Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... C..., M. B... A... et Mme D... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 4 août 2021 de l'autorité consulaire française à Yaoundé (République du Cameroun) refusant à Mme F... C... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour, en qualité de descendante à charge de ressortissants français.
Par un jugement n°2200155 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa de long séjour sollicité à Mme C... dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 septembre 2022, 20 octobre 2023 et 26 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme F... C..., M. B... A... et Mme D... A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- il ne peut être tenu compte du jugement d'adoption de Mme C... en l'absence de mesure d'exequatur de ce jugement et en l'absence d'établissement d'un acte de naissance en transcription de ce jugement prenant en compte le changement d'état-civil et de filiation de l'intéressée ;
- le jugement d'adoption est entaché de fraude en ce qu'il permet opportunément à l'intéressée de solliciter un visa en qualité d'enfant étranger à charge de français ;
- les parents adoptifs n'établissent pas prendre en charge Mme C... et cette dernière ne justifie pas être privée de toute ressource ni être isolée au Cameroun ;
- la décision en litige ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré les 9 janvier 2023, 14 décembre 2023 et 8 mars 2024, M. et Mme A... et Mme C..., représentés par Me Daumont, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République unie du Cameroun du 21 février 1974 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante camerounaise née le 15 octobre 1996, a fait l'objet d'une adoption simple par M. et Mme A..., ressortissants français. Mme C... a sollicité la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en qualité de descendante à charge de ressortissants français. Par une décision implicite née le 8 novembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision par laquelle les autorités consulaires françaises à Yaoundé ont refusé de délivrer à Mme C... le visa de long séjour sollicité. Par un jugement du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme C... et de M. et Mme A..., la décision implicite de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme C... le visa sollicité, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des écritures en défense du ministre devant le tribunal et la cour que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter la demande de visa présentée par Mme C..., sur les motifs tirés, d'une part, de ce que le jugement d'adoption serait entaché de fraude, d'autre part, de ce que l'intéressée ne justifie pas être effectivement à la charge exclusive de ses parents français ni être isolée au Cameroun sans ressource.
3. En premier lieu, d'une part, aux termes des stipulations de l'article 34 de l'accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République unie du Cameroun du 21 février 1974 : " En matière civile (...), les décisions contentieuses ou gracieuses rendues par une juridiction siégeant en France ou au Cameroun sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes : (...)/ ; f) Elle ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 423-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " S'il est âgé de dix-huit à vingt et un ans, ou qu'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, ou qu'il est à la charge de ses parents, l'enfant étranger d'un ressortissant français se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans sous réserve de la production du visa de long séjour prévu au 1° de l'article L. 411-1 et de la régularité du séjour./
Pour l'application du premier alinéa, la filiation s'entend de la filiation légalement établie, y compris en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger ".
5. Les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes. Si l'autorité administrative doit tenir compte de tels jugements dans l'exercice de ses prérogatives, il lui appartient toutefois, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révéleraient l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international, ainsi que le prévoit, pour ce qui concerne les effets en France des jugements rendus en matière civile par les juridictions du Cameroun, l'article 34 de la convention du 21 février 1974 entre la République française et la République unie du Cameroun relative à l'entraide judiciaire.
6. A l'appui de la demande de visa présentée par Mme C..., a été produit un jugement d'adoption simple rendu le 19 novembre 2020 par le tribunal de grande instance de Mfouni-Yaoundé ainsi que l'acte de naissance n° 159/96 dressé à Sangmelima le 26 octobre 1996. Le ministre ne saurait, eu égard à ce qui a été dit au point précédent, utilement soutenir que le jugement d'adoption serait privé de tout effet juridique en France pour ne pas avoir fait l'objet d'une déclaration d'exequatur. Par ailleurs, la circonstance que le jugement d'adoption, prononcé à une date à laquelle Mme C... était majeure, permettrait " opportunément " à l'intéressée de solliciter un visa en qualité d'enfant étranger à charge de ressortissants français, ne suffit pas à établir le caractère frauduleux de cette adoption, alors que les pièces du dossier démontrent la sincérité de la démarche d'adoption suivie par les parents adoptifs de Mme C... ainsi que l'isolement familial et le grand dénuement dans lequel cette dernière se trouvait à la date du jugement d'adoption simple. Ne constitue pas davantage un indice de fraude la circonstance que, postérieure au jugement d'adoption, l'acte de naissance n° 159/96 de l'intéressée ne transcrit pas, sur le fondement des articles 350 et 364 du code civil camerounais prévoyant que l'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté, un changement d'état-civil de Mme C..., alors que le tribunal peut décider de ne pas statuer sur la question du nom de l'adopté, ainsi que le prévoit l'article 362 de ce code. Dans ces conditions, la commission de recours a, en estimant que l'adoption de Mme C... présentait un caractère frauduleux, fait une inexacte appréciation des faits.
7. En second lieu, aux termes de l'article L. 423-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " S'il est âgé de dix-huit à vingt et un ans, ou qu'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, ou qu'il est à la charge de ses parents, l'enfant étranger d'un ressortissant français se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans sous réserve de la production du visa de long séjour prévu au 1° de l'article L. 411-1 et de la régularité du séjour. (...). ".
8. Lorsqu'elle est saisie d'un recours dirigé contre une décision diplomatique ou consulaire refusant la délivrance d'un visa de long séjour à un ressortissant étranger qui fait état de sa qualité d'enfant à charge d'un ressortissant français, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France peut légalement fonder sa décision de rejet sur la circonstance que l'intéressé ne saurait être regardé comme étant à la charge de son ascendant dès lors qu'il dispose de ressources propres, que son ascendant de nationalité française ne pourvoit pas régulièrement à ses besoins ou ne justifie pas des ressources nécessaires pour le faire.
9. Contrairement à ce que soutient le ministre, il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A..., de nationalité française, subviennent aux besoins de Mme C... depuis au moins le mois d'avril 2018 par l'envoi, chaque mois, de mandats internationaux, pour des montants mensuels de plusieurs centaines d'euros. La circonstance, invoquée par le ministre, que les parents adoptifs de Mme C... n'ont pas mentionné de déduction au titre d'une pension alimentaire dans leur avis d'imposition de 2020 ne remet pas en cause la réalité de ces versements. Il ressort également des pièces du dossier, notamment du récit circonstancié de Mme C..., conforté par les attestations de compatriotes l'ayant fréquentée, que cette dernière, abandonnée dès son plus jeune âge par sa mère, non reconnue par son père et élevée, dans la plus grande précarité, par sa seule grand-mère, dont le décès est au surplus survenu le 25 octobre 2021, est dépourvue de toutes ressources lui permettant de vivre décemment au Cameroun et qu'elle a été contrainte de recourir à l'aide de tierces personnes pour s'alimenter ou se loger. Enfin, M. et Mme A..., qui n'ont pas de personne à charge et qui sont propriétaires de leur maison, justifient en 2020 d'un revenu fiscal de référence de 23 890 euros. Dans ces conditions, en estimant que Mme C... ne pouvait être regardée comme étant à la charge de ses parents français adoptifs, la commission de recours a commis une erreur manifeste d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer à Mme C... le visa de long séjour sollicité, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme C..., à M. et à Mme A... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme F... C..., à M. B... A... et à Mme D... A....
Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03006