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05/07/2024 | FRANCE | N°22NT03605

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 05 juillet 2024, 22NT03605


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite des autorités consulaires françaises à Kampala (Ouganda) refusant de délivrer des visas de long séjour à M. D... et à l'enfant E... D... en qualité de membres de famille d'une réfugiée.



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Par un jugement n° 2200910 du 23 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite des autorités consulaires françaises à Kampala (Ouganda) refusant de délivrer des visas de long séjour à M. D... et à l'enfant E... D... en qualité de membres de famille d'une réfugiée.

Par un jugement n° 2200910 du 23 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 8 septembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... et M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que :

- les liens familiaux allégués ne sont pas établis ;

- l'identité de M. D... n'est pas établie ;

- l'identité de l'enfant E... D... n'est pas établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2022, Mme A... C... et M. D..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer leur situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à leur conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, représentant Mme C... et M. D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 23 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme C... et de M. D..., la décision du 8 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite des autorités consulaires françaises à Kampala (Ouganda) refusant de délivrer des visas de long séjour à M. D... et à l'enfant E... D..., en qualité de membres de famille d'une réfugiée. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ".

3. Aux termes de l'article L.811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée que la commission a rejeté le recours formé par Mme C... contre les refus de visas opposés à M. D... et à la jeune E... au motif que l'identité des demandeurs de visa et leur liens allégués avec Mme C... n'étaient pas établis.

6. Pour établir l'identité de l'enfant E... et le lien familial l'unissant à Mme C..., ont été produits un document intitulé " birth certificate " n°228940, délivré le 18 novembre 2019 par la National Identification and Registration Authority (NIRA), ainsi qu'un passeport délivré le 14 janvier 2020 par les autorités ougandaises. Si l'article 30 de la loi ougandaise du 26 mars 2015 sur l'enregistrement des personnes prévoit qu'une naissance qui n'a pas été déclarée immédiatement ne peut être enregistrée, à moins que l'" executive director " ne l'ordonne à l'agent en charge de la tenue des registres, les dispositions de cet article ne prévoient pas que la mention de l'accord de cette autorité soit portée sur l'acte de naissance lui-même. Par suite, la circonstance que l'acte n° 228940 ne comporte pas la mention de l'accord de l'" executive director " alors que la naissance de la jeune E..., le 3 janvier 2015 a été enregistrée 4 ans après l'évènement ainsi relaté ne permet pas de démontrer le caractère inauthentique de l'acte. Par ailleurs, il n'est pas contesté que cet enfant n'a pas été déclaré dans le cadre de la procédure de réunification familiale dont Mme C... a elle-même bénéficié, en 2017, pour rejoindre en France sa propre mère, et qu'elle n'a mentionné à l'OFPRA l'existence de l'enfant E... que par un courrier du 22 juin 2018. Cette circonstance ne suffit pas toutefois à démontrer le caractère inauthentique du " birth certificate " de l'enfant E.... Ce document, ainsi que le passeport de l'enfant sont ainsi de nature à établir l'identité et le lien de filiation unissant l'enfant E... D... et Mme C.... En estimant que l'identité de l'enfant et le lien de filiation invoqué n'étaient pas établis et en refusant, pour ce motif, de délivrer le visa sollicité, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. Pour établir son identité, M. D... a produit un " birth certificate ", délivré le 9 janvier 2020 par la NIRA, ainsi qu'une carte d'identité et un passeport délivrés par les autorités ougandaises, respectivement, le 8 novembre 2019 et le 14 janvier 2020. S'il ressort des documents produits par le ministre de l'intérieur et des outre-mer que le " birth certificate " est au nombre des pièces justificatives pouvant être jointes à l'appui d'une demande de carte d'identité, cette circonstance ne suffit pas à faire considérer que la délivrance à M. D... d'une carte d'identité, à une date où il ne disposait pas encore de son acte de naissance démontrerait l'existence d'une fraude. Il est vrai que cet acte indique que l'intéressé est né le 5 octobre 1991, alors que sur son compte Facebook, ce dernier célèbre son anniversaire le 25 octobre. Toutefois, M. D... soutient sans être contredit que son père est décédé peu avant sa naissance, que sa mère est décédé lorsqu'il avait un an, que les personnes qui l'ont alors pris en charge, après le décès de ses parents, lui ont indiqué qu'il était né le 25 octobre, date qu'il a pris l'habitude de considérer comme son anniversaire, et que ce n'est que tardivement, au moment de l'accomplissement des démarches pour l'obtention d'une carte d'identité, qu'il a appris sa naissance, le 5 octobre 1991. Par ailleurs, s'il ressort des pièces du dossier que Mme C... a déclaré à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) que M. D... était né le 9 octobre 1991, cette inexactitude procède d'une erreur de transcription de l'agent bénévole de la Cimade qui a accompagné Mme C... dans l'accomplissement de ses démarches administratives, ainsi qu'il ressort de l'attestation établie, le 22 février 2022. Enfin, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que Mme C... a indiqué à l'OFPRA que les parents de M. D... s'appelaient David et Justine, alors qu'il ressort de son " birth certificate " que les prénoms de ses parents sont respectivement Sarah et Fred. Toutefois, Mme C... soutient sans être contredite qu'elle a donné les noms des personnes qui se sont occupés de M. D... après le décès de ses parents et qu'elle ignore l'identité de ces derniers. Par suite, le caractère frauduleux du " birth certificate " et des autres documents d'identité de M. D... n'est pas établi. En estimant que l'identité de M. D... n'était pas établie et en refusant, pour ce motif, de délivrer le visa sollicité, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 8 septembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées en appel par Mme C... et M. D... :

9. Si Mme C... et M. D... demandent que des visas de long séjour soient délivrés à M. D... et l'enfant E... D..., une injonction en ce sens a déjà été prononcée par le jugement du 23 septembre 2022 du tribunal administratif de Nantes. Ces conclusions sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

10. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E:

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Pollono renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme C... et M. D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... C... et à M. B... D....

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

M. F...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03605


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03605
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;22nt03605 ?
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