Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé par deux requêtes au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 19 mars 2024 par lequel le préfet de la Manche a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays d'éloignement et lui a interdit de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans, ainsi que l'arrêté
n° 2023-1135 du 4 avril 2023 du préfet de la Loire-Atlantique portant assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2400726, 2400733 du 26 mars 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 19 mars 2024 du préfet de la Manche en tant qu'il refuse l'octroi d'un délai de départ volontaire à M. C... et prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français, ainsi que l'arrêté d'assignation à résidence, et a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 avril 2024 et un mémoire du 29 août 2024, M. D... C..., représenté par Bernard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions du 19 mars 2024 du préfet de la Manche l'obligeant à quitter le territoire et fixant le pays de destination ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Manche, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer sa situation et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, dans tous les cas, de lui délivrer sous huitaine une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de l'ensemble des décisions :
- elles sont entachées d'incompétence ;
- elles sont entachées d'une erreur de fait, s'agissant de l'identité de la personne ayant commis les faits regardés par le préfet comme révélant une menace pour l'ordre public.
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise sur le fondement d'une décision illégale portant refus d'un titre de séjour ;
- elle est illégale en l'absence d'examen particulier de sa situation par le préfet ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision fixant le pays d'éloignement :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La procédure a été communiquée au préfet de la Manche, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant tunisien né en 2000, est entré en France irrégulièrement en juin 2021. Il y a rencontré une ressortissante française, Mme B... E..., et de cette relation est née une fille, le 21 septembre 2022 à Caen (Calvados), reconnue par son père le 13 octobre 2022 en mairie de Cherbourg. Le 7 avril 2023, M. C... a présenté une demande de titre de séjour en tant que parent d'enfant français, qui a été rejetée par un arrêté du 19 mars 2024 du préfet de la Manche l'obligeant à quitter le territoire sans délai et fixant la Tunisie comme pays de destination. M. C... a également été assigné à résidence par un arrêté du même jour pris par le préfet de la Loire-Atlantique. Par un jugement du 26 mars 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 19 mars 2024 du préfet de la Manche en tant seulement qu'il refusait à M. C... l'octroi d'un délai de départ volontaire et prononçait une interdiction de retour sur le territoire français, ainsi que l'arrêté d'assignation à résidence, et a rejeté le surplus des conclusions des demandes de M. C.... Celui-ci relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation, d'une part, de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre et, d'autre part, de la décision fixant la Tunisie comme pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Pour décider d'obliger M. C... à quitter le territoire après lui avoir refusé la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français au motif qu'il n'apportait pas la preuve de la prise en charge de son enfant et d'un lien affectif réel, le préfet de la Manche s'est fondé sur les circonstances que l'intéressé était défavorablement connu des services de police pour diverses infractions, qu'il avait déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire en juin 2021 sous une autre identité, qu'il s'était échappé à la faveur d'une hospitalisation pour examen psychiatrique alors qu'il était en rétention pour l'exécution de cette mesure d'éloignement, et que, lors de sa dernière interpellation, il avait à nouveau menti sur son identité et sa nationalité pour faire obstacle à son identification. Après l'énoncé de ces circonstances très défavorables au requérant, le préfet énonce dans sa décision qu'il " ressort de l'ensemble des éléments ci-dessus qu'il n'est pas possible d'accorder du crédit aux déclarations de M. C... " et que " en application du 3° de l'article L. 611-1, l'autorité peut, dans cette situation, obliger l'étranger à quitter le territoire français ". Il ressort ainsi de la motivation même de l'arrêté du
19 mars 2023 que, pour édicter la mesure d'éloignement litigieuse, le préfet de la Manche s'est fondé, de manière déterminante, sur les circonstances mentionnées ci-dessus, qui étaient de nature à affecter la crédibilité des liens de nature familiale dont se prévalait par ailleurs le requérant pour demander la délivrance d'un titre de séjour.
3. Or, il ressort des pièces du dossier que ces circonstances ne pouvaient être imputées à la personne du requérant, alors qu'elles relèvent de la seule responsabilité de son frère A..., qui, en usurpant, dans son propre intérêt, l'identité de M. D... C..., est à l'origine de l'erreur commise par le préfet de la Manche sur l'identité exacte de la personne placée en retenue administrative, puis assignée à résidence par le préfet de la Loire-Atlantique le 18 mars 2023, erreur qui a d'ailleurs été retenue par le tribunal pour annuler le refus de délai de départ volontaire et l'interdiction de retour. S'il est vrai que la mesure d'éloignement en litige n'a pas été prise pour un motif d'ordre public, mais sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant d'obliger à quitter le territoire l'étranger qui s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, il n'en demeure pas moins, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 2, que les antécédents erronés retenus à l'encontre du requérant ont été déterminants en ce qui concerne la mesure d'éloignement prise à l'encontre du requérant et qu'il ne résulte pas de l'instruction, dès lors, que le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était pas fondé sur ces faits. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre la décision d'éloignement, celle-ci doit être annulée en raison des inexactitudes matérielles dont elle est entachée.
4. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Manche du 19 mars 2024 l'obligeant à quitter le territoire et de la décision fixant le pays de destination, qui doit être annulée par voie de conséquence.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Le présent arrêt annulant seulement l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire et les décisions accessoires implique nécessairement mais seulement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet territorialement compétent réexamine la situation administrative de M. C... et lui délivre sans délai une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de ce réexamen. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Morbihan de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
6. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Bernard, avocate de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le versement à cette avocate de la somme de 1 200 euros hors taxe.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 26 mars 2024 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Manche du 19 mars 2024 l'obligeant à quitter le territoire et de la décision fixant le pays de destination.
Article 2 : Les décisions du préfet de la Manche du 19 mars 2024 obligeant M. C... à quitter le territoire et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de
M. C... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 26 mars 2024 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 6 : L'État versera à Me Bernard, avocate de M. C..., une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle.
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M. D... C..., à Me Bernard et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie sera transmise, pour information, au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Marion, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01270