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02/07/2024 | FRANCE | N°23NT01052

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 02 juillet 2024, 23NT01052


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A..., agissant en son nom et en tant que représentante légale de l'enfant Tenzin Nordon A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 12 janvier 2022 de l'autorité consulaire française en Inde refusant de délivrer à l'enfant Tenzin Nordon A... un visa d'entrée et de long séjour au tit

re de la réunification familiale.



Par un jugement n° 2206459 du 10 février 2023...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., agissant en son nom et en tant que représentante légale de l'enfant Tenzin Nordon A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 12 janvier 2022 de l'autorité consulaire française en Inde refusant de délivrer à l'enfant Tenzin Nordon A... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2206459 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 avril 2023, Mme B... A..., agissant en son nom et en tant que représentante légale de l'enfant Tenzin Nordon A..., représentée par Me Le Floch, demande à la cour :

1°) avant dire droit, d'ordonner une expertise génétique à fin de comparaison de ses empreintes génétiques avec celles de l'enfant Tenzin Nordon A... ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 février 2023 ;

3°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai, sous astreinte de 10 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros ou en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle le versement à son profit de la même somme sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme A... soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que les parties n'ont pas été informées de ce que le rapporteur public était dispensé de prononcer des conclusions à l'audience ;

- des expertises génétiques sont de nature à établir le lien de filiation ;

- la décision contestée méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits et par la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante chinoise née le 2 février 1990, a été admise au bénéfice du statut de réfugié le 28 décembre 2018. Sa fille alléguée, l'enfant Tenzin Nordon A..., a déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française en Inde, laquelle a rejeté cette demande par une décision du 12 janvier 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. Mme A... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Elle relève appel du jugement de ce tribunal du 10 février 2023 rejetant sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative : " Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants : (...) 5° Taxe d'habitation (....) ". D'autre part, aux termes du second alinéa de l'article R. 711-3 du même code : " Lorsque l'affaire est susceptible d'être dispensée de conclusions du rapporteur public, en application de l'article R. 732-1-1, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, si le rapporteur public prononcera ou non des conclusions et, dans le cas où il n'en est pas dispensé, le sens de ces conclusions " et aux termes de l'article R. 711-2 de ce code : " (...) L'avis d'audience reproduit les dispositions des articles R. 731-3 et R. 732-1-1. Il mentionne également les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public, en application du premier alinéa de l'article R. 711-3 ou, si l'affaire relève des dispositions de l'article R. 732-1-1, de la décision prise sur la dispense de conclusions du rapporteur public, en application du second alinéa de l'article R. 711-3. (...) ".

3. Pour l'application des dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, si l'affaire sera ou non dispensée de conclusions du rapporteur public.

4. La demande de Mme A... relève des contentieux énumérés par l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative permettant au président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience. Si la dispense de conclusions n'a pas été mentionnée sur l'application " Sagace " avant l'audience publique du 13 janvier 2023, il ressort toutefois des pièces de la procédure que Mme A..., qui avait été informée par l'avis d'audience de la possibilité de prendre connaissance de cette information auprès du greffe de la juridiction, à défaut de pouvoir y accéder par le biais de l'application " Sagace ", n'établit, ni même n'allègue, avoir présenté une demande au greffe de la juridiction après avoir constaté l'impossibilité d'obtenir cette information au moyen de l'application " Sagace ". Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises en Inde, sur la circonstance que l'identité et partant le lien familial avec la réunifiante ne sont pas établis.

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. " Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

7. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

8. Pour justifier de l'identité de l'enfant Tenzin Nordon A... a été produit un " livret vert " délivré le 8 octobre 2018 par le bureau du Tibet à Paris, administration tibétaine en exil, faisant état de la naissance l'enfant Tenzin Nordon le 1er novembre 2011. Toutefois, ce document qui ne mentionne pas les parents de cet enfant ne permet pas d'établir le lien de filiation avec la réunifiante. A cet égard si Mme A... produit une attestation sur l'honneur du même bureau du 21 septembre 2021 indiquant qu'elle est la mère de l'enfant Tenzin Nordon A..., il ressort de cette attestation que celle-ci a été rédigée d'après ses seules déclarations. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a, au cours de la procédure d'asile, d'abord déclaré être la mère d'un enfant né le 3 mai 2015, déclaration confirmée lors de l'entretien à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), avant de déclarer que l'enfant était né le 5 février 2013 et a finalement indiqué que sa fille était née le 1er novembre 2011, faisant ainsi des déclarations fluctuantes sur la date de naissance de l'enfant. En outre, et compte tenu de l'inconstance de ses déclarations, les éléments présentés pour établir le lien familial par la possession d'état, qui consistent essentiellement en des photographies, quelques transferts d'argent effectués en faveur d'un tiers déclarant s'occuper de l'enfant et quelques relevés de communications, ne suffisent pas à établir l'identité de l'intéressée. Par suite, l'identité de la demanderesse de visa et partant le lien familial avec Mme A... ne sont pas établis. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

9. En second lieu, l'identité de la demanderesse de visa et, partant, le lien familial avec Mme A... n'étant pas établis, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de procéder à l'expertise génétique demandée, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la requérante n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de Mme A... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

S. DEGOMMIERLa présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

C. GOY

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01052


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01052
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;23nt01052 ?
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