Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C..., agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de l'enfant B... D..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 30 novembre 2021 de l'autorité consulaire française au Tchad refusant de délivrer à l'enfant B... D... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2211442 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur, sous astreinte, de faire délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 mai 2023 le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 mai 2023 ;
2°) de rejeter la demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le motif tiré de ce que la réunification familiale présente un caractère partiel, substitué aux motifs de la décision contestée, est de nature à légalement la fonder ;
- le motif tiré de l'absence de délégation de l'autorité parentale et d'autorisation de sortie du territoire, substitué aux motifs de la décision contestée, est de nature à légalement la fonder.
La requête enregistrée dans la présente instance a été communiquée à Mme A... C... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... C..., ressortissante centrafricaine née le 16 juillet 1997 s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée par décision du directeur général de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 20 août 2019. L'enfant B... D..., ressortissante centrafricaine née le 7 juillet 2013, qu'elle présente comme sa fille issue d'une première union, a déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française au Tchad, laquelle a rejeté cette demande par une décision du 30 novembre 2021. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 15 juin 2022. Mme C... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement de ce tribunal du 9 mai 2023 annulant la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et lui enjoignant de délivrer le visa de long séjour sollicité.
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée pour rejeter la demande de visa de long séjour sur les motifs tirés de ce que d'une part, les déclarations incohérentes de Mme C... conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale, d'autre part, que l'acte de naissance de la demandeuse n'est pas conforme à l'article 129 du code de la famille centrafricain et n'a donc pas de valeur probante, et enfin qu'il n'est pas produit de titre d'identité ou de voyage valide pour l'enfant, ni de justificatif de droit au séjour tchadien.
3. Le jugement attaqué, pour annuler la décision contestée, a estimé qu'aucun des motifs de cette dernière n'était de nature à la fonder légalement. Le ministre de l'intérieur, qui relève appel de ce jugement, ne conteste pas les motifs d'annulation retenus par le tribunal mais fait valoir que la décision contestée est susceptible d'être fondée sur les motifs tirés d'une part, de ce que la réunification familiale présente un caractère partiel et d'autre part, de l'absence de délégation de l'autorité parentale et d'autorisation de sortie du territoire.
4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ". En outre, aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
6. Il résulte de ces dispositions que l'enfant, mineur de dix-huit ans, souhaitant rejoindre son parent réfugié sans son autre parent, bénéficie de plein droit de la délivrance d'un visa de long séjour soit lorsque son autre parent est décédé ou déchu de l'autorité parentale, soit s'il a été confié à son parent réfugié ou au conjoint de ce dernier en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère et est muni de l'autorisation de son autre parent. Il résulte en outre de ces dispositions que la réunification doit concerner, en principe, l'ensemble de la famille du ressortissant étranger qui demande à en bénéficier et qu'une réunification partielle ne peut être autorisée à titre dérogatoire que si l'intérêt des enfants le justifie.
7. En premier lieu, d'une part, il est constant que M. D..., père de l'enfant B... D..., est décédé. D'autre part, par un jugement du 25 novembre 2020, le tribunal de grande instance de N'Djamena (Tchad), a prononcé l'adoption simple de l'enfant B... D... par M. E... C... lequel a épousé religieusement la mère de l'enfant, Mme C.... Il ressort toutefois de l'article 351 du code civil tchadien, produit par Mme C... en première instance, que lorsque l'adoptant est le conjoint du père ou de la mère de l'adopté, il a concurremment avec lui la puissance paternelle mais que le père ou la mère en conserve seul l'exercice. Il ressort ainsi des pièces du dossier que Mme C... continuait d'exercer seule, à la date de la décision contestée, l'exercice de l'autorité parentale sur sa fille. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que Mme C... devait justifier d'un jugement lui déléguant l'exercice de l'autorité parentale ainsi que de l'autorisation de l'autre parent.
8. En second lieu, il est constant que l'époux de Mme C... n'a pas sollicité un visa de long séjour au titre de la réunification familiale. Toutefois, alors que le père biologique de l'enfant est décédé, M. E... C... n'a introduit une requête à fin d'adoption simple de la jeune B... D... que le 28 octobre 2020, alors qu'une demande de visa au titre de la réunification familiale avait déjà été déposée pour l'enfant le 26 octobre 2020. Par ailleurs, il ressort des attestations produites et de l'acte notarié d'entretien que si M. E... C... assume la charge financière de l'enfant, cette dernière réside en réalité chez une tierce personne qui en assure l'éducation. Dans ces conditions, il ressort des pièces du dossier que l'intérêt de la jeune B... D... est de rejoindre sa mère en France et justifie ainsi, à titre dérogatoire, que la réunification familiale présente un caractère partiel.
9. Il résulte de ce qui précède que les demandes de substitution de motifs demandées par le ministre ne peuvent être accueillies.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 15 juin 2022 de la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France sur son recours dirigé contre la décision des autorités consulaires de France au Tchad du 30 novembre 2021 et lui a enjoint de délivrer, sous astreinte, le visa de long séjour sollicité.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... C....
Délibéré après l'audience du 29 août 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président de
la formation de jugement,
C. RIVASLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01357