Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 21 mars 2024 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a ordonné son transfert aux autorités portugaises et l'a assignée à résidence et les décisions du même jour portant obligation de présentation et de remise des documents de voyages au commissariat de police de Lorient.
Par un jugement n° 2401663 du 26 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 avril 2024, Mme B..., représentée par Me Roilette, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes du 26 mars 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 21 mars 2024 portant transfert au Portugal ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 21 mars 2024 l'assignant à résidence ;
4°) d'annuler les décisions du préfet d'Ille-et-Vilaine du 21 mars 2024 portant obligation de présentation et de remise des documents de voyage au commissariat de police de Lorient ;
5°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer une autorisation de séjour provisoire dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et de faire procéder au retrait des informations la concernant dans le système d'information Visabio, dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou à défaut de procéder à un nouvel examen de sa situation après lui avoir délivré une autorisation provisoire de séjour ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
s'agissant de la décision de transfert :
- elle est insuffisamment motivée en fait et révèle un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle n'a pas eu communication de l'information exigée aux termes des articles 4 et 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le préfet d'Ille-et-Vilaine a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet d'Ille-et-Vilaine a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
s'agissant de l'arrêté d'assignation à résidence :
- il est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- le préfet d'Ille-et-Vilaine a méconnu les articles L. 732-7 et R. 732-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est illégal par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de transfert.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Derlange, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante angolaise, née le 22 décembre 1974, a sollicité l'asile le 3 novembre 2023. Par des arrêtés du 21 mars 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine a ordonné son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence, avec obligation de présentation et de remise des documents de voyages au commissariat de police de Lorient. Elle relève appel du jugement du 26 mars 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté de transfert aux autorités portugaises :
2. En premier lieu, l'arrêté du 21 mars 2024 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a ordonné le transfert de Mme B... aux autorités portugaises comporte les éléments de droit et de fait qui le fondent. Il ne ressort pas de la motivation de cet arrêté, ni des autres pièces du dossier, que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressée. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et du défaut d'examen particulier de la situation de Mme B... doivent être écartés.
3. En deuxième lieu, les dispositions des articles 4 et 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ont pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun, notamment par la remise de brochures d'information lors de l'entretien individuel. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par le demandeur d'asile ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles la France transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin de demander au préfet de communiquer la notification à Mme B... des informations mentionnées par ces dispositions, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 4 et 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit, en tout état de cause, être écarté.
4. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
5. Mme B... fait valoir qu'elle est mariée avec un compatriote qui réside également en France, où il a aussi déposé une demande d'asile, et à qui sa présence est indispensable pour des motifs médicaux. Toutefois, si elle produit des actes d'état civil pour certifier l'existence de ce mariage, ses allégations sur ses liens avec cette personne sont contredites par le compte-rendu d'hospitalisation du 20 octobre 2023 qu'elle produit, indiquant que l'épouse de l'intéressé vit en Angola avec leurs huit enfants. De plus, lors de son entretien individuel du 3 novembre 2023 elle avait déclaré n'avoir aucun membre de sa famille en France et elle a indiqué à l'administration n'avoir que trois enfants. En outre, il ressort du même compte-rendu d'hospitalisation du 20 octobre 2023 que le tiers de confiance qui l'accompagnait était " une femme qu'il a rencontré(e) dans le cadre de son exil en France (...) qu'il connait depuis quelques semaines ". Au demeurant, les documents médicaux produits ne permettent pas d'établir que la présence de Mme B... serait indispensable aux côtés de cette personne. Les autres éléments présentés ne permettent pas d'établir que Mme B... se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 de ce règlement et que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent être écartés.
En ce qui concerne l'arrêté d'assignation à résidence :
6. Aux termes de l'article L. 573-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 peut être assigné à résidence selon les modalités prévues aux articles L. 751-2 à L. 751-7. ". Aux termes de l'article L. 751-2 de ce code : " (...) / En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. (...) ". Aux termes de l'article L. 751-4 du même code : " En cas d'assignation à résidence en application de l'article L. 751-2, les dispositions des articles L. 572-7, L. 732-1, L. 732-3, L. 732-7, L. 733-1 à L. 733-4 et L. 733-8 à L. 733-12 sont applicables. (...) ". Selon l'article L. 732-1 : " Les décisions d'assignation à résidence, y compris de renouvellement, sont motivées. ".
7. En premier lieu, l'arrêté assignant Mme B... à résidence comporte l'exposé des considérations de droit et de fait qui le fondent. Il est ainsi suffisamment motivé. Il ne ressort pas de la motivation de cet arrêté, ni des autres pièces du dossier, que le préfet d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressée. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté et du défaut d'examen particulier de la situation de Mme B... doivent être écartés.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 732-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile rendu applicable aux assignations à résidence prises en application de l'article L. 752-1 par les dispositions de l'article L. 752-3 de ce code : " Il est remis aux étrangers assignés à résidence en application de l'article L. 731-1 une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, la possibilité de bénéficier d'une aide au retour. / Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État ". Aux termes de l'article R. 732-5 du même code : " L'étranger auquel est notifiée une assignation à résidence en application de l'article L. 731-1, est informé de ses droits et obligations par la remise d'un formulaire à l'occasion de la notification de la décision par l'autorité administrative ou, au plus tard, lors de sa première présentation aux services de police ou aux unités de gendarmerie. (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que la remise du formulaire relatif aux droits et obligations des étrangers assignés à résidence doit s'effectuer au moment de la notification de la décision d'assignation à résidence ou, au plus tard, lors de la première présentation de l'étranger aux services de police ou de gendarmerie. Ainsi, cette formalité peut être satisfaite postérieurement à l'édiction de la décision d'assignation à résidence. Dès lors, l'absence de l'information prévue aux articles L. 732-7 et R. 732-5 précités ou l'irrégularité de cette information demeure sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux, laquelle s'apprécie à la date de son édiction et non pas de sa notification. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme inopérant.
10. En troisième et dernier lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points 2 à 5 quant à la légalité de l'arrêté de transfert aux autorités portugaises, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'assignation à résidence prise par le préfet d'Ille-et-Vilaine devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de cette décision de transfert.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés du 21 mars 2024 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a ordonné son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence, avec obligation de présentation et de remise des documents de voyages au commissariat de police de Lorient.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
12. Le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée aux fins d'injonction, sous astreinte le cas échéant, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Roilette et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 27 août 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2024.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01158