, saisi en application des articles L. 752-6 ou L. 752-7, fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile. ".

8. Il est fait droit à la demande de suspension de la mesure d'éloignement si le juge a un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de rejet ou d'irrecevabilité opposée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, au regard des risques de persécutions allégués ou des autres motifs retenus par l'Office. A l'appui de ses conclusions à fin de suspension, l'intéressé peut notamment se prévaloir d'éléments nouveaux apparus postérieurement à la décision de l'Office ou à l'obligation de quitter le territoire français.

9. En l'espèce, la demande de Mme B... de réexamen de sa demande d'asile a été rejetée par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides comme irrecevable au motif d'une part, que les violences que l'intéressée et ses enfants auraient subies sont présentées comme la conséquence directe de son engagement politique, dont la réalité n'a pas été retenue à l'issue de ses auditions par l'OFPRA et la CNDA tant dans le cadre de sa demande initiale que de sa demande de réexamen, et, d'autre part, que les documents médicaux produits ne présentent pas de garanties suffisantes d'authenticité pour être regardés comme probants et qu'en outre, les témoignages produits la requérante sont également dépourvus de toute force probante.

10. Mme B... soutient qu'elle a été victime de violences conjugales lorsqu'elle a regagné l'Azerbaïdjan en janvier 2022 après le rejet de sa demande d'asile, et qu'à ce titre elle peut bénéficier de la protection subsidiaire. Elle produit à l'appui de sa demande, outre la copie du récit de son parcours qu'elle a adressé à l'OFPRA, des comptes rendus d'examens de radiographie réalisés en Azerbaïdjan montrant qu'elle a souffert d'une fracture de la hanche, et une attestation non datée, à l'entête du " Women Crisis Center " traduite en français portant un tampon du Centre de crise pour les femmes de Prague (République Tchèque), dans laquelle est relaté le récit des violences qu'elle a subies de la part de son conjoint, des réflexions sur la violence domestique en Azerbaïdjan et les difficultés pour les femmes à bénéficier de la protection des institutions de ce pays. Toutefois, ces éléments sont insuffisants pour susciter un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par suite, les concluions à fin de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement présentées par Mme B... doivent être rejetées.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que, c'est à tort que, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 26 septembre 2023 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français et, d'autre part, à la suspension de cet arrêté. Par voie de conséquence, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre2024.

Le rapporteur

S. VIÉVILLELe président

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24NT00918 20


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00918
Date de la décision : 24/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Sébastien VIEVILLE
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : BENVENISTE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-24;24nt00918 ?
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