Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun) refusant de délivrer des visas d'entrée et de long séjour aux jeunes B... D... et A... D... au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n°2202290 du 24 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 décembre 2022 et 17 avril 2023, Mme D..., agissant en tant que représentante légale des jeunes B... et A... D..., représentée par Me Danset-Vergoten, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler cette décision du 30 septembre 2021 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision des autorités consulaires n'est pas suffisamment motivée en fait ;
- la décision des autorités consulaires est privée de base légale en ce qu'elle se fonde sur les articles L. 752-1 et R. 752-1 à R. 752-3 et L. 211-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui n'étaient plus en vigueur ;
- il n'a pas été procédé à un examen sérieux de la situation des demandeurs de visa ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... D..., ressortissante camerounaise, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision du 14 novembre 2016 de la Cour nationale du droit d'asile. Par une décision du 17 mai 2021, l'autorité consulaire française à Douala a refusé de délivrer les visas de long séjour sollicités au titre de la réunification familiale au profit des jeunes B... D... et A... D..., que Mme D... présente comme ses enfants. Par une décision du 30 septembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire. Par un jugement du 24 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme D... tendant à l'annulation de la décision du 30 septembre 2021 de la commission de recours. Mme D... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce code : " " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient.
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Pour rejeter les demandes de visas de long séjour présentées en faveur des deux jeunes demandeurs de visa, la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés de ce que leur identité et le lien de filiation à l'égard de Mme D... n'étaient pas établis.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier du lien de filiation des jeunes A... et B... D... à l'égard de Mme D..., ont été produits, lors du dépôt de la demande de visa le 26 février 2020, deux actes de naissance dressés le 14 février 2020 sous les n° 2020/182 et 2020/183 en transcription de deux jugements supplétifs rendus le même jour sous les n° 688/2020 et 689/2020 par la High Court of Mezam Division ainsi que, dans le cadre du recours formé devant la commission de recours, deux autres actes de naissance établis le 16 juillet 2021 respectivement sous les n° 2021/556 et 2021/557 en transcription de deux jugements supplétifs rendus le même jour sous les n° 4602 et 4603 par la même juridiction. Le ministre produit en outre d'autres actes de naissance que la requérante avait présentés lors d'une demande de visa déposée en 2019 et qui avaient été dressés, pour chacun des demandeurs de visa, le 8 juillet 2005 sous les n° 182/2005 et 183/2005 par les services d'état-civil de Bamenda et le 3 mai 2019 sous les n° 2019/15 et 2019/16 par un autre centre d'état-civil, celui de la localité de Piyin. La coexistence de ces divers actes n'est toutefois pas de nature à remettre en cause, dans les circonstances de l'espèce, le lien de filiation des demandeurs de visa à l'égard de Mme D.... Il résulte en effet des pièces du dossier qu'ont été produits à l'appui des demandes de visa, les actes de naissance originels, dressés le 8 juillet 2005 sous les n° 182/2005 et 183/2005 par les services d'état-civil de Bamenda sur la base des déclarations effectuées le 19 juin 2005, jour de la naissance des enfants, par l'hôpital où ces derniers sont nés, dont le caractère probant n'est pas contesté par le ministre. En outre, les mentions portées sur l'ensemble des actes produits par la requérante sont en tout point concordantes avec celles figurant dans les actes de naissance dressés en 2005 ainsi qu'avec les déclarations faites par Mme D... dans le cadre de sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Enfin, il ressort des pièces du dossier que les jugements supplétifs du 16 juillet 2021 ont été sollicités par Mme D... en vue de rectifier la mention erronée de son prénom dans les jugements supplétifs prononcés en 2020 et que ces derniers ont eux-mêmes été rendus après que Mme D... s'était vu opposer par la commission des recours, lors d'une précédente demande de visas déposée en 2018, la production d'actes de naissance des jeunes A... et B... D... dressés en 2019 qui venaient s'ajouter à ceux établis en 2005. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des jeunes B... et A... D... et partant leur lien de filiation à l'égard de Mme D... n'étaient pas établis et en refusant de délivrer, pour ce motif, les visas sollicités, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés aux jeunes A... et B... D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de la cour. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 octobre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 30 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour les jeunes A... et B... D... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux jeunes A... et B... D... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT04080