La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/09/2024 | FRANCE | N°24NT01199

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 13 septembre 2024, 24NT01199


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... G... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 1er février 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles.



Par un jugement n° 2402433 du 4 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17

avril et 22 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Neraudau, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement du magis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... G... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 1er février 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 2402433 du 4 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 avril et 22 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Neraudau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 4 mars 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er février 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le premier juge a omis de se prononcer sur le moyen tiré du défaut d'examen " complet " de sa situation personnelle, en particulier au sujet de sa vulnérabilité ;

- en répondant à trois moyens distincts par un unique considérant, le premier juge a insuffisamment motivé son jugement ;

- il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel dans les conditions de confidentialité et de qualification prévues à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il procède d'un examen incomplet de sa situation ;

- il comporte une erreur de fait sur la date de sa prise d'empreintes digitales en Espagne ;

- l'Espagne lui a remis une décision d'éloignement d'Espagne sans avoir enregistré sa demande d'asile ;

- dans le cadre d'un premier transfert, elle a accepté de le prendre en charge comme demandeur d'asile mais n'a ensuite pas pris ses empreintes et ne l'a pas enregistré comme demandeur d'asile ;

- les autorités françaises auraient du faire une demande de reprise en charge et non pas de prise en charge ;

- le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- il a méconnu l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2024, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Derlange, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen, né le 25 février 2000, a sollicité l'asile le 29 décembre 2023. Par un arrêté du 1er février 2024, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités espagnoles. M. A... relève appel du jugement du 4 mars 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le jugement attaqué répond avec la précision nécessaire, au point 5, alors que les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments de M. A..., au moyen tiré du défaut d'examen particulier de sa situation, notamment au sujet de sa vulnérabilité pour motifs médicaux. Par suite, le moyen tiré de l'omission d'examiner un tel moyen doit être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

4. La seule circonstance que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes ait écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale, 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dans un point unique ne suffit pas à établir qu'il aurait insuffisamment motivé son jugement sur ces moyens. Le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par le requérant, a répondu avec la précision requise au point 15 du jugement attaqué aux moyens soulevés à ce titre, pour M. A.... Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 2, il a répondu au point 5 du jugement attaqué au moyen tiré du défaut d'examen de la vulnérabilité de l'intéressé. Dans ces conditions, le moyen relatif à l'irrégularité tirée de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. En premier lieu, l'arrêté contesté portant transfert aux autorités espagnoles comporte les circonstances de fait et de droit qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivé en droit et en fait, contrairement à ce que soutient M. A....

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. A..., notamment de sa vulnérabilité, tenant compte du fait qu'il avait fait l'objet d'une précédente décision de transfert en Espagne.

7. En troisième lieu, par un arrêté du 24 janvier 2024 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de Maine-et-Loire a donné délégation à M. Nicolas Brochard, secrétaire administratif de classe exceptionnelle, adjoint à la cheffe du pôle régional Dublin de la préfecture de Maine-et-Loire et signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer les décisions d'application du règlement " Dublin III " prises à l'égard des ressortissants étrangers en cas d'absence ou d'empêchement de M. B... D..., directeur de l'immigration et des relations avec les usagers, et de Mme C... F..., cheffe du pôle, dont il n'est pas établi qu'ils n'étaient pas absents ou empêchés. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.

8. En quatrième lieu, M. A... soutient que l'arrêté contesté comporte une erreur de fait au motif qu'il indique que ses empreintes digitales ont été prises en Espagne le 10 avril 2023 alors qu'il ressort de l'acte des autorités espagnoles (" acuerdo de devolución ") qu'il produit qu'il a fait l'objet d'un sauvetage en mer le 11 avril 2023. Toutefois, à supposer que l'arrêté contesté n'indique pas la date précise de sa prise d'empreinte, cette erreur matérielle portant sur un jour reste sans influence sur sa légalité, d'autant qu'il ressort des pièces du dossier que les autorités espagnoles ont accepté de prendre en charge M. A... sur le fondement du 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en raison de son entrée irrégulière par la frontière extérieure depuis moins de douze mois.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

10. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. A... qu'il a bénéficié le 29 décembre 2023, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions en garantissant la confidentialité. Il ressort du compte-rendu de l'entretien que M. A... a été mis à même de s'exprimer sur sa situation. De même, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national du seul fait que l'agent qui a procédé à cet entretien n'est identifié que par les termes " Préfecture de la Loire-Atlantique " suivis par la mention " L'agent habilité " et ses initiales manuscrites. D'ailleurs, le préfet de Maine-et-Loire justifie du fait que ces initiales correspondent à celles d'un adjoint administratif qui disposait d'une délégation de signature en vertu d'un arrêté du 13 septembre 2023 au sein du bureau de l'asile et de l'intégration de la préfecture de la Loire-Atlantique. En tout état de cause, l'absence de plus de précision sur l'identité dudit agent n'a pas privé l'intéressé de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

11. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

12. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

13. M. A... fait état de défaillances dans le traitement des demandes d'asile en Espagne et du fait que compte tenu de la précédente décision de transfert dont il a fait l'objet il risque de ne pas être pris en charge. Mais les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En particulier, s'il soutient qu'il n'est pas possible de s'assurer qu'il aura effectivement accès à la procédure d'asile et aux conditions matérielles d'accueil en cas de transfert vers l'Espagne d'autant plus qu'il n'est pas regardé comme demandeur d'asile dans cet État, il ne l'établit pas alors que le préfet de Maine-et-Loire justifie de la décision du 24 juin 2024 par laquelle l'Espagne a accepté sa responsabilité dans l'examen de cette demande d'asile en application de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autres éléments présentés, tenant en particulier à ce qu'il serait atteint d'une drépanocytose, ce dont il n'est pas justifié par les pièces produites, n'établissent pas qu'il se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire aux articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement doivent être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. E... G... A..., à Me Neraudau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 27 août 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT01199


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01199
Date de la décision : 13/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-13;24nt01199 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award