Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 26 janvier 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2401807 du 22 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral, et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 21 mars 2024 sous le n° 24NT00883, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 22 février 2024 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. A....
Il soutient que l'agent ayant mené l'entretien de M. A... doit être considéré comme étant une personne habilitée et qualifiée conformément à l'article 5 du règlement Dublin III et aucun autre moyen soulevé par M. A... n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 16 avril 2024, M. A... représenté par Me Prélaud, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de Maine-et-Loire n'est pas fondé.
II. Par une requête, enregistrée le 21 mars 2024 sous le n° 24NT00885, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 22 février 2024.
Il soutient que l'agent ayant mené l'entretien de M. A... doit être considéré comme étant une personne habilitée et qualifiée conformément à l'article 5 du règlement Dublin III.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1994, déclarant être entré irrégulièrement en France le 15 décembre 2023, s'est présenté en préfecture le 26 décembre 2023 pour solliciter son admission au séjour au titre de l'asile. Il a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 22 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral, et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de Maine-et-Loire, d'une part, fait appel de ce jugement et, d'autre part, demande à la cour de surseoir à son exécution.
2. Ces deux requêtes sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour se prononcer par un même arrêt.
Sur la requête n° 24NT0883 :
En ce qui concerne le moyen accueilli par le tribunal :
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".
4. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. A... qu'il a bénéficié le 26 décembre 2023, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. La seule circonstance que l'agent qui a conduit cet entretien est seulement identifié par la mention " Préfecture de la Loire-Atlantique - L'agent habilité " et ses initiales manuscrites ne permet pas de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Enfin, il ressort du compte-rendu de cet entretien, effectué avec l'aide d'un interprète en soussou, eu égard aux détails précis qu'il expose, qu'il a permis à M. A... de faire état des informations utiles. Si l'entretien indique tout d'abord que M. A... déclare avoir fait une demande d'asile en Italie, la précision suivante, dans la rubrique " Observations ", est ensuite apportée : " Contrairement au relevé Eurodac, monsieur déclare ne pas avoir sollicité l'asile en Italie et qu'il s'agissait juste d'une prise d'empreintes ", l'intéressé reconnaissant que cela correspond aux indications qu'il a données. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté et c'est à tort que le premier juge a accueilli ce moyen pour annuler l'arrêté contesté.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif et devant la cour.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. A... :
6. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ".
7. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment son article 4, et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 3.
8. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
9. Dans son arrêté contesté du 26 janvier 2024, le préfet de Maine-et-Loire a relevé que les autorités italiennes, saisies le 3 janvier 2024 d'une demande de reprise en charge de M. A... en application du règlement du 26 juin 2013, et ayant donné leur accord explicite le 17 janvier 2024, devaient être regardées comme étant responsables de l'examen de sa demande d'asile et que l'intéressé n'établissait pas " de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile. ".Toutefois, M. A... produit une lettre circulaire du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE)
n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. En application des dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013, il appartient à l'autorité préfectorale, lorsqu'elle détermine l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, d'apprécier s'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs. En produisant la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l'Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l'indisponibilité des installations d'accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022,
M. A... apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées. Le préfet de Maine-et-Loire n'établit pas que la situation de fait aurait évolué de manière significative et que l'indisponibilité des installations d'accueil invoquée par l'Italie avait cessé à la date du 26 janvier 2024 à laquelle il a décidé le transfert de M. A... vers ce pays. Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen, soulevé par M. A..., tiré de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de la République italienne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande de première instance de M. A..., que le préfet de Maine-et-Loire n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 26 janvier 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".
12. L'annulation de la décision de transfert vers l'Italie de M. A... est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'il existait en Italie, à la date de l'arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d'annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à M. A..., ainsi qu'il l'a demandé en première instance, une attestation de demande d'asile en procédure normale, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2 de l'article
3 précité du règlement, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur la requête n° 24NT0885 :
13. Dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de Maine-et-Loire tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
14. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Aussi, et dans la mesure où l'Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de 1 000 euros, à verser à Me Prélaud, avocate de M. A.... Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu'elle perçoive la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle dont bénéficie l'intéressé.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Maine-et-Loire est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête enregistrée sous le n° 24NT00885 tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 février 2024.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros hors taxe à Me Prélaud en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... C... A....
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
Nos 24NT00883,24NT00885