Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2022 par lequel le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé son pays de destination.
Par un jugement n° 2301040 du 25 mai 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 novembre 2023 et 7 février 2024, M. A..., représenté par Me Tremouilles, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 mai 2023 ;
2°) d'annuler les décisions contestées ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, au préfet du Finistère de réexaminer sa situation et de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a omis d'examiner le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où, âgé de 16 ans lors de son placement auprès de l'aide sociale à l'enfance, et justifiant de son état civil, il a suivi une formation lui ayant permis d'obtenir un brevet d'études professionnelles, laquelle s'est poursuivie par un contrat d'apprentissage interrompu en raison de l'arrêté du préfet du Finistère du 5 janvier 2022 ; il n'a, par ailleurs, conservé aucune attache dans son pays d'origine et justifie de son insertion dans la société française dès lors qu'il dispose d'une promesse d'embauche ;
- en mentionnant sa garde à vue ainsi que l'examen psychiatrique qu'il a subi en raison d'une accusation de viol portée à son encontre en 2018, alors qu'il n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale, le préfet a méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 septembre 2022 ; ces éléments ne sont en outre pas de nature à justifier d'une menace à l'ordre public ou à établir son absence d'intégration dans la société française ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est contraire aux dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2024, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par une décision du 21 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen ayant bénéficié de l'aide sociale à l'enfance, a suivi des études professionnelles en installation des systèmes énergétiques et climatiques à Brest. Le 29 mai 2019, il a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", ou d'une première carte de séjour temporaire portant la mention " salarié, travailleur temporaire " ou " étudiant ". Par un jugement du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite par laquelle le préfet du Finistère a rejeté sa demande. En exécution de ce jugement, le préfet a refusé, par un arrêté du 5 janvier 2022, la délivrance des titres de séjour sollicités par M. A... et a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 septembre 2022. M. A..., relève appel du jugement du 25 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2022 du préfet du Finistère réitérant son refus de titre de séjour ainsi que sa décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date de la décision contestée et reprenant en substances les dispositions de l'article L. 311-15 du même code dans sa rédaction en vigueur à la date de la demande présentée par M. A... : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou de " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", lequel prévoit que : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. En premier lieu, afin de justifier de son identité et de son état civil, M. A... a notamment produit un extrait du registre de l'état civil portant transcription du jugement supplétif du tribunal de première instance de N'Zérékoré du 24 octobre 2017 ainsi que la copie de ce jugement, et enfin, la copie du passeport qui lui a été délivré par la République de Guinée le
21 décembre 2023. L'ensemble de ces documents mentionne que M. A... est né le 4 juin 2001. Par suite, et alors même que l'intéressé n'aurait pas présenté les originaux de ces justificatifs, le préfet ne pouvait, sans commettre d'erreur d'appréciation, remettre en cause l'identité et l'état civil de M. A.... Par ailleurs, il n'est pas contesté que, par un jugement du tribunal pour enfants près le tribunal de grande instance de Quimper du 18 juillet 2017, l'intéressé a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Finistère entre l'âge de seize ans et de dix-huit ans. De plus, il est constant qu'il a présenté sa demande de carte de séjour le 29 mai 2019, soit dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire. Dans ces conditions, c'est à tort que le préfet du Finistère a estimé qu'il ne remplissait pas ces deux conditions prévues à l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à partir du mois de novembre 2017, M. A... était inscrit en classe de seconde au lycée Dupuy de Lôme situé à Brest où il a poursuivi sa scolarité jusqu'au 31 août 2020 en vue de l'obtention d'un baccalauréat professionnel de " technicien en installation des systèmes énergétiques et climatiques ". S'il n'est pas contesté que l'intéressé n'a pas obtenu ce diplôme mais seulement un brevet d'études professionnelles dans ces mêmes matières au titre de la session du mois de juin 2020, ses bulletins de note des années scolaires 2018-2019 et 2019-2020, font état de difficultés tout en reconnaissant son sérieux et ses efforts. De plus, le requérant, qui n'a pas souhaité redoubler sa classe de terminale, justifie de son inscription au centre de formation des apprentis du Bâtiment du Finistère dès le 8 septembre 2020 et produit les contrats d'apprentissage signés avec la société Elorn plomberie chauffage de Plougastel Daoulas à compter de cette date jusqu'au 31 août 2022. Si le préfet souligne que cette formation en apprentissage a été interrompue au cours du mois de février 2022, il est constant que l'arrêté du 5 janvier 2022, qui n'a été annulé que le 16 septembre 2022, faisait obstacle à la poursuite de cette formation qualifiante, alors même que l'intéressé bénéficiait d'un " contrat jeune majeur " jusqu'au 30 septembre 2022. Par ailleurs, M. A... justifie de promesses d'embauche réitérées de la part de la société Elorn plomberie chauffage, dont le dirigeant indique de manière constante qu'il souhaite l'employer dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de plombier chauffagiste quand bien même il ne détiendrait pas les diplômes pour lesquels il suit une formation en alternance. Par suite, et eu égard à la cohérence de son parcours et de la promesse d'embauche dont il justifie, c'est à tort que le préfet a estimé que M. A... ne justifiait ni suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, ni du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, ni même de ses perspectives d'insertion professionnelle.
7. En troisième lieu, si M. A..., qui soutient que ses deux parents sont décédés, n'établit pas qu'il n'aurait pas conservé des attaches familiales dans son pays d'origine qu'il a quitté en 2016, il apporte plusieurs attestations de nature à démontrer ses efforts d'insertion en France. M. C..., bénévole contacté par l'association Don Bosco pour accompagner les mineurs étrangers isolés, ainsi que l'assistante sociale du service des mineurs non accompagnés de Brest, qui a été sa référente éducative pendant 3 ans, confirment que M. A... est un jeune homme très respectueux, mobilisé pour son projet professionnel, autonome dans ses démarches d'insertion et administratives et qui fait preuve d'une bonne intégration sur le territoire français. Par suite, il ne peut être regardé, compte tenu de ces éléments, comme ne présentant pas de gages de bonne intégration à la société française.
8. En dernier lieu, la décision contestée mentionne, " au surplus ", que M. A... fait l'objet d'une enquête pénale, toujours en cours d'instruction, pour des faits de viols commis le
5 mars 2018. Il est constant que l'intéressé a été entendu par la police le 14 novembre 2019, soumis à une expertise psychiatrique le 30 mars 2020, et que le fichier du traitement d'antécédents judiciaire (TAJ) mentionne qu'un prélèvement ADN a été effectué dans le cadre de cette affaire. Toutefois, alors qu'il n'a été ni jugé, ni même mis en examen pour ces faits, dont il conteste être l'auteur, il justifie, ainsi que les services du département du Finistère, avoir régulièrement interrogé le Procureur de la République sur la suite réservée à cette affaire afin que les soupçons qui pèsent sur lui soient levés. Enfin, ainsi que le fait valoir le requérant, par un jugement du 16 septembre 2022, devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a annulé le précédent arrêté du 5 janvier 2022, rejetant sa demande de titre de séjour présentée le 29 mai 2019, au motif que si le préfet émettait un doute sur sa bonne intégration au regard de cette accusation, il ne démontrait pas que l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public, ce que la décision contestée ne fait pas davantage.
9. Il suit de l'ensemble des motifs rappelés aux points 2 à 8 que M. A... est fondé à soutenir qu'en lui refusant le titre de séjour qu'il sollicitait, le préfet du Finistère a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette illégalité vicie, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi, remise de son passeport et obligeant M. A... à se présenter aux services de la police de Brest chaque semaine, lesquelles doivent, également être annulées.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête et notamment sur celui se rapportant à la régularité du jugement attaqué, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2022 du préfet du Finistère.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
11. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Finistère délivre à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'y a pas lieu à ce stade d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.
Sur les frais liés à l'instance :
12. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 %. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Tremouilles, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Tremouilles de la somme de 1 200 euros hors taxe.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2301040 du 25 mai 2023 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet du Finistère du 18 octobre 2022 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Finistère de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 4 : L'Etat versera à Me Tremouilles une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Tremouilles renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie sera adressée pour information au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- Mme Marion, première conseillère,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 septembre 2024.
La rapporteure,
V. GELARD La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03371