Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... C..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante des enfants F... et H... B... D..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 17 juin 2021 des autorités consulaires françaises en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer aux enfants F... et H... B... D... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2205044 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 avril 2023, Mme B... C..., représentée par Me Dalançon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 8 septembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans un délai d'un mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article 47 du code de l'environnement civil, des articles L. 561-2 et L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les divergences entre ses déclarations faites à l'appui de sa demande d'asile et les éléments d'état-civil produits s'expliquent par le fait que le père biologique des enfants ne les a pas reconnus et que son oncle paternel s'est déclaré père des enfants dans l'intérêt des enfants, par complaisance et non par fraude, ce qui ne porte pas atteinte à l'ordre public ;
- si le caractère frauduleux de ce lien de filiation paternel devait être reconnu, il demeure que le lien maternel est établi ; elle a fui son pays du fait des violences infligées par son conjoint et de son opposition à l'excision de ses filles voulue par son conjoint et sa belle-famille ; le lien de filiation l'unissant à ses enfants est établi ; les documents produits justifient de l'identité des intéressées, quel que soit le délai mis pour les établir ;
- il appartenait à l'administration de lui demander le jugement de déchéance d'autorité parentale qu'elle jugeait à tort nécessaire, sauf à entacher sa décision d'un vice de procédure ; la production d'un jugement de déchéance de l'autorité parentale n'était pas indispensable ; en tout état de cause elle a produit une autorisation de sortie du territoire signée par le père des enfants ; elle était dans l'impossibilité de produite une délégation de l'autorité parentale du père biologique des enfants eu égard à son désintérêt, à sa volonté de faire exciser ses filles et au fait qu'il n'est pas le père reconnu des enfants ;
- le lien de filiation est établi par les éléments de possession d'état communiqués ;
- à titre subsidiaire, au regard de l'article 55 de la Constitution, l'alinéa 1 de l'article L. 561-4 et l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont incompatibles avec les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... C..., ressortissante guinéenne née en 1997, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 mars 2020. En 2021, des visas de long séjour au titre de la réunification familiale ont été demandés pour les enfants F... et H... B... D..., nées le 31 décembre 2015, qu'elle présente comme ses filles nonobstant la différence de patronyme. Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision du 8 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 17 juin 2021 de l'ambassade de France en Guinée et en Sierra Leone refusant les visas sollicités. Par un jugement du 23 décembre 2022, dont elle demande l'annulation, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
2. Il résulte de la décision du 8 septembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France que, pour rejeter le recours formé par Mme B... C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité des demandeuses de visa n'est pas établie eu égard d'une part aux contradictions existantes entre les déclarations faites par Mme B... C... lors de sa demande d'asile et les actes d'état-civil produits s'agissant de l'identité du père des demandeuses de visa et d'autre part à la tardiveté des actes de naissance communiqués, lesquels ne respectent pas les dispositions du code civil guinéen. Il est ajouté qu'il n'a pas été produit de jugement de déchéance de l'autorité parentale du père des enfants.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Et aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Par ailleurs aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil.". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet la réunification familiale de l'enfant d'une personne à laquelle la qualité de réfugiée a été reconnue ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure notamment au nombre de ces motifs le caractère frauduleux des documents d'état civil produits.
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... C... a déclaré à l'appui de sa demande d'asile que le père de ses deux filles nées le 31 décembre 2015 était M. E... G... avec lequel elle a été mariée religieusement en 2014 et a vécu en Guinée au moins jusqu'en 2017, alors même qu'elle soutient désormais que M. G... se serait désintéressé de ses deux enfants dès leur naissance. Or, d'une part, à l'appui des demandes de visa en litige censées concerner ces deux enfants, elle a produit deux jugements supplétifs du 24 septembre 2020 et des actes de naissance guinéens subséquents mentionnant que le père des intéressées est M. B... D.... Afin d'expliquer cette contradiction manifeste, elle expose que ces jugements supplétifs et les actes d'état-civil ont été établis sur la base de fausses déclarations, effectuées par complaisance et dans l'intérêt des enfants par son oncle, M. B... D..., compte-tenu de sa séparation d'avec M. G... qui la battait et menaçait d'exciser ses filles. Quelques soient les motifs de cette reconnaissance, il demeure que les documents d'état-civil ainsi communiqués n'établissent pas l'identité des demandeuses de visas et que Mme B... C... s'est sciemment prévalue auprès des autorités consulaires françaises de jugements et documents d'état-civil établis à sa demande en 2021 dans le seul but d'obtenir des visas pour lesdits enfants. D'autre part, eu égard au fait que les actes d'état-civil guinéens produits par Mme B... C... sont frauduleux, les éléments de possession d'état communiqués ne sont pas davantage de nature à établir l'identité des demandeuses de visa dont la paternité n'est pas établie.
8. Il résulte de ce qui précède que la commission de recours n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées aux points 3 et 4 en rejetant les demandes de visa des enfants F... et H... B... D... au motif que les documents d'état-civil et les éléments de possession d'état produits ne permettaient pas d'établir leur identité. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif.
9. En second lieu, l'identité alléguée des demandeuses de visa n'étant pas établie, ainsi qu'il vient d'être dit, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ne peuvent qu'être écartés.
10. En dernier lieu, si Mme B... C... soutient que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 561-4 et l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont incompatibles avec les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, elle n'assortit pas ce moyen des précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... B... C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01247