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05/07/2024 | FRANCE | N°22NT02433

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 05 juillet 2024, 22NT02433


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Compagnie Financière d'Extraction (Cofinex) a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 10 mars 2020 par lequel la préfète de l'Orne l'a mise en demeure de régulariser la situation administrative de l'activité de transit, regroupement ou tri de déchets qu'elle exerce à Boitron.



Par un jugement n° 2001577 du 23 mai 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour

:



Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 juillet 2022 et le 18 septembre 2023, la société Cofi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Compagnie Financière d'Extraction (Cofinex) a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 10 mars 2020 par lequel la préfète de l'Orne l'a mise en demeure de régulariser la situation administrative de l'activité de transit, regroupement ou tri de déchets qu'elle exerce à Boitron.

Par un jugement n° 2001577 du 23 mai 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 juillet 2022 et le 18 septembre 2023, la société Cofinex, représentée par Me Belet-Cessac, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 23 mai 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté de mise en demeure du 10 mars 2020 de la préfète de l'Orne ;

3°) d'autoriser la livraison des produits à la société Mineral Cyprus ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Cofinex soutient que :

- sa requête n'est pas tardive ;

- la motivation du jugement attaquée est erronée ;

- le tribunal a statué infra petita ; il n'a pas répondu à sa demande tendant à l'autoriser à évacuer le sulfate de sodium du site de Boitron ;

- les premiers juges ont méconnu leur office de plein contentieux ; ils n'ont pas tenu compte d'éléments de faits nouveaux à la date à laquelle ils ont statué ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le jugement attaqué était motivé ;

- les produits qu'elle entrepose sur le site de Boitron n'ont pas le caractère de déchets, au sens et pour l'application des rubriques n° 2716 et n°2718 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'interdiction d'apporter de nouveaux matériaux se fonde sur des faits erronés et est disproportionnée ;

- l'interdiction d'évacuer les produits du site aggrave ses difficultés financières.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Cofinex ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de Me Larre, substituant Me Cessac, représentant la société Cofinex.

Considérant ce qui suit :

1. La société Compagnie Financière d'Extraction (Cofinex) a été autorisée, par un arrêté du 18 mars 2011 du préfet de l'Orne, à exploiter une activité de transit et de malaxage de matériaux minéraux sur le territoire de la commune de Montagne-au Perche. L'inspection des installations classées de l'unité départementale de l'Orne de la direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL) de Normandie a relevé, dans son rapport du 13 février 2020, après une analyse des matériaux prélevés sur un terrain dont le gérant de cette société est propriétaire sur le territoire de la commune de Boitron, que cette société y stockait, en grande quantité, sans que cette activité n'ait été autorisée ni déclarée au titre des installations classées, de la coke métallurgique (sable noir) et de la magnésie, qui constituent des matériaux non dangereux, ainsi que des fumées de silice, du sulfate de sodium, des mélanges de ces deux produits et des gravillons foncés (mélange scorries-terre-pierres), qui constituent des matériaux non inertes dangereux. Ce rapport a été communiqué à la société Cofinex, qui a présenté ses observations, le 2 mars 2020. Par un arrêté du 10 mars 2020, la préfète de l'Orne a, dans son article 1er, mis en demeure cette société, sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, de régulariser sa situation, soit en déposant une demande d'autorisation environnementale d'exploiter une installation de transit, de regroupement, tri ou préparation en vue de réutilisation de déchets non dangereux non inertes (rubrique n° 2716 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement) et une installation de transit, de regroupement ou de tri de déchets dangereux (rubrique n° 2718 de la nomenclature), soit en cessant ses activités et en procédant à la remise en état du site, conformément aux articles R. 512-39-1 et suivants du code de l'environnement, en assurant notamment l'élimination des déchets dans des filières dûment autorisées à les recevoir et en réalisant un diagnostic de pollution des sols. Elle a également, à l'article 2 de cet arrêté, interdit, " à titre de mesure conservatoire et dans l'attente de la régularisation de la situation, tout nouvel apport de déchets ou autre matériau ". Par un jugement du 23 mai 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société Cofinex tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 mars 2020 de la préfète de l'Orne. La société Cofinex relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la société n'a pas présenté en première instance de conclusions tendant à ce que le tribunal l'autorise à évacuer les produits entreposés sur le site. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges n'aurait pas statué sur ces conclusions ne peut qu'être écarté.

3. En second lieu, si la société Cofinex soutient que la motivation du jugement attaqué est erronée, que le tribunal aurait méconnu son office de juge de plein contentieux des installations classées en ne tenant pas compte d'éléments de fait existant à la date à laquelle il a statué et qu'il aurait estimé à tort que l'arrêté contesté était suffisamment motivé, ces moyens se rattachent au bien-fondé du jugement attaqué et sont dès lors sans incidence sur sa régularité.

4. Par suite, la société Cofinex n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité sur ces points.

Sur le bien- fondé du jugement attaqué :

5. Aux termes de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. Elle peut, en outre, ordonner le paiement d'une amende au plus égale à 45 000 € par le même acte que celui de mise en demeure ou par un acte distinct. / Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l'utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification, à moins que des motifs d'intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s'y opposent. ".

6. Les dispositions de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive n° 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, définissent comme déchet " toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ".

7. Un déchet au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement cité au point précédent est un bien dont son détenteur se défait ou dont il a l'intention de se défaire, sans qu'il soit besoin de déterminer si ce bien a été recherché comme tel dans le processus de production dont il est issu. Aux fins d'apprécier si un bien constitue ou non un déchet au sens de ces dispositions, il y a notamment lieu de prendre en compte le caractère suffisamment certain d'une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable. Lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d'usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d'abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés, comme des biens dont leur détenteur s'est effectivement défait et présenter dès lors le caractère de déchets au regard des dispositions de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, alors même qu'ils y ont été déposés par le propriétaire du terrain. Au regard de ces critères, lorsque les circonstances révèlent que la réutilisation de ces biens sans transformation n'est pas suffisamment certaine, les seules affirmations du propriétaire indiquant qu'il n'avait pas l'intention de se défaire de ces biens, ne sont pas susceptibles de remettre en cause leur qualification comme déchet.

8. Il résulte de l'instruction et notamment du plan d'évacuation des produits présents sur le site de Boitron, proposé le 17 juillet 2020, par la société Cofinex elle-même, que celle-ci, qui a admis, dans ses écritures de première instance, " exploiter le terrain " en cause " aménagé, il y a plus de 20 ans, en plateforme de stockage ", a entreposé sur le site 150 tonnes de mélanges de fumées de silice et de sulfates de sodium, 100 tonnes de fumées de silice, 100 tonnes de coke métallurgique, 200 tonnes de sulfates de sodium, 50 tonnes de magnésie, 20 tonnes de mélanges scories-terre-pierre et 25 tonnes de brique de coke.

9. Il résulte de l'instruction, notamment du plan d'évacuation des matériaux litigieux proposé le 17 juillet 2020, à la préfète de l'Orne par la société Cofinex, que cette dernière a indiqué son intention d'évacuer pour stockage dans une installation de stockage de déchets dangereux (ISDD) les 20 tonnes de gravillons foncés, résultant d'un mélange de scories, de terre et de pierre qu'elle stocke, conditionnées en " big bags ", ainsi que la centaine de tonnes de fumées de silice et des 150 tonnes du mélange de fumées de silice et de sulfates de sodium, entreposés sur le site de Boitron. Si la société Cofinex soutient que certains de ces éléments, notamment les fumées de silice, sont susceptibles de faire l'objet d'une utilisation ultérieure, la réutilisation de ces biens, stockés sommairement et à l'air libre depuis au moins 4 ans sur le site, n'est pas certaine. Il en est de même des 100 tonnes de coke métallurgique (sable noir) entreposées en vrac sur le site, et des 50 tonnes de talc, qu'elle proposait alors de valoriser par mélange en vue, respectivement, de la production de terres allégées ou de la réalisation d'amendement des sols. Dans ces conditions, c'est par une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement que la préfète de l'Orne a estimé qu'il s'agissait de déchets.

10. Au regard des opérations de stockage, même temporaire, des déchets inertes et non inertes analysés au point précédent que la société Cofinex effectue sur le site de Boitron, cette dernière doit être regardée comme y exploitant une installation de transit, de regroupement ou de tri de déchets non dangereux et dangereux relevant respectivement des rubriques n° 2716 et n° 2718 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, ainsi que l'a relevé le rapport du 13 février 2020 de l'inspection des installations classées. Il est constant que la société requérante n'a pas sollicité l'autorisation requise au titre de cette activité. Par suite, et quand bien même la société aurait, par ailleurs, procédé, avec l'accord de la préfète de l'Orne, à l'évacuation des fumées de silice, ainsi que du mélange de fumées de silice et de sulfate de sodium, cette autorité était tenue de mettre en demeure la requérante, sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, de régulariser sa situation. Au regard des faits de stockage, sans autorisation, la préfète de l'Orne a pu légalement, sur le fondement des mêmes dispositions, prononcer à titre conservatoire, l'interdiction de tout nouvel apport de déchets ou de tout autre matériau sur le site. Le moyen tiré de ce que cette mesure serait " disproportionnée et fondée sur des faits erronés " doit, par suite, être écarté.

11. Compte tenu de ce que la préfète se trouvait, par application des dispositions de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, dans une situation de compétence liée pour prononcer la mise en demeure contestée, la société Cofinex ne peut utilement soutenir que l'arrêté litigieux serait insuffisamment motivé. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté est inopérant et doit être écarté.

12. Enfin, contrairement à ce que soutient la société requérante, il résulte de l'instruction, notamment du " tableau d'expédition " établi pour l'année 2023, qu'elle n'a pas cessé de procéder à l'évacuation de déchets entreposés sur le site. En outre, à supposer même que le sulfate de sodium qu'elle stocke depuis plusieurs années sur le site de Boitron ne constituerait pas un déchet, cette circonstance n'implique pas que le juge autorise cette société à évacuer le sulfate de sodium, dont il résulte de l'instruction que l'évacuation a été interdite en 2020 par la préfète en raison de ce que " les documents transmis ne permettent pas de garantir une traçabilité " de cette opération, alors qu'aucun élément ne permet de déterminer la nature des matériaux entreposés sur le site. Les conclusions de cette société tendant à ce que la Cour l'autorise à procéder à l'évacuation du sulfate de sodium doivent, par suite, et en tout état de cause, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société Cofinex la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de la société Cofinex est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cofinex et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFET La greffière,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02433


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02433
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : BRUN - CESSAC Associés

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;22nt02433 ?
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