Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... G... et Mme J... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer des visas d'entrée et de long séjour aux enfants A... G..., F... G..., C... G... et D... G..., en qualité de membres de famille de réfugié.
Par un jugement n°2201839 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 novembre 2022 et 18 juillet 2023, M. et Mme G... et Mme A... G..., représentés par Me Régent, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 6 octobre 2021 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit tenant à ce que la commission de recours s'est sentie liée par les termes de l'article L. 562-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'une erreur d'appréciation ;
- une application littérale de l'article L. 562-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, non tempérée par les " filets " des articles 8 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, entraîne une rupture d'égalité inacceptable selon la situation des enfants demandeurs de visa, accompagnants ou non accompagnants de leur parent ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct, enregistré le 9 décembre 2022, M. et Mme G... ont demandé à la cour, à l'appui de leur requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une ordonnance du 31 janvier 2023, la présidente de la 2ème chambre de la cour a transmis au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une intervention, enregistrée le 23 mars 2023, le groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti) et le syndicat des avocats de France (Saf), représentés par I..., demandent l'annulation du jugement du tribunal administratif, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités, dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer les demandes de visas dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte.
Ils soutiennent que les refus de visas opposés aux enfants de M. et Mme G... sont illégaux et que la différence de traitement, opérée par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, entre les mineurs bénéficiant de la qualité de réfugié selon que leurs parents résident ou non sur le territoire français et selon que leurs frères et sœurs mineurs demeurés à l'étranger accompagnent ou non leurs parents est inconstitutionnelle et inconventionnelle en ce qu'elle crée une rupture d'égalité qui porte atteinte au droit de mener une vie privée et familiale au droit du réfugié mineur à une vie familiale normale et à son intérêt supérieur garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; il s'agit d'une discrimination qui méconnaît le droit de l'Union, notamment le principe de non-discrimination en droit européen, l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une décision (QPC) n° 471018 du 21 avril 2023, le Conseil d'Etat a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants.
Par une ordonnance du 5 décembre 2023, prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée avec effet immédiat.
Un mémoire a été enregistré pour M. et Mme G..., le 26 avril 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction et n'a pas été communiqué.
M. G... a obtenu l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par une décision du 19 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Montes-Derouet
- et les observations de Me Régent pour M. et Mme G... et de I..., pour le groupement d'information et de soutien des immigrés et le syndicat des avocats de France.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... G... et Mme J... G..., ressortissants ivoiriens, résident en France sous couvert de cartes de résident en qualité de parents de l'enfant Salimata G..., née le 9 octobre 2018, qui s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 17 avril 2019. M. et Mme G... ont demandé la délivrance de visas de long séjour au titre de la réunification familiale pour Mme A... G... et les jeunes F... G..., C... G... et D... G..., en qualité de frères et sœurs de Salimata G.... Par des décisions du 14 mai 2021, l'autorité consulaire française à Abidjan a rejeté ces demandes. Par une décision du 6 octobre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions de l'autorité consulaire. Par un jugement du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. et Mme G... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. M. et Mme G... et Mme A... G..., devenue majeure en cours d'instance, relèvent appel de ce jugement.
Sur l'intervention du syndicat des avocats de France et du Groupe d'information et de soutien des immigrés :
2. Eu égard à leur objet statutaire, le syndicat des avocats de France et le Groupe d'information et de soutien des immigrés doivent être regardés comme justifiant d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de l'appel de M. et Mme G... et de Mme A... G.... Dès lors, leur intervention est recevable.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Pour rejeter les demandes de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que les demandeurs et demandeuses de visas n'entraient pas dans le champ de la procédure de réunification familiale.
4. En vertu de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la carte de résident prévue à l'article L. 424-1, délivrée à l'étranger reconnu réfugié, est également délivrée à son conjoint, sous certaines conditions, à ses enfants dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou qui entrent dans les prévisions de l'article L. 421-35 et à " 4° Ses parents si l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié, sans que la condition de régularité du séjour ne soit exigée. ".
5. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ".
6. Les dispositions citées au point 5, issues de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, permettent à un réfugié d'être rejoint au titre de la réunification familiale par certains membres de sa famille, sans que le bénéfice de ce droit soit soumis aux conditions de régularité et de durée préalable du séjour, de ressources et de logement qui s'appliquent au droit des étrangers séjournant en France à être rejoints par leur conjoint ou par leurs enfants mineurs au titre du regroupement familial en application des articles L. 432-2 et suivants de ce code. Elles ont été complétées par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie pour permettre, lorsqu'un enfant mineur sollicite la réunification familiale avec ses parents restés à l'étranger, que ceux-ci soient accompagnés des enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective.
7. En premier lieu, la différence de traitement, opérée par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, entre les mineurs bénéficiant de la qualité de réfugié selon que leurs parents résident ou non sur le territoire français et selon que leurs frères et sœurs mineurs demeurés à l'étranger accompagnent ou non leurs parents porte atteinte au principe d'égalité, est justifiée par la différence de situation entre les mineurs réfugiés en France selon qu'ils sont ou non accompagnés de leurs parents, au regard de l'objet des dispositions en cause, qui est de leur permettre d'être rejoints par leurs parents demeurés à l'étranger tout en évitant que la mise en œuvre de ce droit n'implique que des enfants qui seraient dans l'impossibilité d'accompagner leurs parents sur le territoire national soient séparés de leur famille. En outre, ces dispositions qui visent à permettre aux réfugiés d'être rejoints par certains membres de leur famille dans des conditions plus favorables que celles qui permettent aux étrangers séjournant régulièrement en France de solliciter le regroupement familial, ne portent aucune atteinte au droit à une vie familiale normale ni, en tout état de cause, à l'intérêt supérieur de l'enfant.
8. Par suite, les moyens tirés de ce que les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile seraient " inconventionnelles " en ce qu'elles créent " une rupture d'égalité qui porte atteinte au droit de mener une vie privée et familiale au droit du réfugié mineur à une vie familiale normale et à son intérêt supérieur " et méconnaitraient " le droit de l'Union ", notamment le " principe de non-discrimination en droit européen ", l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des termes de la décision contestée, qui examine d'ailleurs la situation des demandeurs de visa au regard des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France se serait crue tenue de refuser les visas sollicités au seul motif que les demandeurs n'entraient pas dans le champ de la procédure de réunification familiale. Le moyen tiré de ce qu'elle aurait entaché sa décision d'erreur de droit pour ce motif ainsi que d'une erreur d'appréciation doit dès lors être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
11. Les justificatifs de quelques échanges par messagerie électronique, dont les plus anciens ne datent que de novembre 2020 alors que M. et Mme G... résident en France respectivement depuis 2014 et 2017 et les transferts d'argent adressés sur la période courant de 2018 à octobre 2021, à plusieurs tiers autres que ceux auxquels les enfants ont été confiés ne permettent pas d'établir que M. et Mme G... ont maintenu des liens continus avec leurs enfants. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des photos de famille où les enfants sont très entourés, et il n'est pas davantage allégué que Mme A... G... et les enfants F... G..., C... G... et D... G..., âgés respectivement de 17, 15 et 12 et 9 ans à la date de la décision contestée, seraient isolés en Côte d'Ivoire où le jeune D... et Mme A... ont été confiés, ensemble, à leur grand-mère paternelle et au Mali où les enfants F... et C... ont été confiés, ensemble, à leur oncle et où ils poursuivent tous leur scolarité et pas davantage dans une situation de particulière vulnérabilité. Dans ces conditions, et alors qu'au demeurant il est loisible à M. et Mme G... de mettre en œuvre une procédure de regroupement familial, ce qu'ils ont d'ailleurs initié, et de rendre visite aux intéressés dans leur pays de résidence, doivent être écartés les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations précitées de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les requérants n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, leurs conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil des requérants en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention du syndicat des avocats de France et du groupe d'information et de soutien des immigrés est admise.
Article 2 : La requête de M. et Mme G... et de Mme G... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme G..., à Mme A... G..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et au syndicat des avocats de France (SAF).
Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03622