La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2024 | FRANCE | N°24NT00061

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 28 juin 2024, 24NT00061


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Mimosa a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 7 septembre 2021 par laquelle la maire de la commune de Bénouville a exercé le droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée AI n° 121 et d'enjoindre à cette commune de lui proposer d'acquérir le bien préempté dans les conditions fixées à l'article

L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.



Par un jugement n° 2102381 du 23 novemb

re 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision de préemption du 7 septembre 2021 et enjoint ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Mimosa a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 7 septembre 2021 par laquelle la maire de la commune de Bénouville a exercé le droit de préemption urbain sur la parcelle cadastrée AI n° 121 et d'enjoindre à cette commune de lui proposer d'acquérir le bien préempté dans les conditions fixées à l'article

L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.

Par un jugement n° 2102381 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision de préemption du 7 septembre 2021 et enjoint à la commune de Bénouville de mettre en œuvre le dispositif prévu à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2024, et un mémoire non communiqué, enregistré le 7 juin 2024, la commune de Bénouville, représentée par Me Labrusse, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 23 novembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de la SCI Mimosa ;

3°) de mettre à la charge de la SCI Mimosa une somme de 2 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SCI Mimosa n'avait pas intérêt à agir devant le tribunal administratif dès lors que la promesse de vente était devenue caduque ;

- le moyen relevé par les premiers juges pouvait être neutralisé dès lors que la circonstance que la demande de communication de documents complémentaires ait été formulée par la maire de Bénouville, qui n'aurait pas été titulaire du droit de préemption à la date à laquelle celle-ci a été présentée, n'a privé la SCI Mimosa d'aucune garantie ni n'a été de nature à influer sur le sens de la décision litigieuse ;

- la délégation du 29 juin 2021 qui précise qu'elle concerne la maîtrise complète du processus de préemption, lequel a débuté par la réception de la déclaration d'intention d'aliéner, avait nécessairement une portée rétroactive, ce qui rend régulière la décision du 3 juin 2021 ;

- les pièces complémentaires sollicitées le 3 juin 2021 ont été réceptionnées le 29 juillet 2021, soit après que le président de la communauté urbaine Caen la Mer eut délégué l'exercice du droit de préemption à la commune de Bénouville ;

- la rétrocession du bien pour un motif formel porte atteinte à l'intérêt général compte tenu de l'ancienneté et de l'importance du projet d'aménagement au vu duquel la décision de préemption a été prise alors que l'intérêt de la SCI Mimosa pour la parcelle en cause est purement spéculatif.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 29 janvier 2024, la communauté urbaine Caen La Mer, représentée par Me Bouthors-Neveu, demande à la cour de faire droit à la requête de la commune de Benouville.

Elle soutient que les moyens de la commune de Bénouville sont fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2024, la SCI Mimosa, représentée par Me Gorand, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de ne pas admettre l'intervention de la communauté urbaine Caen La Mer et de mettre à la charge de la commune de Bénouville la somme de 2 500 euros au titre des frais de procès.

Elle soutient que :

- l'intervention de la communauté urbaine Caen La Mer est irrecevable ;

- elle avait intérêt pour agir ;

- les moyens de la commune de Bénouville ne sont pas fondés ;

- les autres moyens d'annulation présentées devant le tribunal sont fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;

- les observations de Me Labrusse, pour la commune de Bénouville, et de Mme la maire.

Une note en délibéré, présentée pour la commune de Bénouville, a été enregistrée le 14 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI Mimosa s'est portée acquéreur d'une parcelle supportant un supermarché et une galerie marchande appartenant à la société Auchan supermarché, d'une superficie de

15 898 m², située à Bénouville (Calvados). A la suite de la transmission, le 31 mai 2021, de la déclaration d'intention d'aliéner ce bien, le président de la communauté urbaine Caen la Mer a, par une décision du 29 juin 2021, délégué à la commune de Bénouville le droit de préemption urbain et la maire de cette commune a, par une décision du 7 septembre 2021, exercé ce droit sur la parcelle appartenant à la société Auchan supermarché. La commune de Bénouville fait appel du jugement du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 7 septembre 2021.

Sur l'intervention en demande de la communauté urbaine Caen La Mer :

2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du

7 septembre 2021 par laquelle la maire de Benouville a exercé le droit de préemption urbain délégué par le président de la communauté urbaine Caen la Mer, sur la parcelle dont la SCI Mimosa s'était portée acquéreur. La communauté urbaine Caen la Mer, qui était intervenante devant le tribunal, a intérêt à l'annulation du jugement attaqué eu égard au fait que le litige porte sur un droit de préemption qu'elle a délégué. Ainsi son intervention est recevable.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, la présence dans la promesse de vente, signée le 11 juin 2021, entre la société Auchan supermarché et la SCI Mimosa d'une clause de caducité au cas où le bénéficiaire du droit de préemption déciderait d'exercer son droit aux prix et conditions figurant dans cet acte, " et ce même en cas d'annulation de la préemption " et d'une clause suspensive rendant sans effet la promesse de vente si les travaux impliqués par un arrêté de péril du 1er décembre 2020 n'ont pas été réalisés au plus tard le 30 septembre 2021, ne fait pas obstacle à ce que, en cas d'annulation de la décision de préemption ou de réalisation de ces travaux et si le propriétaire et l'acquéreur en sont d'accord, la vente se poursuive. En conséquence, la présence de telles clauses ne prive pas l'acquéreur évincé par la décision de préemption d'un intérêt à contester la légalité de cette décision. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une des parties à cette promesse de vente aurait renoncé à donner suite à la promesse de vente conclue avec le vendeur le 11 juin 2021. Par suite, la commune de Bénouville n'est pas fondée à soutenir que la SCI n'avait pas intérêt à agir contre la décision contestée et que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que sa requête était recevable.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...). Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, (...) / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption (...). Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. (...)".

5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que la demande unique de communication de documents, susceptible de prolonger le délai de deux mois dont dispose l'autorité compétente pour exercer le droit de préemption, peut être adressée au propriétaire par le seul titulaire du droit de préemption. Or, il est constant qu'à la date du 3 juin 2021 où la maire de Bénouville a adressé une demande de pièces à la société Auchan supermarché, elle n'était pas encore titulaire du droit de préemption dès lors que celui-ci ne lui a été délégué sur le bien en cause que par une décision du président de la communauté urbaine de Caen la Mer du 29 juin 2021, exécutoire ce même jour, qui n'a ainsi pas pu avoir pour effet de conférer rétroactivement à la maire de Bénouville la qualité de titulaire du droit de préemption.

6. En troisième lieu, il résulte également des dispositions précitées de l'article

L. 213-2 du code de l'urbanisme que la commune de Bénouville ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que la réception des pièces complémentaires demandées le 3 juin 2021 serait intervenue postérieurement au 29 juin 2021, le délai de deux mois prévu par ces dispositions pour faire naître une décision implicite de renonciation à l'exercice du droit de préemption courant à compter de la réception en mairie de la déclaration d'intention d'aliéner (DIA) et ne pouvant être suspendu que par une demande régulière de pièces complémentaires ou de visite du bien. Dans ces conditions, la demande de documents formulée le 3 juin 2021 n'ayant pu avoir pour effet de suspendre le délai de deux mois dans lequel doit intervenir la décision de préemption et la DIA ayant été déposée le 31 mai 2021, ce délai expirait en l'espèce le 31 juillet 2021. Par suite, la décision de préemption prise le 7 septembre 2021 a nécessairement méconnu les dispositions précitées de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme.

7. En quatrième lieu, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.

8. La commune de Bénouville ne peut utilement demander à ce qu'il soit fait application de cette règle pour neutraliser l'illégalité constatée par le tribunal administratif de Caen dès lors que celle-ci ne porte pas sur le déroulement d'une procédure administrative préalable mais, dans la mesure où elle entraîne la méconnaissance de la condition tenant au délai dans lequel doit intervenir la décision de préemption, porte sur la légalité interne de cette décision.

9. En cinquième et dernier lieu, lorsque le juge administratif est saisi, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu'il prescrive les mesures qu'implique nécessairement l'annulation de la décision de préemption, il lui appartient lorsque le bien préempté n'a pas été revendu, après avoir le cas échéant mis en cause la ou les parties à la vente initialement projetée qui n'étaient pas présentes à l'instance et après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général, de prescrire à l'auteur de la décision annulée de prendre les mesures ci-dessus définies, dans la limite des conclusions dont il est saisi.

10. Aux termes de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme : " Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l'acquisition du bien en priorité. / Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle. A défaut d'accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation, conformément aux règles mentionnées à l'article L. 213-4. / A défaut d'acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l'acquisition. / Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l'article L. 213-2. ".

11. Pour obtenir l'annulation de l'injonction qui lui a été faite par le tribunal de mettre en œuvre le dispositif prévu à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la commune de Bénouville se prévaut de son projet de réhabiliter le secteur dit A... et de le mettre en cohérence, notamment avec sa zone commerciale sud, en créant des interfaces et en réalisant une liaison douce. Elle soutient qu'un retour du bien à l'ancien propriétaire ou à la SCI Mimosa de la parcelle litigieuse, qui s'insère dans cet environnement et participe à ces interactions, porterait une atteinte excessive à l'intérêt général qui s'attache à la mise en valeur de cet ensemble urbain, antérieurement à l'état de friche commerciale, dans le cadre d'une politique d'aménagement et d'urbanisme encadrée en particulier par son plan local d'urbanisme (PLU) et permettant de développer une zone mixte d'activités commerciales et d'habitat importante à l'échelle de l'agglomération de Caen. Toutefois, alors que le bien concerné ne se situe pas dans le périmètre de l'opération d'aménagement en cause, eu égard à la nature du projet de la commune et à son caractère encore peu concrétisé, la restitution de ce bien ne peut être regardée comme portant une atteinte excessive à l'intérêt général. Par suite, la commune de Bénouville n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal, en lui prescrivant de mettre en œuvre le dispositif de rétrocession prévu à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, n'a pas tenu compte du fait que le rétablissement de la situation initiale porterait une atteinte excessive à l'intérêt général.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle, à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la SCI Mimosa, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Bénouville le versement à la SCI Mimosa d'une somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de la communauté urbaine Caen La Mer est admise.

Article 2 : La requête de la commune de Bénouville est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la SCI Mimosa est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Mimosa, à la commune de Bénouville, à la communauté urbaine Caen La Mer et à la société Auchan supermarché.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00061


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00061
Date de la décision : 28/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : LABRUSSE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-28;24nt00061 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award