Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A..., agissant en son nom propre et en tant que représentant légal du jeune F... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 mai 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 18 février 2021 de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra-Leone refusant de délivrer au jeune F... A... un visa d'entrée et de long séjour au titre du regroupement familial.
Par un jugement n° 2113042 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 septembre et 22 novembre 2022, M. A..., agissant en son nom propre et en tant que représentant légal du jeune F... A..., représenté par Me Thoumine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 juin 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 12 mai 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A... soutient que :
- l'identité et le lien de filiation sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.
La demande d'aide juridictionnelle de M. B... A... a été rejetée par une décision du 27 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 11 octobre 1989, a obtenu le bénéfice du regroupement familial au profit de son fils allégué, le jeune F... A..., né le 15 novembre 2006, par une décision du préfet du Tarn du 27 septembre 2019. La demande de visa de long séjour déposée à ce titre a été rejetée par l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra-Leone le 18 février 2021. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 12 mai 2021. M. A... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Il relève appel du jugement de ce tribunal du 7 juin 2022 rejetant sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises en Guinée et en Sierra-Leone, sur la circonstance que l'identité du demandeur de visa et, partant, son lien familial avec M. A... ne sont pas établis.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur (...). ". L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. D'autre part, lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.
6. Pour justifier de l'identité du jeune F... A... ont été produits un acte de naissance n° 1564/2006 dressé le 21 novembre 2006 par l'officier d'état civil de la commune de Matoto, un jugement supplétif d'acte de naissance rendu par le tribunal de première instance de Conakry III (Mafanco) le 23 février 2018 ainsi que l'acte de naissance n° 1564 dressé en transcription de ce jugement le 27 février 2018. Ces actes d'état civil font état de la naissance, le 15 novembre 2006, de l'enfant F... A... de l'union de M. E... A... et de Mme D... C.... Si le ministre de l'intérieur fait valoir qu'un jugement supplétif d'acte de naissance ne pouvait être rendu le 23 février 2018 dès lors que l'intéressé disposait déjà d'un acte de naissance, ce jugement ainsi que l'acte de naissance dressé en transcription ont été annulés par un jugement rendu le 20 septembre 2022 par le tribunal de première instance de Conakry III (Mafanco) produit pour la première fois en appel. Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur soutient que l'acte de naissance dressé le 21 novembre 2006 méconnait les dispositions des articles 405, 408 et 409 du code civil guinéen, les dispositions du code civil guinéen dont il se prévaut sont issues de textes publiés au journal officiel de la République de Guinée au mois d'août 2019, postérieurement à l'acte de naissance de l'enfant du 15 novembre 2006, et ainsi ne permettent pas d'établir le bien-fondé des assertions du ministre. Enfin, il ressort du compte rendu d'entretien conduit au cours de l'instruction de la demande d'asile de M. A..., le 13 octobre 2011, que celui-ci a mentionné être le père de l'enfant F... A.... Dans ces conditions, en estimant que l'identité de l'enfant F... A... et, partant, son lien familial avec M. A... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Toutefois, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a fait valoir, en première instance, un nouveau motif fondé sur l'absence de jugement de délégation de l'autorité parentale et de consentement de la mère de l'enfant.
8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Aux termes de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande :1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Enfin, aux termes de l'article L. 434-4 dudit code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
10. Il s'ensuit que l'enfant, mineur de dix-huit ans, souhaitant rejoindre son parent réfugié sans son autre parent, bénéficie de plein droit de la délivrance d'un visa de long séjour, soit lorsque son autre parent est décédé ou déchu de l'autorité parentale, soit s'il a été confié à son parent réfugié ou au conjoint de ce dernier en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère et est muni de l'autorisation de son autre parent.
11. Il ressort des pièces du dossier que par un jugement rendu le 16 mai 2018, le tribunal de première instance de Conakry III a, à la demande de Mme C..., mère du jeune F... A..., et après avoir visé son consentement donné le 12 avril 2018, délégué l'autorité parentale sur l'enfant à M. A... dont il est précisé qu'il réside en France. Il s'ensuit, que le motif tiré de l'absence de jugement de délégation de l'autorité parentale à M. A... et d'absence de consentement de la mère de l'enfant n'est pas de nature à justifier légalement la décision contestée et la substitution de motifs demandée par le ministre ne peut être accueillie.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré au jeune F... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2113042 du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 12 mai 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour le jeune F... A... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune F... A... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFETLa greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03108