Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 26 novembre 2018 par laquelle le préfet de la région Bretagne a refusé de retirer la décision du 27 juillet 2018 par laquelle il a accordé au groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Ruais une autorisation d'exploiter des terres situées sur les communes de Broons, Lanrelas, Plumaugat et Sévignac (Côte d'Armor).
Par un jugement n° 1900344 du 1er mars 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 avril, 28 mai, 9 et 24 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Chevalier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er mars 2021 ;
2°) d'annuler la décision du préfet de la Région Bretagne du 26 novembre 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- sa requête est recevable ;
- la décision contestée est entachée d'erreur de droit au regard notamment des dispositions de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime en ce que le préfet était tenu de refuser l'autorisation d'exploiter présentée par son concurrent dès lors que la demande de ce dernier relevait d'un rang de priorité inférieur en vertu du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) de Bretagne ;
- la décision contestée est entachée d'une seconde erreur de droit, dès lors qu'elle est justifiée par des éléments qui ne tenaient ni à la nature de l'opération envisagée, ni aux critères d'appréciation de l'intérêt économique et environnemental de cette opération et ne pouvaient donc pas la fonder légalement ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'intérêt économique et environnemental des opérations en litige.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2021, le GAEC de la Ruais, représenté par Me Barbier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête de M. A..., dépourvue de motivation, est irrecevable ;
- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 9 décembre 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 21NT01202 du 21 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Nantes, sur appel de M. A..., a annulé ce jugement et les décisions des 27 juillet et 26 novembre 2018.
Par une décision nos 462416,462503 du 12 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23NT03674.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2024, le GAEC de la Ruais, représenté par Me Barbier, maintient ses conclusions et ses moyens et porte ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la somme de 4 000 euros.
Par des mémoires, enregistrés les 12 janvier et 1er mars 2024, M. A..., représenté par Me Chevalier, maintient ses conclusions et ses moyens et porte ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la somme de 9 000 euros.
Il soutient en outre que :
- le principal motif pris en compte par le préfet, à savoir " l'état très avancé du projet de reprise du GAEC de la Ruais ", ne se rapportait pas à un motif d'intérêt général, ni davantage à une circonstance particulière en rapport avec les objectifs fixés par le SDREA de la région Bretagne
- le seul motif tiré de l'installation de deux jeunes agriculteurs, qui pouvait certes se rattacher aux orientations du SDREA tendant à " favoriser l'installation ", ne pouvait justifier de déroger à l'ordre de ses priorités, alors que la candidature prioritaire tendait elle-même à installer un agriculteur à titre exclusif ;
- le projet de reprise du GAEC de la Ruais, contrairement au sien conduit à la disparition d'une exploitation ;
- les orientations tendant à " développer le nombre d'exploitations viables ", à la " triple performance économique, sociale et environnementale ", à " l'amélioration de la structure foncière des exploitations ", à " promouvoir les systèmes plus économes en intrants ", à " encourager le développement de l'agriculture biologique " et à " concourir à l'amélioration de la qualité de l'eau " auraient dû conduire à rejeter la demande du GAEC de la Ruais.
Par un mémoire, enregistré le 4 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire maintient ses conclusions et ses moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de pêche maritime ;
- l'arrêté du préfet de la région Bretagne du 4 mai 2018 arrêtant le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Chevalier pour M. A... et de ce dernier.
Une note en délibéré, présentée pour M. A..., a été enregistrée le 28 juin 2024.
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Ruais, et, d'autre part, M. A..., ont présenté des demandes concurrentes afin de reprendre l'exploitation de terres d'une superficie de 54 ha 01 a 45 ca situées sur les communes de Broons, Lanrelas, Plumaugat, et Sévignac dans le département des Côtes d'Armor, précédemment exploitées par M. et Mme C.... Par un arrêté du 8 février 2018, le préfet de la région Bretagne a délivré l'autorisation sollicitée à M. A.... Par un nouvel arrêté du 27 juillet 2018, le préfet de la région Bretagne a délivré également au GAEC l'autorisation d'exploitation sollicitée. M. A... a, en vain, demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2018 ainsi que la décision du 26 novembre 2018 rejetant le recours gracieux qu'il avait formé contre cette décision puis a relevé appel devant la cour administrative d'appel de Nantes du jugement du tribunal administratif du 1er mars 2021 ayant rejeté sa demande. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et le GAEC de la Ruais ont demandé au Conseil d'Etat l'annulation de l'arrêt du 21 janvier 2022 par lequel la cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que les décisions préfectorales litigieuses. Par une décision du 12 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 janvier 2022 et renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si M. A... soutient, dans sa requête sommaire, que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, ce moyen est dépourvu des précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'étendue du litige :
3. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale. La demande de M. A... devant le tribunal doit, dès lors, être regardée comme dirigée tant contre la décision du 26 novembre 2018 que contre celle du 27 juillet 2018 autorisant le GAEC de la Ruais à exploiter les terres en litige.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation des décisions du 27 juillet 2018 et du 26 novembre 2018 du préfet de la région Bretagne :
4. D'une part, aux termes du III de l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce : " Le schéma directeur régional des exploitations agricoles établit, pour répondre à l'ensemble des objectifs et orientations mentionnés au I du présent article, l'ordre des priorités entre les différents types d'opérations concernées par une demande d'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2, en prenant en compte l'intérêt économique et environnemental de l'opération ".
5. D'autre part, en vertu du 1° du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce, sont soumises à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles mentionnés à cet article. Le second alinéa de l'article L. 331-3 du même code dispose que l'autorité administrative " vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée. ". Aux termes du I de l'article L. 331-3-1 du même code dans sa rédaction applicable en l'espèce : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / (...) ". Aux termes du II de l'article R. 331-6 de ce code : " La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1. ".
6. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est saisi de demandes d'autorisation concurrentes par un preneur en place ou un candidat à la reprise répondant à des ordres de priorités différents au regard des prescriptions du schéma directeur régional, le préfet fait en principe application de l'ordre de priorité fixé par le schéma pour rejeter la demande placée à un ordre de priorité inférieur. Il peut toutefois délivrer une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient.
7. Aux termes de l'article 2 du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) de Bretagne : " Orientations : maintenir le plus grand nombre d'actifs agricoles et développer, à ce titre, le nombre d'exploitations viables (...) favoriser l'installation et la transmission des exploitations (...) ". Aux termes de l'article 3 de ce schéma, relatif à l'ordre de priorités : " I - Les règles et dispositions particulières / a) Règles s'appliquant à toutes les priorités : / En cas de demandes concurrentes relevant du même rang de priorité, les candidatures sont classées au regard des critères et règles fixés à l'article 5. Si ce classement ne permet pas de les départager, des autorisations sont délivrées pour chacune d'elles. / Au sein d'une même priorité, on départagera les demandes en fonction des sous-priorités. (...) I - Les priorités / Priorité 4-2 Installation d'agriculteur à titre exclusif ou principal Cette priorité vise l'installation d'agriculteur à titre exclusif ou principal, aidée ou non aidée, ou installation progressive aidée menant, au plus tard à l'issue de 4 ans après l'installation, à un statut exploitant à titre exclusif ou principal tel que défini à l'article 1, qui justifie d'un projet sérieux et motivé. / Pour ce faire, il est demandé que le stage 21 h prévu dans le Parcours Professionnel Personnalisé (3P) agréé du demandeur soit effectué et qu'une étude de nature à justifier du sérieux, de la réalité et de la viabilité du projet soit produite. (...). ". Aux termes de l'article 5 du même schéma : " (...) 3) Règles relatives à l'application des critères d'appréciation de l'intérêt économique et environnemental (...) / Priorité 4.2 : installation d'agriculteur à titre principal ou exclusif (...) / 4.2.6 Demandeur s'engageant en agriculture biologique sur des terres conventionnelles. (...) ".
8. Le préfet de la région Bretagne a délivré à M. A... l'autorisation qu'il avait sollicitée, au motif qu'en raison de son engagement en agriculture biologique, il était prioritaire par rapport au GAEC de la Ruais, sa demande relevant de la sous-priorité 4.2.6. du schéma directeur régional.
9. Pour prendre la décision contestée du 27 juillet 2018 autorisant également le GAEC de la Ruais à exploiter les terres en litige, le préfet, après avoir vérifié que l'opération envisagée par le GAEC de la Ruais s'inscrivait dans les orientations prévues par le SDREA de Bretagne, s'est fondé sur les circonstances que l'autorisation tacite initialement consentie, le 4 février 2018, au groupement l'avait conduit à prendre des engagements importants, avec l'acquisition du cheptel, la location de la stabulation et la conclusion d'un bail rural le 1er avril 2018. Par conséquent, le GAEC, auquel les anciens exploitants avaient décidé de confier l'exploitation de leurs terres, disposait au 27 juillet 2018, date de la décision contestée, des moyens matériels, sur le plan tant juridique que pratique, de démarrer son exploitation, ce qui relève de circonstances de fait spécifiques, s'inscrivant dans le cadre des objectifs du schéma directeur en matière d'installation et de viabilité des exploitations. L'autorité administrative a également relevé que le projet de reprise présenté par le GAEC, dont les demandes d'aide à l'installation étaient recevables, permettait une installation, effective depuis le 1er mars 2018, de deux jeunes agriculteurs, ce qui correspond aux objectifs " de favoriser l'installation" et de " de maintenir le plus grand nombre d'actifs agricoles " définis à l'article 2 du schéma directeur. Ainsi, les éléments mentionnés par le préfet, qui n'a pas commis d'erreur de droit, permettent d'établir que des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du SDREA, ont justifié qu'il délivre également au GAEC de la Ruais, en dépit du rang inférieur de sa demande par rapport à celle de M. A..., une autorisation d'exploiter, concurrente à celle accordée à ce dernier.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance et à la requête d'appel de M. A..., que ce dernier n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation des décisions du 27 juillet 2018 et du 26 novembre 2018.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par le GAEC de la Ruais au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le GAEC de la Ruais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au groupement agricole d'exploitation en commun de la Ruais et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Région Bretagne.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Derlange, président,
- M. Penhoat, premier conseiller,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
S. DERLANGE
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03674