Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 1er juillet 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 1909907 du 18 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juillet 2022 et 7 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Leudet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 1er juillet 2019 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer sa demande de naturalisation dans un délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision contestée n'a pas été prise au terme d'un examen personnalisé de sa situation, en méconnaissance de la circulaire du 27 juillet 2010 relative à la déconcentration de la procédure d'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses attaches familiales en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par décision du 30 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- et les observations de Me Leudet, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne, a sollicité sa naturalisation. Par une décision du 4 décembre 2018, cette demande a été rejetée comme irrecevable par le préfet de la Seine-Saint-Denis. Par une décision du 1er juillet 2019, le ministre de l'intérieur a rejeté le recours hiérarchique formé par Mme A... à l'encontre de cette décision, en substituant une décision de rejet à la décision d'irrecevabilité prise par le préfet de la Seine-Saint-Denis. Mme A... relève appel du jugement du 18 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. " Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) ". L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation.
3. Par ailleurs, aux termes de l'article 21-16 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Ces dispositions imposent à tout candidat à l'acquisition de la nationalité française de résider en France et d'y avoir fixé durablement le centre de ses intérêts familiaux et matériels à la date à laquelle il est statué sur sa demande. Pour apprécier si cette dernière condition est remplie, l'administration peut notamment se fonder, sous le contrôle du juge, sur sa situation familiale. Le ministre, auquel il appartient de porter une appréciation sur l'opportunité d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite peut légalement, dans le cadre de cet examen d'opportunité, tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire, y compris de celles qui ont été examinées pour statuer sur la recevabilité de la demande. Il peut ainsi prendre en considération les circonstances tenant à la situation familiale de l'intéressé, qui conditionne le respect de la condition prévue par l'article 21-16 du code civil.
4. Pour rejeter la demande F... A..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressée n'a pas établi définitivement en France le centre de ses intérêts familiaux, dès lors que ses deux enfants mineurs, D... et C... A..., résident à l'étranger.
5. Il est constant qu'à la date de la décision contestée, les enfants mineurs F... Mme A..., D... et C... A..., nés respectivement les 25 juin 2006 et 8 août 2008, résidaient en Guinée. Mme A..., qui a obtenu la reconnaissance du statut de réfugié en raison, notamment, du mariage forcé et des violences conjugales dont elle a été victime dans son pays d'origine, soutient cependant que ses enfants, qu'elle avait confié à sa mère restée en Guinée, ont été enlevés par son ancien mari en décembre 2013, de sorte qu'elle n'aurait plus de contact avec eux et serait dans l'impossibilité d'organiser leur venue en France. Pour en justifier, elle produit le témoignage de sa mère, à laquelle elle avait confié ses enfants, daté du 27 février 2020, celui d'une amie de sa mère rédigé à la même date ainsi que, pour la première fois en appel, trois attestations établies en juillet et avril 2022 émanant de l'imam de la mosquée de Coronthie dans la commune de Kaloum, du chef de quartier de Coronthie et du commissaire principal de police de Coronthie, toutes circonstanciées et concordantes, venant corroborer les témoignages de 2020. L'ensemble de ces attestations, dont l'authenticité n'est pas sérieusement remise en cause par le ministre, établissent que les liens F... A... avec ses enfants mineurs sont rompus. Dans les circonstances particulières de l'espèce, et alors que Mme A... est la mère de deux autres enfants nés en France qui résident avec elle et qu'elle justifie d'un emploi qu'elle exerce sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'elle n'avait pas fixé en France le centre de ses intérêts familiaux et matériels.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
7. Le présent arrêt implique nécessairement que le ministre de l'intérieur et des outre-mer statue de nouveau sur la demande de naturalisation présentée par Mme A.... Par suite, il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de statuer sur cette demande dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
8. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 %. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 650 euros hors taxes à Me Leudet dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 mars 2022 et la décision du ministre de l'intérieur du 1er juillet 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer la demande de naturalisation F... A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Leudet une somme de 650 euros hors taxes en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Leudet renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Montes-Derouet, présidente,
- M. Dias, premier conseiller,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
I. MONTES-DEROUET
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02481